Hey Google, comment es-tu devenu indispensable à nos vies?
D'un moteur de recherche à un écosystème applicatif indispensable à notre quotidien, comment Google s'est-il imposé dans nos vies en 25 ans? Succès, échecs, défis. L'Echo refait l'histoire du géant du Web.
Au panthéon des entreprises qui ont influencé nos vies et réussi à s’immiscer dans notre quotidien au point d'être omniprésentes, Google tient une place de choix. En 25 ans, l'entreprise californienne fondée par Larry Page et Sergey Brin est devenue un verbe du langage courant, possède un logo qui n'a plus besoin que d'une seule lettre et quatre couleurs pour être reconnu, et a rendu l'utilisation de ses services aussi banale que simple. Comment Google est devenu un indispensable de nos vies modernes ? Récit d'une success-story loin d'être terminée.
Non, l'histoire de Google ne commence pas dans un garage comme la légende le voudrait. Il y aura un stade garage, mais plus tard. Les premiers pas de l'entreprise se font sur le campus de l'université de Stanford, en Californie, où Larry Page fait la connaissance de Sergey Brin en 1995. Le premier débarque sur le campus pour suivre un doctorat en informatique et le second est chargé de lui faire visiter les lieux. La première rencontre est, paraît-il, électrique. "The rest is history", comme aiment dire les Américains.
Depuis leur chambre universitaire, le duo a effectivement marqué l'histoire. Très rapidement, ils se mettent en tête de créer un moteur de recherche qui utilise un score pour déterminer l'importance de pages individuelles sur le Web. Ils sont persuadés que la masse tentaculaire et chaotique d'informations qui s'accumule sur ce qu'on appelle à l'époque le "World Wide Web" peut être maîtrisée en classant les résultats de recherche en fonction de leur popularité. Cette première version du moteur de recherche s'appelle "Backrub", un mauvais choix qui sera vite corrigé en Google, inspiré par le terme mathématique "gogol" ou "googol", qui désigne le nombre s'écrivant avec le chiffre 1, suivi de 100 zéros.
Il faudra attendre août 1998 et un chèque de 100.000 dollars d'Andy Bechtolsheim, le cofondateur de Sun Microsystems, pour que l'entreprise quitte le stade de la chambre d'étudiant et s'installe dans un garage – tout de même – situé à Menlo Park en Californie, appartenant à Susan Wojcicki (16ᵉ employée de Google, qui finira à la tête de YouTube de 2014 à février 2023). Le 4 septembre 1998, l'entreprise naît officiellement.
Monétiser l'idée de génie
À l'origine, l'activité de Google consistait à créer des algorithmes pour aider les internautes à trier rapidement le volume croissant de contenu mis en ligne. Plutôt que d'employer des personnes, Google a commencé à élaborer des algorithmes qui évaluaient le contenu qu'il indexait en fonction de critères spécifiques.
"Ils ont réussi à résoudre l'équation du web pour permettre de retrouver une information pertinente en un temps record. C'est le coup de génie du départ."
Grâce à cette méthode de notation, Google a pu fournir des résultats plus précis que la plupart des moteurs de recherche qui l'ont précédé sur le marché et les a rapidement ringardisés. Parce qu'il a tout de suite été facilement utilisable et qu'il n'a cessé de s'améliorer, Google est devenu en quelques années le moteur de recherche le plus utilisé sur internet. Cette qualité de l'algorithme, c'est l'une des clés du succès de Google depuis 25 ans, selon Nicolas van Zeebroeck, professeur d'économie et de stratégie d'innovation à la Solvay Brussels School of Economics and Management: "Ils ont réussi à résoudre l'équation du web pour permettre de retrouver une information pertinente en un temps record. C'est le coup de génie du départ."
Mais pour tenir 25 ans, il en faut plus. "Cette longévité s'explique par la courbe d'apprentissage. On peut comparer avec Solvay, chez nous, qui est le leader mondial depuis 125 ans d'une commodité qu'est le carbonate de soude. Les micro-améliorations méthodiques sans fin d'un processus transforment cette courbe d'apprentissage en falaise à arpenter pour un nouvel entrant sur le marché. Google accumule les boucles de rétroactions depuis 25 ans pour contribuer à cette courbe d'apprentissage."
"Au-delà de la recherche, Google a construit un écosystème d’applications tellement captif qu'il est très difficile d’en déloger ses utilisateurs."
Malgré l'idée de génie, l'entreprise n'en tire que très peu de revenus pendant longtemps. Les itérations ultérieures de l'algorithme de son moteur de recherche ont défini la méthode que Google a appliquée à tous ses produits qui verront le jour ensuite: lancement – itération — monétisation. Trois ans après sa création, Google a fait un premier pas vers la monétisation de son moteur de recherche en introduisant Google Adwords.
