À la base, il y a ce constat: la part du budget consacré au logement ne cesse d’augmenter dans la capitale où 60% des habitants sont locataires et ont peu de chances d’accéder à la propriété. Alors que les loyers y sont plus élevés que dans le reste du pays, les candidats à un logement social sont toujours plus nombreux.
Le gouvernement bruxellois a donc décidé d’agir en déployant un Plan d’urgence pour le logement (PUL) en 33 points porté par la secrétaire d'État au Logement, Nawal Ben Hamou, qui fait l’objet de discussions et d’auditions au Parlement. Certaines mesures envisagées font bondir le SNPC (Syndicat national des propriétaires et copropriétaires) selon lequel, en l’état, "le feu est à l’orange pour l’investissement locatif".
Le ton est donné. Mais quelles sont les menaces supposées qui pèseraient, à terme, sur les propriétaires-bailleurs bruxellois? Le SNPC a listé et commenté ses doléances dans sa revue "Le Cri" de mars 2021.
S’agit-il vraiment d’imposer insidieusement une forme de blocage ou d’encadrement des loyers sur le marché locatif privé? Passons en revue les points litigieux pour mieux comprendre.
Développer la grille indicative des loyers
"À ce jour, la grille se fonde sur un échantillon de 8.400 loyers (2,5% du marché locatif privé). L’objectif est d’arriver à 5% d’ici la fin 2021."
Le point de départ, c’est de faire de la grille indicative des loyers un outil de référence, réellement représentatif et fiable. Cela nécessitera une mise à jour pour disposer d’une base de données élargie qui reflétera plus fidèlement l’état du marché locatif (baux, loyers, garanties, état des lieux, PEB, permis…). "À ce jour, la grille se fonde sur un échantillon de 8.400 loyers (2,5% du marché locatif privé). L’objectif est d’arriver à 5% d’ici la fin 2021, même si, pour atteindre un seuil maximal de représentativité, il faudra viser 10%", explique Joëlle Maison, parlementaire bruxelloise (DéFi). Une campagne de communication sera ensuite lancée, début 2022, pour mieux faire connaître l’outil.
"Le feu est à l'orange pour l'investissement locatif à Bruxelles."
Le SNPC n’a certes pas d’objection de principe à cette initiative, pourvu que la grille soit établie sur la base de critères objectifs. Il redoute en revanche que le gouvernement bruxellois en fasse tôt ou tard un outil contraignant.
Instaurer une Commission paritaire locative (CPL)
Dans la foulée est prévue la création d’une Commission paritaire locative (CPL) qui permettra d’intensifier la lutte contre les loyers manifestement abusifs. Cette instance, composée de locataires et bailleurs, qui sera chargée de statuer à la demande d’un locataire sur la justesse du loyer, au regard de critères de référence, devrait voir le jour en 2022. Une ordonnance qui définit ses contours et missions a été déposée par les partis de la majorité.
Le SNPC craint que certains cherchent à y substituer tout recours à la justice dans le cadre de contentieux locatifs (loyers impayés, notamment). Il ne sera cependant possible de saisir la CPL ou le juge de paix que "si le loyer pratiqué dépasse de 20% le loyer de référence (sans que cette différence ne puisse être justifiée par des éléments de confort substantiels ou à l’environnement) ou si le loyer n’excède pas le loyer de référence, mais que le bien présente des défauts de qualité substantiels non imputables au locataire", détaille Joëlle Maison. Un propriétaire pourra d’ailleurs lui aussi saisir la CPL si le loyer qu’il demande est inférieur de 30% au prix de marché.
"L’avis de la CPL sera non contraignant pour le propriétaire. Le but est de proposer une conciliation aux parties si le loyer est considéré comme injuste", assure Joëlle Maison. Mais il constituera évidemment une indication intéressante pour le juge qui serait saisi d'un litige.
Quant à la notion de loyer abusif, elle est strictement balisée et restrictive. En clair, si menace il y a, "elle vise clairement les marchands de sommeil qui représentent un segment infime du marché locatif (5 à 6%). Il n'est nullement question d'instituer un dispositif d'encadrement contraignant des loyers".
Les dispositions organisant l’action en révision pour loyer abusif devant le juge de paix n'entreront en vigueur qu'ultérieurement, lorsque la grille des loyers aura atteint un niveau plus satisfaisant en termes de représentativité et de fiabilité.
Enfin, il est "totalement exclu d’apprécier la justesse d’un loyer en fonction des revenus du locataire", rassure encore la députée bruxelloise face aux craintes esquissées.
Le SNPC souligne que les loyers abusifs ne représentent que 10% du marché privé, et des recours sont déjà prévus dans ce cas: le juge de paix peut réduire un loyer au nom de troubles de jouissance.
Proposer un conventionnement aux propriétaires-bailleurs
Le conventionnement est un engagement que prend le bailleur de louer un logement qui répond à plusieurs conditions: loyer raisonnable (pourcentage repris dans la grille), exigences en matière de sécurité, de salubrité et d’équipement, et autres (notamment contrat de bail enregistré).
