Trump fait vaciller les marchés, Wall Street matraquée
En cherchant à relocaliser la production industrielle aux États-Unis, au détriment du commerce mondial, Donald Trump a semé le chaos sur les marchés avec sa salve de droits de douane. Y compris, et surtout, aux États-Unis.
Si Donald Trump se plaît à nommer sa vague déferlante de tarifs douaniers le "Liberation Day", pour le reste du monde, c'est sans aucun doute "Le jour d'après". Rappelons le menu du chef: un tarif universel de 10% sur tous les pays, accompagné de droits de douane "réciproques" pour "les pires contrevenants" (une soixantaine de pays), qui s'élèvent, par exemple, à 34% sur les importations en provenance de Chine (soit un taux total de 54%), et de 20% sur l'Union européenne, à partir du 9 avril.
"C'est pire que prévu, il n'y a pas d'autre façon de le dire", a déclaré Zhikai Chen, responsable des actions des marchés émergents mondiaux chez BNP Paribas Asset Management. "C’est clairement plus agressif que ce que les marchés anticipaient. C’est un cercle vicieux encore plus grand pour le reste du monde", renchérit Brad Bechtel, responsable du marché des changes chez Jefferies Financial Group.
"C’est un signal négatif pour les actifs risqués", estime, pour sa part, Priya Misra, gestionnaire de portefeuille chez JPMorgan Asset Management. "Ce que Trump a détaillé est typiquement stagflationniste. Et l’incertitude est loin d’être terminée."
Nouveau record pour l'or, l'euro à son plus haut en six mois
Sans surprise, la manœuvre a créé un mouvement de panique chez les investisseurs et un véritable séisme sur les marchés dans le monde entier, poussant tout ce beau monde vers les actifs refuges. Le prix de l'or a atteint un nouveau record de 3.167 dollars l'once, tandis que le yen s'est apprécié de 1,5%, à 147,02 yens pour un dollar, sa plus forte progression depuis le 27 novembre, et pénalisant les exportateurs.
L'euro prenait de son côté de 1,6% face au billet vert, repassant le cap des 1,10 dollar, soit son plus haut niveau depuis octobre. À l'inverse, le dollar américain perdait, lui, 2,6% face à l'euro, effaçant ses gains depuis l'élection présidentielle américaine, alors que les analystes mettent en garde contre un ralentissement de l’économie américaine.
Le pétrole a également dévissé, tandis que le cuivre, l’aluminium et le zinc ont chuté, les métaux étant emportés par la vague d’aversion au risque. Les investisseurs redoutent que ces nouveaux droits de douane massifs finissent par étouffer la demande de matières premières industrielles. Les cryptomonnaies, actifs risqués par excellence, s'inscrivent, elles aussi, en baisse, le bitcoin perdant 2,6% et l'Ether 3%.
Une marée rouge à Wall Street
Mais ce sont indéniablement les marchés américains qui s'inscrivent comme les plus grands perdants des tarifs douaniers de leur propre Président. Wall Street a fortement chuté jeudi, le Dow Jones clôturant en baisse de 3,98%, le S&P 500 de 4,84%, en zone de correction, et le Nasdaq en baisse de 5,97%, le secteur technologique étant lourdement pénalisé par l'aversion au risque. Les 3 indices signent ainsi leur pire séance depuis 2020.
Les actions des sociétés les plus exposées à la nouvelle vague de taxes, comme Nike , Gap et Lululemon , ont fortement chuté, pénalisées par leur dépendance aux usines et aux produits en provenance du Vietnam. Apple , dont la chaîne d’approvisionnement repose largement sur la Chine, a reculé de plus de 9%, voyant ainsi plus 250 milliards de dollars de capitalisation boursière partir en fumée.
Les fabricants de semi-conducteurs, comme Nvidia , AMD et arm , ont également perdu (beaucoup) de plumes, tout comme le secteur tech (Tesla , Meta , Alphabet , Amazon , Microsoft ) et les multinationales Caterpillar et Boeing . Les grandes banques américaines ne sont pas en reste, Bank of America et Morgan Stanley perdant plus de 8%.
"Une chose est sûre: ce n’est en aucun cas un moteur de croissance. C’est un frein à la croissance et un moteur d’inflation à court terme."
Les rendements obligataires en baisse
Le rendement de l’obligation allemande à 10 ans, référence du marché, a chuté de près de 8 points de base, à 2,648%, son plus bas niveau depuis début mars. Le rendement allemand à 2 ans, plus sensible aux anticipations de politique monétaire de la BCE, a reculé de 8,5 points de base, à 1,958%, son plus bas niveau depuis le 12 décembre. Les marchés monétaires intègrent une probabilité de 80% d’une baisse de 25 points de base des taux de la BCE en avril.
Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a également baissé de 0,13 point de pourcentage à 4,05%, son plus bas niveau depuis octobre, tandis que celui des obligations d'État japonaises à 10 ans a reculé de 0,12 point à 1,3%, sa plus forte baisse depuis août 2024.
"Il y a clairement encore de la place pour une nouvelle baisse des marchés."
Les marchés européens boivent la tasse
En Europe, où une riposte a été promise par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, c'était évidemment la gueule de bois ce jeudi. L’indice paneuropéen Stoxx 600 a reculé de 2,67%, plus fort repli en une séance depuis le 2 août, tandis que le marché allemand a perdu 3% et le CAC 40 3,3%, la plus forte baisse parmi les grandes places européennes. Le Bel 20 a ouvert, de son côté, en baisse de 1,5%, avant de limiter ses pertes dans le courant de la matinée... Puis de rechuter de 1,14% à la clôture.
Le secteur européen des puces a lâché 1%, à l'image de Melexis et le spécialiste des matériaux Umicore , les plus fortes baisses du Bel 20, entraînant avec lui le secteur technologique (-3%). La journée fut aussi compliquée pour les compagnies aériennes (Air France-KLM , Lufthansa , Icag ), tout comme pour les valeurs du luxe, telles que LVMH , Kering , Hermès et EssilorLuxottica , qui ont lourdement pesé sur le CAC 40. Le secteur bancaire a, lui aussi, fait grise mine, enregistrant la plus forte baisse du Stoxx 600.
En outre, les actions de Nike , Adidas et Puma ont lourdement chuté, le Vietnam, l'Indonésie et la Chine, lourdement touchés par les droits de douane, étant leurs principaux marchés d'approvisionnement.
En revanche, les valeurs immobilières étaient recherchées en Europe, à l'image de Cofinimmo , Aedifica et Montea, les plus fortes hausses du Bel 20, juste derrière Elia , qui a profité du regain pour le secteur des services aux collectivités, ces deux secteurs étant jugés défensifs.
Contrairement aux déclarations précédentes de Donald Trump, les droits de douane réciproques ne s'ajouteront pas aux surtaxes déjà en place. L’acier, l’aluminium et l’automobile, soumis à des taxes sectorielles de 25%, en sont donc exemptés, tout comme le secteur pharmaceutique. Ce qui n'a pas empêché les actions automobiles Volkswagen et Mercedes de caler.
En Asie, l'un des continents les plus touchés par les droits de douane réciproques de Donald Trump, les actions et devises ont piqué du nez. La Bourse de Tokyo a clôturé sur une chute de 2,8%, le Nikkei perdant 2,77%, le Topix japonais 3,08%, les valeurs bancaires étant particulièrement ciblées. Le Hang Seng de Hong Kong a lâché 1,5% et l'indice composite de Shanghai 0,3%.
Que disent les grandes banques?
Notons qu'avant même l’annonce officielle de Donald Trump depuis le Rose Garden de la Maison-Blanche, plusieurs grandes banques de Wall Street, dont Goldman Sachs et Bank of America, anticipaient un approfondissement de la correction boursière américaine. Trois des analystes les plus optimistes du marché ont même révisé à la baisse leurs prévisions pour le S&P 500 cette année, bien qu’ils envisagent toujours une reprise sur le long terme.
"Il y a clairement encore de la place pour une nouvelle baisse des marchés", estime Marko Papic, stratègiste en chef chez BCA Research, prédisant une chute supplémentaire de 10% des actions américaines. Car les investisseurs doivent désormais naviguer dans un contexte économique incertain, où l’impact dépendra des mesures de rétorsion des autres pays et de la capacité des entreprises américaines à répercuter ces hausses de coûts sur les consommateurs.
"Ce qui est clair, c’est que nous devons immédiatement intégrer ce choc négatif dans les prix", explique ainsi Ed Al-Hussainy, stratégiste chez Columbia Threadneedle. "À la fin de la journée, c’est une taxe. Qui la paiera reste incertain, mais une chose est sûre: ce n’est en aucun cas un moteur de croissance. C’est un frein à la croissance et un moteur d’inflation à court terme."
En rendant les importations plus chères, la Maison-Blanche alimente, en effet, les craintes d’une inflation persistante, qui pourrait contraindre la Réserve fédérale à maintenir des taux d’intérêt élevés, même en cas de ralentissement économique.
Les plus lus
- 1 Wall Street perd près de la moitié de ses gains historiques de la veille, le dollar accélère sa chute
- 2 Donald Trump a-t-il manipulé Wall Street avec son brusque revirement sur les tarifs?
- 3 Faut-il attendre pour récupérer son épargne-pension?
- 4 Aux États-Unis, des fractures apparaissent au sein du Parti républicain
- 5 Pourquoi Donald Trump a-t-il fait volte-face sur les droits de douane?