Pour Google, les informations sur les comptes en banque constituent une véritable mine d’or. Si ce moteur de recherche sait que vous avez acheté un produit, il ne vous enverra plus de publicités à son sujet.
La nouvelle directive européenne sur les opérations de paiement, connue des initiés sous le nom de PSD2 (Payment Service Directive 2), succède à la PSD1, qui avait été instaurée il y a dix ans pour rendre le marché des paiements plus performant et plus uniforme à l’échelle de l’Union européenne. "La PSD2 est mise en œuvre en deux vagues", précise Saar Carré, spécialiste des opérations bancaires quotidiennes chez Febelfin, la fédération belge du secteur financier. "L’an dernier, le lancement du premier volet concernait surtout la protection des consommateurs."
En septembre 2019, le second volet va révolutionner la "banque de papa". Les institutions financières seront en effet tenues de mettre les informations sur les comptes de leurs clients à la disposition d’opérateurs de paiement tiers, les "third party payment providers". Cette ouverture est toutefois soumise au respect de deux conditions importantes: le client doit y donner son consentement et l’opérateur tiers doit demander un agrément à la Banque nationale.
Que peuvent faire les tierces parties des informations sur votre compte en banque? La PSD2 leur permet de traiter des opérations de paiement. Les premiers signes sont déjà visibles, par exemple pour les paiements avec Payconiq. Payconiq est un système de paiement électronique qui vous permet déjà de régler vos paiements chez le boulanger ou le boucher car il a obtenu l’accès aux informations de votre compte chez ING ou Belfius notamment.
Une deuxième application en plein essor est la possibilité pour les apps de certaines banques – Belfius, KBC/CBC et BNP Paribas Fortis – d’afficher les informations de vos comptes dans d’autres banques. Si vous êtes titulaire d’un compte dans plusieurs banques, vous ne devez ouvrir qu’une seule app pour en avoir un aperçu complet. Vous pouvez ainsi effectuer directement des paiements à partir de ces différents comptes.
Gain de temps?
En théorie, cette approche doit faciliter la tâche des utilisateurs et leur faire gagner du temps. Mais la pratique conduit à une appréciation plus nuancée. Nous avons testé l’app de KBC, où nous avons tenté d’afficher des informations de comptes détenus chez Argenta et BNP Paribas Fortis. La connexion avec Argenta n’a jamais été établie, même après plusieurs tentatives. En revanche avec les deux comptes chez BNPP, la liaison a fonctionné. Ils se retrouvent donc à présent dans notre app KBC.
Problème: les informations sur les comptes BNPPF ne sont pas affichées en temps réel, contrairement à celles des comptes KBC. L’app doit donc établir la liaison à chaque fois. C’est fastidieux. Et d’autant moins commode qu’il faut utiliser votre bon vieux lecteur de cartes. Ce qui annule le gain de temps généré par le regroupement de tous les comptes dans une seule app. Pire, ouvrir les différents comptes dans leur app respective reste bien plus rapide.
"C’est vrai. Il faut encore utiliser le lecteur de cartes pour afficher des informations actualisées, mais la technologie continue à évoluer, fait remarquer Saar Carré. Il est probable que nous pourrons bientôt utiliser l’app publique Itsme et abandonner ainsi le lecteur de carte."
Google Bank
Les initiatives en matière de paiements ne sont guère nombreuses à l’heure actuelle. Or, la PSD2 est censée favoriser la multiplication des innovations en la matière. "Le problème est que les banques ne sont pas très enthousiastes à l’idée de partager leurs données avec d’autres. Elles veulent contrecarrer la concurrence le plus longtemps possible", souligne Johan Luyts, senior consultant de la firme AE Consultants à Louvain. "Leur réaction future dépendra surtout du rôle précis qu’elles veulent jouer. Chacune devra déterminer son propre positionnement. Aujourd’hui, les banques se distinguent à peine les unes des autres et proposent les mêmes produits et services."
"Les banques qui veulent vraiment sortir du lot avec une offre variée de services achèteront les Fintech les plus prometteuses pour améliorer leur propre plateforme."
"Les banques qui veulent vraiment sortir du lot avec une offre variée de services numériques devront investir des moyens considérables. Ce n’est pas évident pour de petites banques. Les entreprises Fintech voient leur force de frappe fortement limitée par le fait qu’elles n’ont pas accès à de véritables services bancaires. Mais les banques rachèteront les plus prometteuses de ces entreprises innovantes pour améliorer leur propre plateforme."
Selon Johan Luyts, ce sont surtout les grands acteurs technologiques qui ont la capacité d’ouvrir le paysage bancaire. Des entreprises comme Google, Amazon et Facebook voient la PSD2 comme un levier pour proposer des services de paiement en Europe. Ainsi, Google et Facebook ont déjà obtenu des licences en Irlande. Google dispose également d’une licence en Lituanie. De son côté, la firme chinoise Alipay – propriété du géant du commerce électronique Alibaba – a décroché un agrément au Luxembourg.
"Pour de telles entreprises, les données sous-jacentes aux comptes et aux informations de paiement valent bien entendu de l’or, fait remarquer Johan Luyts. Comme l’illustre cet exemple personnel: j’ai acheté récemment un soundbar. J’ai commencé par rechercher des informations sur Internet avant de faire mon achat. Alors que je dispose à présent d’un soundbar, Google continue à m’inonder de publicités sur ce type d’appareils. Si ce moteur de recherche savait que l’achat est déjà fait, il agirait de manière beaucoup plus efficiente."
Febelfin estime également que l’entrée de géants technologiques américains ou chinois sur le marché des paiements en Belgique est envisageable dans quelques années. "Mais voient-ils notre pays comme un marché attractif? Nous l’ignorons, remarque Saar Carré. Ils devront l’étudier au cas par cas. Dans un premier temps, on peut s’attendre à ce que les entreprises de ce genre proposent des services de paiement relativement simples. Pour être une véritable ‘banque’ qui proposent des prêts et des produits d’épargne, elles devront obtenir des licences spécifiques et se soumettre à une série de règles complexes."
De leur côté, les banques pourraient également utiliser leurs données de manière plus efficiente, estime Johan Luyts. "Supposons que Belfius sache que mes paiements relatifs à l’énergie sont beaucoup plus élevés que ceux d’autres personnes avec un profil similaire. Elle pourrait me suggérer de changer de fournisseur d’énergie. Ou me proposer un prêt pour isoler mon logement."
Confiance
Si les entreprises technologiques veulent percer dans le secteur bancaire, elles devront sans doute investir dans la confiance du client. Après les scandales liés aux violations de la vie privée commises par Facebook et d’autres, la plupart des Belges ne sont certainement pas enclins à partager les informations sur leurs comptes avec de tels opérateurs, comme le révèle une enquête de la KBC auprès de 1.200 personnes. Ainsi, ils sont 80% à déclarer qu’ils refuseront toujours d’accorder l’accès à leurs données financières aux réseaux sociaux, mais aussi aux entreprises Internet (62%), aux entreprises d’e-commerce (46%), aux Fintech (36%) et aux entreprises commerciales (33%).
Les "vraies" banques s’en sortent beaucoup mieux: seuls 11% des personnes sondées ne souhaitent pas qu’elles voient les informations sur leurs comptes.
"J’analyse ces chiffres de manière plus optimiste, répond Johan Luyts. Selon moi, les jeunes (20-30 ans) sont beaucoup plus enclins à partager leurs données financières, à condition de recevoir quelque chose en retour. Moins de publicités pour des objets qu’ils possèdent déjà par exemple."