Retour sur les faits qui ont marqué l’actualité il y a quelques semaines. Un patient doit se faire opérer et son médecin l’informe qu’il devra prendre une chambre individuelle, sinon il ne pratiquera pas l’intervention car ça "ne l'intéresse pas." Variante: le médecin fait signer au patient un document dans lequel il s’engage préalablement à accepter les suppléments d’honoraires, ou encore un formulaire d’admission prérempli où la case chambre individuelle est cochée. L’enjeu de ces pratiques "borderline", ce sont les suppléments d’honoraires.
"Le problème c'est que les suppléments d'honoraires ne peuvent être demandés que si le patient séjourne en chambre individuelle. Or, on ne peut forcer le patient à opter pour une telle chambre. Les médecins non-conventionnés se trouvent ainsi dans une situation schizophrénique."
Lorsqu’il arrive à l’hôpital, le patient signe une déclaration d'admission qui mentionne notamment le type de chambre qu’il a choisi. Aujourd’hui, près du quart des patients optent pour une chambre individuelle, s’exposant ainsi indirectement à une facture jusque trois voire quatre fois plus élevée.
Mais pourquoi? Les soins prodigués étant théoriquement identiques quelle que soit la chambre, est-ce vraiment le prix à payer pour davantage de confort et d’intimité? Ce sont en tout cas les critères qui motivent le choix de nombreux patients.
Un luxe qu’ils peuvent se permettre s’ils ont une assurance hospitalisation qui rembourse jusqu’à 200 voire 300% de suppléments d’honoraires. Mais pourquoi est-il question de suppléments d’honoraires… alors que le choix porte sur une chambre? Pourquoi une telle différence sur la facture finale lorsqu’on opte pour la chambre seule plutôt que pour une chambre commune ou à deux lits?
"Il faut avouer que la situation n’est vraiment pas claire pour le patient. Mais elle est carrément schizophrénique pour les médecins", cadre d’emblée Gilbert Bejjani, président de l’Association belge des syndicats médicaux (Absym) à Bruxelles.
Conventionné... ou non
La grande majorité des médecins sont conventionnés, c’est-à-dire qu’ils respectent les tarifs officiels fixés par l’Inami. Ceux qui sont non-conventionnés, et ont donc fait le choix d’une médecine libérale, fixent eux-mêmes leurs tarifs. Dans ce cas, qu’il s’agisse de soins ambulatoires ou hospitaliers, le patient paie des suppléments d’honoraires en plus du ticket modérateur (NDLR, la partie des frais médicaux qui reste à sa charge après le remboursement par la mutuelle). Voilà pour le principe.
"Les suppléments d'honoraires sont interdits pour les patients admis aux urgences et aux soins intensifs puisqu'en pareilles circonstances, ils n'ont bien sûr pas le choix du médecin qui les prendra en charge ni du type de chambre qu'ils occuperont."
Aujourd’hui, le problème c’est que dans le cadre d’une hospitalisation, les suppléments d’honoraires ne peuvent plus être réclamés que si le patient séjourne en chambre individuelle (cela reste donc possible pour le médecin conventionné également: le régime de chambre étant l’exception qui lui autorise cela!). Le problème c'est qu'un médecin non-conventionné ne peut pas obliger un patient à prendre une telle chambre! Une situation tordue qui génère des malentendus et/ou suscite l’indignation.
"L’hôpital doit bien sûr proposer des alternatives à un patient qui refuserait la chambre individuelle, mais la liberté doit s’appliquer de part et d’autre, observe le Dr Bejjani, pour autant que les règles soient respectées. En Belgique, l’offre médicale est en effet assez exceptionnelle. Le patient est totalement libre de consulter le médecin qu’il veut, d’en consulter plusieurs et d’en changer s’il n’est pas satisfait. Il paraît donc logique que, de son côté, un médecin puisse, s’il le souhaite, demander des suppléments d’honoraires."
Relation de confiance
Plus de la moitié des Belges trouvent cependant anormal de payer des suppléments d'honoraires liés à une chambre simple, ressort-il d'une enquête menée par le bureau d'études de marché Profacts.
Est-il normal que les hôpitaux facturent des suppléments en fonction du type de chambre? Les avis d'un millier de Belges, interrogés en ligne début mars, divergent sur la question. Payer un supplément pour la chambre individuelle elle-même est relativement accepté. Par contre, plus de la moitié des Belges "ne comprennent pas" qu'on leur impose des suppléments d'honoraires lorsqu'ils optent pour une chambre simple, pointe l'étude.