Google ne s'est pas contenté de vendre des annonces sur n'importe quel mot clé, mais a proposé des annonces pertinentes en fonction des sites et des intérêts des internautes.
En quelques années, Adwords s'est transformé en un système automatisé de vente aux enchères d'annonces au clic qui a introduit le concept de pertinence dans la publicité numérique. Google ne s'est pas contenté de vendre des annonces aux annonceurs sur n'importe quel mot clé, mais a proposé des annonces pertinentes en fonction des sites et des intérêts des internautes. Adwords a été suivi par Adsense, qui a permis à toute personne disposant d'un site web d'accéder à l'inventaire publicitaire de Google, une idée simple qui a donné à Google cette position dominante sur le marché de la publicité en ligne. "Aujourd'hui, Alphabet et Meta représentent 50% du marché mondial de la publicité, pas juste celle en ligne. Et c'est très préoccupant", selon Nicolas van Zeebroeck.
Les années Mountain View
Confortablement installé dans le flambant neuf Googleplex à Mountain View, dans la Silicon Valley californienne, Google entame les années 2000 avec un partenariat avec Yahoo! qui lui fera dépasser le milliard d'url accessibles depuis son moteur de recherche.
Un an plus tard, en 2001, on en dénombrera déjà plus de 3 milliards. L'entreprise grandit à vitesse grand V et installe Eric Schmidt dans le fauteuil de CEO de l'entreprise pour tenir la barre pendant les années folles que vont connaître les entreprises internet. Google Actualités est lancé en septembre 2002 et, quelques mois plus tard, Froogle, un nom étrange qui ne vous dit probablement rien, mais qui est l'ancêtre de Google Shopping.
Au moment de faire son entrée à Wall Street en 2004, Google vient de lancer Gmail, son service de messagerie, compte déjà 800 employés et ne ressemble plus à une start-up de garage. Pour tenter de garder cet esprit, les deux fondateurs ont instauré le fameux "20% time", qui permet aux employés de prendre une journée par semaine pour réfléchir à des projets originaux. Cela a donné des innovations comme Google News et les visionneuses de réalité virtuelle Google Cardboard à une époque où personne ne connaissait la réalité virtuelle. Mais cela n'a pas suffi aux fondateurs de Google qui ont dépensé sans compter pour rassembler des dizaines d'entreprises sous l'égide de Google (aujourd'hui Alphabet).
À commencer par Google Maps. Le service de cartographie en ligne qui permet de voir le monde depuis son salon n'est pas une invention maison. Son arrivée dans la gamme de services Google est le début de la vague de rachat qui fera de Google une entreprise tentaculaire. Lancée aux États-Unis en février 2005 après le rachat d'une start-up australienne, l'application compte aujourd'hui plus d'un milliard d'utilisateurs chaque mois.
La même année, Google signera l'un de ses rachats les plus marquants, celui de YouTube. S'emparer de la plateforme vidéo pour 1,65 milliard de dollars en actions fut, avec le recul, l'un des plus beaux coups de Google. Google Play, Google Drive, Google Traduction, Google Chrome, Street View, Google Music, le système d'exploitation Android.
Les années suivantes sont jalonnées de lancements de produits créant un écosystème applicatif et logiciel pour capter un maximum d'utilisateurs avant le retour aux affaires de l'un des fondateurs, Larry Page, qui reprend la place de CEO d'Eric Schmidt en 2011. Il cèdera sa place en 2015 à Sundar Pichai, qui prendra également la tête du groupe Alphabet, rassemblant toutes les activités de l'entreprise en 2019.
Le cimetière de Google
Le retour de Larry Page en 2011 coïncide avec le lancement de ce qui sera l'un des plus gros échecs de l'entreprise: Google+. Lancer un réseau social quand on est une entreprise du web, rien de plus logique. Après un premier échec avec le lancement d'Orkut la même année que les débuts de Facebook (2004), Google retente le coup pour se tailler une part du marché avec Google+ en 2011. Le nombre d'utilisateurs ne décollera jamais pour cette plateforme arrivée trop tard, et n'apportant aucune plus-value par rapport à ses concurrents. Google+ sera enterré en 2018 et signera la fin des espoirs de l'entreprise dans le domaine.
"Il n'y a rien de mal à avoir une combinaison d'outils tant qu'ils sont utiles. Est-ce qu'on en fait trop? Non. Est-ce que c'est utile? Je l'espère."
