Les taux d’intérêt pour les crédits hypothécaires sont, depuis des années, extrêmement bas. Fin 2019, les records de plus bas historiques se sont enchaînés, le taux fixe à 20 ans passant sous le seuil symbolique de 1%. Après une pause suite au confinement lié à la crise du coronavirus, voire une légère remontée des taux, les voilà qui, depuis la mi-mai, repartent à la baisse. Fin juin, Argenta a offert un taux fixe négocié de 0,89% pour un crédit à 20 ans, puis CBC, qui détient un nouveau record, a accordé un taux fixe négocié à 0,85% pour le même type de crédit. Mais ces baisses profitent-elles vraiment à tous les clients? Comment les expliquer alors que nous sommes dans un contexte de crise? Eléments de réponse.
Pourquoi les taux baissent-ils encore?
Cela s’explique de deux façons, indique l’économiste d’ING Philippe Ledent: à la fois par des éléments macroéconomiques et des éléments propres au marché du crédit hypothécaire. Il détaille: "Sur le plan macroéconomique, on a vu un léger frémissement à la hausse en avril-mai, qui correspond à la période où les primes de risques sur emprunts souverains d’Etat avaient un peu augmenté. On avait effectivement vu que l’OLO belge à 10 ans était remontée, surtout sous la pression des primes de risque. Et puis, durant cette période, la BCE s’est montrée de plus en plus agressive: elle a annoncé son fameux plan à 750 milliards d’achats d’actifs, qu’elle a augmenté de 600 milliards un peu plus tard. On a donc vu que l’ensemble des primes de risques des Etats de la zone euro se sont comprimées, tout comme l’OLO belge à 10 ans. On a dès lors eu le même mouvement sur les taux d’emprunt à long terme."
À côté de cela, il y a probablement un effet du marché du crédit hypothécaire, qui est soumis à une concurrence accrue, pointe l’économiste. "Le client en est gagnant car, finalement, le taux d’intérêt est le reflet de la concurrence exacerbée entre les banques."
"Le client en est gagnant car, finalement, le taux d’intérêt est le reflet de la concurrence exacerbée entre les banques."
BNP Paribas Fortis (BNPPF), leader du marché belge des crédits hypothécaires, explique cette baisse des taux également par la politique monétaire menée par la BCE. "Celle-ci conserve des taux extrêmement bas, ce qui permet aux établissements bancaires de bénéficier de conditions de refinancement encore exceptionnelles avec des taux obligataires à nouveau négatifs", souligne Valéry Halloy, son porte-parole.
Quels clients profitent de ces baisses de taux?
Les taux d’intérêt offerts aux clients des banques ne dépendent pas uniquement des taux d’intérêt à long terme, en l’occurrence l’OLO belge à 10 ans chez nous, et du marché concurrentiel entre les banques elles-mêmes. "Cela dépend aussi dans une large mesure du cas individuel du client. Le choix du client quant à la formule choisie (taux variable ou fixe) et la durée du crédit va déjà déterminer son taux. Le taux est également fonction du profil de risque de l’emprunteur, de sa capacité de remboursement, de son historique avec la banque, de ses fonds propres, de son projet immobilier, etc. Pour la banque, il est important de trouver un équilibre entre les différents facteurs", détaille Valéry Halloy.
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"Les banques offrent de très bonnes conditions aux profils sans risque, avec des taux très bas, et ont donc très peu de marge sur ces dossiers."
Vous l’aurez compris, ces taux exceptionnellement bas profitent surtout aux meilleurs dossiers, pour lesquels les banques se livrent à une concurrence accrue afin de capter et garder ces bons clients chez elles. "Les banques offrent de très bonnes conditions aux profils sans risque, avec des taux très bas, et ont donc très peu de marge sur ces dossiers", confirme le courtier en crédits hypothécaires chez Segers & Associés, Patrick Segers, qui ajoute: "Ce sont surtout des clients qui achètent une habitation propre, pas spécialement les investisseurs, qui obtiennent ces très bons taux."
Quels clients se voient refuser l’accès au crédit hypothécaire?
Mais tous ceux qui achètent un bien propre ne sont pas logés à la même enseigne. En effet, les primo-acquéreurs, qui ne disposent pas toujours de beaucoup de fonds propres, voient l’accès au crédit se durcir depuis le début de l’année.
