Les banques ferment la porte aux gagnants du bitcoin
Certains investisseurs ont gagné des fortunes dans le bitcoin. Mais le jour où ils veulent rapatrier leurs gains sur leur compte bancaire, les choses se compliquent.
Christophe (prénom d’emprunt) est tombé dans le monde du bitcoin il y a quelques années. Cet ingénieur spécialisé en mathématiques financières est fasciné par la révolution technologique proposée par les cryptomonnaies. Grâce à un joli pécule constitué en revendant les parts d’une société qu’il a créée, il débute ses investissements.
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Plutôt doué en informatique, Christophe bidouille un robot trader qui donne des ordres automatiques d’achat et de vente sur de grandes plateformes d’échange de cryptomonnaies. Comme le bitcoin et les autres cryptos n’ont pas exactement le même cours sur les différentes plateformes, Christophe se dit qu’il y a de l’argent à se faire. L’astuce consiste à acheter des bitcoins là où il est le moins cher pour les revendre sur la plateforme qui propose le meilleur taux de conversion en euros ou en dollars.
Blacklisté
Le bot de Christophe fait ce qu’on appelle de l’arbitrage. Et à ce petit jeu, il s’avère plutôt doué. Bientôt, les montants échangés se chiffrent en millions d’euros. Chaque jour, sa banque (une des quatre grandes banques belges) voit transiter des millions d’euros, qui viennent d’une plateforme crypto pour repartir en fin de journée vers une autre. Ce petit manège ne dure pas longtemps. "J’ai été convoqué par ma banque. Elle m’a demandé d’arrêter, faute de quoi elle fermerait mon compte", explique Christophe.
"Je ne fais pas du trafic de drogue. Je ne fais rien de mal. Je peux prouver l’origine des fonds."
L’ingénieur obtempère et fait appel à une banque étrangère pour héberger ses activités d’arbitrage de cryptos. Quelque temps plus tard, il prévoit un investissement immobilier en Belgique et se tourne vers une autre grande banque belge. Surprise: deux semaines après son arrivée, la banque en question ferme ses comptes. Sans explication. Christophe est blacklisté.
Aujourd’hui, une seule banque belge l'accepte encore comme client. Mais il ne peut pas utiliser son compte pour rapatrier ses gains en cryptomonnaie. "Je ne fais pas du trafic de drogue. Je ne fais rien de mal. Je peux prouver l’origine des fonds", plaide Christophe. "Je suis frustré, poursuit-il. Les banques nous poussent à vivre cachés."
Les cryptotraders ne sont pas les bienvenus
Cette mésaventure, d’autres cryptomillionnaires, mais aussi de plus petits crypto-investisseurs, l’ont vécue. Nous avons demandé aux grandes banques comment elles traitent ce genre de dossiers. Chez Belfius, on n’y va pas par quatre chemins: "Les cryptomonnaies sont des moyens connus de fraude et de blanchiment d'argent. Belfius applique une politique très stricte en la matière, et se montre extrêmement prudente vis-à-vis des transactions liées au commerce des cryptomonnaies."
Pour ING, la question est vite réglée: "Nous n'acceptons ni les clients particuliers ni les clients professionnels qui gagnent leur vie en négociant des cryptomonnaies (les "cryptotraders"). » De son côté, BNP Paribas Fortis "déconseille fortement l'achat de cryptomonnaies et invite ses clients à ne pas effectuer d'achat de cryptomonnaies par le biais de comptes détenus par la banque. (…) La banque se réserve le droit de ne pas accepter un ordre du client qu'elle soupçonne d'être illégal."
Seule KBC se montre un peu plus ouverte: "Les transactions [venant de plateformes cryptos] sont soumises à des contrôles. Notre condition principale est que le client puisse démontrer que les fonds ont été initialement investis à partir d'un compte bancaire belge."
Saucissonnage déconseillé
En vertu de la réglementation anti-blanchiment, les banques sont tenues de procéder à des contrôles des transactions de leurs clients. Elles repèrent les transactions douteuses via des algorithmes qui signalent des mouvements considérés comme suspects en raison de différents facteurs: origine des fonds, fréquence des transactions, montants... Certains rapatriements de gains cryptos passent donc sous le radar des banques. Mais il est impossible de dire précisément lesquels. Les banques restent discrètes sur le sujet. Elles ne communiquent pas les montants à partir desquels les transactions peuvent faire l'objet d'un signalement, "pour des raisons de confidentialité", nous dit-on chez KBC.