Les téléphones portables sont aussi un domaine plus complexe qu'il n'y paraît pour Google. Si l'entreprise est la reine de l'écran, avec ses applications utilisées par des milliards d'utilisateurs chaque mois et son système d'exploitation Android, elle n'est jamais parvenue à devenir maîtresse des téléphones eux-mêmes. En 2011, elle y a cru en rachetant Motorola pour 12,5 milliards de dollars en cash, environ un tiers de sa trésorerie à l'époque. Google s'en séparera 3 ans plus tard pour 2,91 milliards de dollars, en n'ayant jamais réussi à remettre l'ancienne gloire du secteur sur les rails. L'entreprise fera une énième tentative en s'emparant de la division smartphone de HTC, mais sans réel succès commercial.
Mais l'échec de la stratégie smartphone n'est rien comparé au retentissement de celui des Google Glass. Personne n'a oublié comment ce fantasme de geek, censé révolutionner notre façon de communiquer avec les yeux dans le réel et une couche virtuelle, ne connaîtra pas le succès escompté. Effrayantes et jugées trop intrusives, les lunettes seront rangées dans leur étui trois ans après leur lancement en 2012. Google avait 10 ans d'avance et ne l'a pas senti.
Le modèle de Google: lancer un prototype en version bêta, puis à l'améliorer sur la base des données récoltées auprès des utilisateurs.
Qu'il s'agisse d'un échec spectaculaire ou d'un produit retiré discrètement dans l’indifférence, les échecs n'ont pas changé le modèle de Google, qui consiste à lancer un prototype en version bêta, puis à l'améliorer sur la base des données récoltées auprès des utilisateurs. Si un produit n'attire pas suffisamment d'utilisateurs, il est rangé au frigo des innovations et les enseignements tirés sont appliqués à l'idée suivante. Et pour Google, il semble qu'il y ait toujours une nouvelle idée.
Jusqu'où ira la domination de Google?
Aujourd’hui, Google capitalise toujours sur sa première idée et domine la recherche sur internet avec 92,64% de part de marché, ne laissant que des miettes au moteur de recherche de Microsoft, Bing. Rien que pour le mois de juin 2023, Google Search a engrangé 84,6 milliards de visites selon des chiffres de Similarweb, avec 99.000 requêtes chaque seconde.
Il faut ajouter à cela le statut de leader du navigateur Chrome qui permet aussi à Google d'être le maître de la recherche sur internet, et un virement de 3 milliards de dollars en 2017 à Apple pour continuer d'être le moteur de recherche par défaut des appareils de la marque à la pomme. Dominer la recherche sur internet, c'est dominer l'espace du web et donc la publicité, qui reste la première source de revenu de l’entreprise. "Au-delà de la recherche, Google a construit un écosystème d'applications tellement captif qu'il est très difficile d'en déloger ses utilisateurs", rappelle le professeur Van Zeebroeck. Une domination qui dérange.
Régulièrement accusé de domination outrancière et mis à l'amende, notamment par les autorités européennes, pour cette position qui laisse peu de place à la concurrence, Google a-t-il pris trop de place dans nos vies? Pour le CEO de Google Belgique, Thierry Geerts, la réponse est sans surprise: non. "La question est plutôt de savoir: est-ce que ce que nous faisons est-utile? Il n'y a rien de mal à avoir une combinaison d'outils tant qu'ils sont utiles. Est-ce qu'on en fait trop? Non. Est-ce que c'est utile? Je l'espère."
La bataille de l'IA
L'intelligence artificielle est le prochain grand défi pour Google et pour toutes les entreprises actives dans l'économie numérique. Surpris par l'arrivée de ChatGPT d'OpenAI et le soudain intérêt du grand public, Google a tenté de rapidement combler son retard en lançant Bard, son assistant/outil conversationnel et en ajoutant de l'IA dans ses produits. "Nous avons prouvé que nous pouvions jouer un rôle majeur dans ce domaine, selon Thierry Geerts. Nous avons la technologie et le savoir-faire, nous investissons massivement, mais nous ne sommes qu'au début. Le potentiel est immense."
L'intelligence artificielle sera partout dans les prochaines années et Google ne peut pas se permettre de laisser passer le train de l'innovation, au risque de ne plus être là dans 25 ans. "Notre réflexe cognitif va évoluer vers une recherche de la réponse directement. Il faudra donc réinventer la publicité dans cet espace", ajoute Nicolas van Zeebroeck. Un sacré défi pour l'entreprise qui n'a pas peur d'échouer. Mais peut-être que le plus gros défi sera de répondre aux exigences des autorités de la concurrence aux quatre coins du monde, qui ont Alphabet et sa position dominante dans le viseur.
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