Les banques leur refusent désormais un plus grand nombre de prêts hypothécaires, suite aux mesures prises par la Banque nationale de Belgique (BNB) au 1er janvier 2020 afin de limiter l’exposition des banques à des crédits défaillants. Le bureau de conseil Immotheker Finotheker a d’ailleurs chiffré dans une étude l’impact de ces mesures sur les primo-acquéreurs: 10% à 15% d’entre eux n’ont plus d’accès au crédit hypothécaire depuis le début de l’année.
Ils ne peuvent plus, depuis le 1er janvier, emprunter plus de 90% du montant de l’achat et doivent disposer de 10% de la valeur du bien, ainsi que du montant des frais annexes (droits d'enregistrement/TVA, frais de notaire, hypothèque…). Cela dit, la BNB laisse toutefois une marge aux banques concernant les primo-acquéreurs: 35% des crédits qui leur sont accordés pourront dépasser la quotité de 90%. 5% de ces crédits pourront même dépasser la quotité de 100%.
Mais ces jeunes ménages qui empruntent pour la première fois ne disposent pas souvent des ressources financières suffisantes pour financer elles-mêmes les 10% manquants et les frais annexes.
"Chaque banque détermine sa propre politique, mais, dans la pratique, les banques et les assureurs réservent ces 35% aux revenus supérieurs. Ils n'autorisent rarement, voire jamais, des quotités (le rapport entre le montant emprunté et la valeur du bien) supérieures à 100%", analyse le bureau de conseil.
"Les dossiers n’ayant pas du tout de fonds propres pour les frais de notaire reçoivent aujourd’hui majoritairement des refus."
Les crédits immobiliers sont plus chers, car les banques ont augmenté leurs marges bénéficiaires, indique encore Immotheker Finotheker. Les primo-accédants qui contractent un prêt avec une quotité supérieure à 90% doivent en outre souvent payer une majoration d'intérêt aux banques, par rapport aux acheteurs qui peuvent emprunter avec une quotité de 80% ou moins. Patrick Segers ne dit pas autre chose: "Les banques vont chercher leur marge sur les moins bons profils puisqu’elles prennent plus de risques, compensant donc le très peu de marge qu’elles se font sur les bons dossiers. Les dossiers n’ayant pas du tout d’injection de fonds propres pour les frais de notaire reçoivent aujourd’hui majoritairement des refus."
Des critères d’acceptation renforcés?
Les banques n’ont, sur papier, pas changé leurs critères d’octroi. "Les critères sont identiques à avant la crise du coronavirus, mais indirectement, les banques sont plus exigeantes au moment de prendre la décision si oui ou non le crédit est accordé, si vous avez un profil un peu trop risqué", indique Patrick Segers.
"Certains clients dont les revenus sont impactés par la crise devront plus que probablement postposer leur projet immobilier et attendre un retour à une situation financière plus normale."
"La crise sanitaire n’a pas modifié nos critères d’octroi, notre comportement ou notre méthode de calcul. Mais certains clients dont les revenus sont impactés par la crise devront plus que probablement postposer leur projet immobilier et attendre un retour à une situation financière plus normale", ajoute de son côté le porte-parole de BNPPF. Chez Belfius, on explique qu’en effet, "depuis la crise du Covid-19, une attention particulière est accordée à la stabilité des revenus et au niveau de réserves qui permettraient à l’emprunteur (aux emprunteurs) de compenser une perte de revenus temporaire".
Est-ce toujours le moment de refinancer son emprunt?
Les taux restant très bas, on aurait tendance à dire: profitez-en pour refinancer votre prêt. Mais en réalité, l’opération ne sera avantageuse que si elle répond à toute une série de critères. En effet, il faut prendre en compte les coûts liés au refinancement, autrement dit les frais de dossier et frais de notaire qui peuvent être élevés si vous changez de banque (frais de mainlevée). Par exemple, pour un refinancement de 200.000 euros, les frais de mainlevée s’élèvent à 1.000 euros et ceux de l’inscription hypothécaire à 5.000 euros. Si le montant refinancé dépasse les 300.000 euros, les frais d’inscription sont quasiment multipliés par deux, soit 10.000 euros. Les frais de dossier, eux, varient d’une banque à l’autre, mais comptez environ 250-300 euros en moyenne. Si le refinancement raccourcit la durée du crédit, votre banque peut vous demander une indemnité de remploi, s’élevant à 3 mois d’intérêts.
Un refinancement ne se justifie donc que si tous ces frais sont inférieurs au bénéfice apporté par la baisse du taux qui vous sera proposé par la banque. Pour cela, on dit souvent qu’il doit y avoir une différence d’au moins 1% entre l’ancien et le nouveau taux, et que la durée du crédit soit encore d’au moins 10 ans.
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