Selon nos informations, des transactions portant sur quelques milliers d'euros ont toutes les chances de passer... pour autant qu'elles ne se répètent pas trop souvent. Inutile d'espérer saucissonner un gros gain en de multiples petits virements: l'algorithme de la banque les repérerait rapidement. Si le montant des gains est conséquent, et qu'ils proviennent d'une plateforme crypto basée à l'étranger, le risque est grand que la transaction soit signalée et bloquée.
"Les banques ne comprennent pas grand-chose au marché des cryptos."
Reste la possibilité pour le client de démontrer que les fonds investis proviennent d’une activité licite. À charge pour lui de monter un dossier pour documenter ses opérations. C’est justement la spécialité de Marem Aoucheva, co-fondatrice de Complychain. Cette juriste bruxelloise spécialisée dans la compliance a été consultée par un cryptoinvestisseur qui cherchait à rapatrier trois millions d’euros de gains. "Les fonds sont licites, ils ont été transférés sur des plateformes régulées à l'étranger, assure Marem Aoucheva. Mais les banques ne comprennent pas grand-chose au marché des cryptos. Du coup, elles refusent la transaction ou demandent des délais énormes pour analyser le dossier, de l’ordre de six mois." Pour mettre toutes les chances du côté de son client, Marem Aoucheva a monté un dossier reprenant le détail de toutes les transactions depuis leur origine. Après de longs palabres avec différentes institutions, une banque a fini par accepter la transaction.
Documenter les mouvements de fonds
Il y a donc quelques signes d’ouverture. Mais, faute de procédure réellement établie, les rapatriements de gains en cryptomonnaie restent peu fréquents. Avocat chez Ethikos Lawyers, Miguel Mairlot constate ces difficultés dans sa pratique. Il conseille actuellement une dizaine de cryptoinvestisseurs qui cherchent à rapatrier leurs gains en Belgique. Pour certains, les montants vont jusqu’à dix millions d’euros. "Les banques ont une vraie aversion aux cryptomonnaies, explique Miguel Mairlot. Dès qu’un particulier est lié à ce type de placement, elles ont tendance à mettre fin à la relation."
Des cryptoinvestisseurs se sont ainsi retrouvés exclus de leur banque, sans aucune explication. Pour recoller les morceaux, il s’agit de démontrer que les soupçons de blanchiment ne sont pas fondés. "Il faut remonter toute la chaîne des transactions, montrer que les fonds viennent de revenus identifiables et démontrer que les investissements se font dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé", souligne Miguel Mairlot.
Vers une régulation des cryptoactifs
Vient ensuite la délicate question des plateformes d’échange de cryptomonnaies. Ces intermédiaires, généralement situés à l’étranger, sont actuellement hors du radar des autorités réglementaires. Certaines sont épinglées par la FSMA comme potentiellement frauduleuses. Inutile d’espérer rapatrier des gains réalisés sur ces plateformes douteuses.
"Dans un futur proche, on va attendre des plateformes cryptos qu’elles respectent les mêmes règles que les banques."
D’autres plateformes, plus sérieuses, intègrent des procédures d’identification des clients (KYC) et obtiennent des agréments de la part des autorités des pays où elles sont implantées. "Elles font aussi appel à des sociétés spécialisées qui certifient que les cryptomonnaies ne sont pas 'teintées', c’est-à-dire qu'elles ne sont pas issues d’opérations illégales", poursuit l’avocat.
Le rapatriement de fonds cryptos s’apparente donc encore à un parcours du combattant. Mais les choses pourraient évoluer. Un règlement européen (MiCA), qui vise à réguler le marché des cryptoactifs et mieux protéger les consommateurs, est en discussion. "Dans un futur proche, on va attendre des plateformes cryptos qu’elles respectent les mêmes règles que les banques, évoque Miguel Mairlot (Ethikos Lawyers). Cela va créer un environnement plus rassurant, qui devrait faciliter les échanges entre monnaies virtuelles et monnaies traditionnelles."
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