L'immobilier belge, suffisamment solide pour faire face à une crise?
Portée par des taux au plancher, la valeur des biens immobiliers belges n'a cessé de grimper ces dernières années. De là à en faire une bulle?
C'est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. À l'été 2007, la crise financière mondiale avait été déclenchée par la tempête des subprimes, ces prêts hypothécaires à taux variables accordés à des emprunteurs à haut risque de défaut de paiement. Titrisées sous forme de produits structurés, les créances étaient devenues des investissements très prisés des grandes banques, grâce aux rendements élevés qui y étaient associés, alors que la Réserve fédérale remontait ses taux. Jusqu'au moment où le marché immobilier a perdu pied, les emprunteurs se trouvant en incapacité de rembourser leurs prêts. Une fois leurs maisons vendues à un prix inférieur sur le marché, les produits structurés adossés aux créances sur ces biens ont vu leur valeur fondre, précipitant la chute du système financier mondial, qui avait lié son destin à celui du marché immobilier américain.
En l'espace d'un an, les taux des prêts hypothécaires ont triplé en moyenne auprès des banques belges.
L'anniversaire de la faillite de Bear Stearns, broker spécialisé dans la titrisation de créances immobilières qui s'est effondré en mars 2008, soit il y a tout juste 15 ans, rappelle au bon souvenir de tout un chacun les origines immobilières de la crise. Et interroge sur les similitudes avec la situation actuelle. La remontée fulgurante des taux directeurs des banques centrales a provoqué, depuis un an, une onde de choc sur le marché obligataire, faisant grimper les rendements, sur base desquels sont calculés les taux adossés aux prêts hypothécaires. En l'espace d'un an, ceux-ci ont ainsi triplé en moyenne auprès des banques belges.
La surévaluation du parc immobilier belge, un danger?
Pour Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management de Paris et Lille, la décennie de taux bas "a encouragé la hausse des prix de l'immobilier". Un mouvement qui s'inscrit dans une tendance croissante quasiment constante depuis 40 ans (sauf une stagnation en 2009) du prix des maisons et des appartements. La Banque nationale de Belgique constatait d'ailleurs récemment dans son rapport annuel que la surévaluation du marché immobilier atteignait désormais 13%. Un chiffre qui doit être manié avec prudence, car calculé en fonction du revenu disponible moyen, des taux hypothécaires, de la démographie ou encore des changements de la fiscalité, mais qui exclut de nombreux facteurs.
"La surévaluation en Belgique, c'est un vieux thème, il faut le reconnaître. Et effectivement, en théorie économique, une hausse des taux d'intérêt devrait faire baisser le prix des biens immobiliers de la même manière qu'elle est censée faire baisser le prix des actions", explique Eric Dor. Mais dans le cas présent, toutes les choses ne sont pas égales par ailleurs. "Dans le cas d'une maison, la valeur du bien est censée être la valeur actualisée des loyers futurs qu'elle peut rapporter si on la loue, ou des loyers futurs qu'on épargne si on l'occupe soi-même", pose l'économiste. Donc, une hausse du taux d'actualisation (corrélé au taux hypothécaire) du bien devrait mécaniquement faire baisser son prix. "À moins que les préférences des gens en matière d'investissement s'altèrent, par exemple en faveur de l'immobilier, parce que c'est une valeur vue comme plus sûre", précise Eric Dor.
Une pratique "conservatrice" en matière de prêts
La brique dans le ventre des Belges limiterait donc le risque pour la valorisation des biens. Jean Hilgers, ex-directeur à la Banque nationale, expliquait il y a quelques semaines dans une interview à L'Echo que cette solidité de l'immobilier belge était aussi soutenue par le manque de sur-offre, qui garde le marché tendu, mais également par la stabilité des revenus des emprunteurs (car indexés automatiquement) et surtout par la faible proportion de taux variables dans les crédits hypothécaires accordés aux emprunteurs pour acquérir leur bien.
"On a une pratique en matière de prêts qui est très conservatrice. On fait très peu de taux variables, et même quand il y en a, c'est plafonné."
C'est ce dernier point qui rassure en particulier Eric Dor. "Je n'ai pas trop peur pour la Belgique", affirme-t-il. "On a une pratique en matière de prêts qui est très conservatrice. On fait très peu de taux variables, et même quand il y en a, c'est plafonné. Et puis, les banques sont très frileuses pour les crédits, plus que dans d'autres pays, et on a relevé les exigences en matière d'apport personnel. De plus, l'expertise de la banque sous-évalue souvent la maison par rapport à son prix sur le marché." Contrairement aux taux variables qui font trembler les marchés suédois et britannique, ces éléments sont selon l'économiste synonymes de fondations solides pour l'immobilier belge.
"Je ne serais pas surpris qu'il y ait une baisse des prix", prévient-il toutefois. "Mais pas de là à mettre en danger la solvabilité des banques, ou la valeur des prêts hypothécaires." En revanche, l'économiste reconnaît qu'un risque plus important pèse sur l'immobilier commercial. On pense notamment aux sociétés immobilières matraquées en bourse l'année dernière en raison de la hausse des taux qui a mécaniquement fait bondit leur taux d'endettement.
2 milliards d'euros disponibles en cas de crise
Mais la situation actuelle des marchés post-faillite de Silicon Valley Bank pourrait aussi être salutaire pour les actifs immobiliers, explique Eric Dor. En effet, celle-ci a fait chuter les rendements obligataires en raison d'un retour en force des investisseurs sur les titres de dette d'État. Étant donné que ce sont ces taux qui déterminent le niveau de ceux adossés aux prêts hypothécaires, il est de plus en plus probable que le coût des crédits soit amené à diminuer dans les prochaines semaines, du moins si cette baisse des rendements s'installe dans la durée.
Le ralentissement de la flambée des taux pourrait donc rassurer les plus inquiets au sujet de l'immobilier. Qui reste d'ailleurs assuré contre un risque d'écroulement par les mesures de la Banque nationale. Cette dernière, n'excluant pas des "vulnérabilités sur le marché immobilier résidentiel", a conservé un coussin de fonds propres macroprudentiel pour les prêts hypothécaires de 2 milliards d’euros, "qui peuvent être utilisés en cas de crise pour absorber les pertes", expliquait-elle dans son rapport annuel. Et même si la BNB a constaté cette année "une forte baisse des prêts les plus risqués dans la nouvelle production hypothécaire", les mesures ont été maintenues, car il semblait "prématuré de réduire ce coussin de fonds propres, étant donné la perspective d’un éventuel refroidissement du marché immobilier".
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