L’objectif est d’inciter les bailleurs à se conventionner en leur octroyant en échange d'avantages, comme l’accès aux primes à la rénovation, en plus des primes énergie. Plus la remise sur le loyer est élevée et plus l’aide sera conséquente.
Ce type d’engagement peut pourtant déjà être pris dans le cadre des Agences immobilières sociales (AIS). "Certes, mais il est alors beaucoup plus restrictif", observe Joëlle Maison. Via une AIS, un propriétaire privé accepte de donner son bien en location pour une période de 9 ans à un loyer très abordable (en général 25% moins cher, mais parfois jusqu’à 40%) et bénéficie en échange d’une gestion locative complète assurée par l’AIS, ainsi que d’avantages fiscaux et financiers.
Via le conventionnement, le propriétaire conserverait davantage de marge de manœuvre puisqu’il resterait maître du loyer pratiqué (pourvu qu'il soit conforme à la grille), de la gestion de son bien, de la durée du bail, etc. "C'est une manière intelligente d’associer le privé à la politique du logement. Le bailleur pratique un loyer plus en phase avec les revenus des locataires (et risque donc moins de faire face à des impayés), il peut mettre son bien en conformité avec les normes énergétiques (qui seront de plus en plus strictes) en bénéficiant d’incitants, mais aussi améliorer son confort et sa qualité grâce aux primes à la rénovation."
La constitution d’un Fonds "assurance loyer garanti" destiné à protéger les bailleurs conventionnés est également envisagée. Joëlle Maison doute toutefois de la possibilité de financer un tel fonds. Cela ne devrait donc pas être pour tout de suite.
Alors que 90% des expulsions sont motivées par des arriérés de loyers, le fait d'envisager que l'accès au Fonds "assurance loyer garanti" soit réservé aux seuls propriétaires conventionnés (lire encadré) constitue une "discrimination manifeste" aux yeux du SNPC.
Le SPNC voit surtout dans ces mesures "une façon, à terme, de contrecarrer la hausse des loyers". Il souligne que la plupart des bailleurs pratiquent déjà des prix raisonnables et donnent en location des biens qui répondent aux exigences en termes de sécurité, salubrité, équipement, etc. "Pourquoi donc devraient-ils être conventionnés pour bénéficier d’avantages (supplémentaires)?"
Instaurer un droit de préférence pour le locataire en cas de vente
Le PUL propose d'accorder un droit de préférence au locataire en cas de vente du logement qu'il occupe. En pratique, suivant une procédure inspirée de celle pratiquée en France, le bailleur qui souhaite vendre son bien devrait adresser à son locataire un congé de 6 mois et lui indiquer le prix et les conditions de la vente. Le locataire disposerait d'un délai de 2 mois pour faire une offre. Si le propriétaire refuse et que le bien est ultérieurement vendu à un tiers à un prix inférieur, une nouvelle offre devrait être soumise au locataire qui aurait un mois pour se prononcer.
Le SNPC déplore les retards importants et les incertitudes que de telles obligations entraîneraient. En outre, "rien ne dit que le nouveau propriétaire, s’il souhaite faire un placement, ne conserverait pas le locataire. Et comment appliquer strictement cette règle si l’immeuble comprend plusieurs appartements ou colocataires (comme c'est très souvent le cas à Bruxelles) ?
Joëlle Maison concède que "cela rallongerait le processus", mais observe qu'en France où il est d'application, "cela ne suscite aucune polémique. C'est considéré comme une forme de politesse". Dans certains cas, poursuit-elle, "vendre à un locataire qui connaît bien l'immeuble ou le logement peut à l'inverse présenter des avantages et permettre de faire l'économie d'une série de démarches".
"Certaines précautions et nuances devraient évidemment être apportées. Il n'est par exemple pas question d’interdire que le bien reste dans la famille (donation, succession, vente)", a précisé la secrétaire d'État bruxelloise au Logement, Nawal Ben Hamou, lors d'un débat sur BX1.
S’agissant de favoriser l’accès à la propriété, rappelons que la portabilité des droits d’enregistrement, une mesure simple qui a déjà fait la preuve de son efficacité et de sa pertinence, n’est à ce jour en vigueur qu’en Flandre. En janvier 2020, les informateurs royaux Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens, avaient manifesté l’intention de la généraliser…
En Région flamande, celui qui vend son bien pour en acheter un autre est dispensé de payer les droits d’enregistrement de sa nouvelle propriété. Il doit toutefois introduire une demande pour obtenir la déduction de droits déjà payés lors de son premier achat, à hauteur de 12.500 euros maximum (montant indexé).
En Wallonie, la portabilité des droits d’enregistrement doit théoriquement être instaurée cette année au plus tôt, dans le cadre d’une réforme globale des droits d’enregistrement.
À Bruxelles, DéFi qui bataille depuis des années en vue de l’instauration d’une telle mesure, a encore remis le couvert en novembre 2020, mais, compte tenu du contexte budgétaire délicat, il ne faut rien attendre cette année en tout cas.