Soyons de bon compte, lorsqu’un patient doit se faire opérer, il souhaite en général être pris en charge par le médecin qu’il consulte depuis longtemps, qui connait bien son dossier, et avec qui il a établi une relation de confiance. Si ce médecin n’est pas conventionné, il doit donc le savoir… "Il est toutefois important que le médecin fasse preuve de transparence, qu’il remette un devis et qu’il justifie en quelque sorte le montant de ses honoraires", souligne le Dr Bejjani.
Les suppléments d’honoraires sont interdits pour les patients admis aux urgences ou en soins intensifs puisqu’en pareilles circonstances, ils n’ont bien sûr pas le choix du médecin qui s’occupera d’eux, ni du type de chambre.
Pour résumer la situation, si des pratiques abusives qui reviennent à prendre le patient en otage ne peuvent évidemment jamais être exclues, elles restent assez marginales. Et ces suppléments d’honoraires, une fois remis dans leur contexte, ne paraissent plus forcément aussi injustifiables ou surfaits qu’il pourrait y paraître de prime abord. Pour une série de raisons.
A qui profitent ces suppléments?
Les suppléments ne tombent en effet pas intégralement dans la poche du médecin, mais le problème, c'est que cela n’apparaît pas clairement. "La faute à la facture d’hôpital qui mentionne les suppléments d’honoraires, mais rarement le financement de l’hôpital auquel ils contribuent. L’hôpital ponctionne en effet des frais – aussi bien sur l’honoraire officiel que sur les suppléments – pour la location des cabinets de consultation, l’achat du matériel et des instruments, mais aussi pour l’investissement dans des appareils technologiques dernier cri, etc. Et ces prélèvements n’ont cessé de croître!", précise Gilbert Bejjani.
"Jadis, la liberté tarifaire des médecins non conventionnés s’appliquait à l’hôpital comme à l’extérieur et celle des conventionnés uniquement en chambre individuelle là où les hôpitaux avaient et ont toujours la possibilité de facturer un service hôtelier de 150 à 250 euros la nuit pour la chambre", explique en substance Gilbert Bejjani. Cela avait le mérite d’être clair.
Tarif Inami
Il faut aussi savoir que le tarif Inami est le même pour tous les médecins, quels que soient leur expérience, leur âge, leurs compétences, leur renommée, leur degré de disponibilité, les horaires auxquels ils acceptent de consulter (parfois tard en soirée) au détriment de leur qualité de vie, le temps qu’ils consacrent à la formation ou à des colloques, le degré de sophistication des technologies qu’ils utilisent, etc. Tout cela a aussi un prix.
Certains médecins ont la possibilité de pratiquer (quasi) exclusivement en ambulatoire. C'est notamment le cas des dermatologues, par exemple. S’ils ne sont pas conventionnés, les suppléments d’honoraires leurs reviennent intégralement.
A l’inverse, certains spécialistes, comme un anesthésiste ou un urgentiste par exemple, travaillent par essence exclusivement en milieu hospitalier où les suppléments d’honoraires sont dans certains cas interdits (aux urgences, en soins intensifs), et sinon uniquement autorisés en chambre individuelle (NDLR, pour tous les médecins, qu’ils soient conventionnés ou non, c’est une exception) et d’office partiellement ponctionnés par l’hôpital. Il y a alors une sorte de discrimination entre l’hôpital et l’ambulatoire.
Pour savoir si un médecin est conventionné, consultez les outils en ligne des mutuelles ou de l'Inami.
"Sans compter le fait que pour quelques prestations, les tarifs officiels de l’Inami sont dérisoires et sans aucune mesure avec le travail accompli, la responsabilité, et le temps ou le coût qu’elles représentent", ajoute le médecin. Vu sous cet angle, il parait normal que, même s’il n’est pas forcément LE grand spécialiste de la discipline, un médecin puisse facturer des suppléments. C’est une manière de valoriser le travail qui est réalisé, au-delà du tarif fixé.
Le patient qui veut être opéré par le médecin qu’il connaît (plutôt que par son assistant), par celui qui a la meilleure réputation ou dans le service qui dispose des technologies les plus récentes doit donc aussi accepter d’en payer éventuellement le prix.
"Une étude consacrée aux soins ambulatoires, publiée récemment par Solidaris révèle d’ailleurs qu'apparemment, les patients apprécient/ne regardent pas à consulter des médecins non conventionnés, puisqu’il apparaît que ces derniers trustent 48% de l’activité ambulatoire, alors qu’ils ne représentent que 17% du corps médical…" CQFD?