"On achète une vache pour son lait. Une poule pour ses œufs. Et une action pour son dividende, bon sang!" L’expression sort tout droit du livre "The Theory of Investment Value", de John Burr Williams, paru en… 1938. Pour sûr, cet homme savait quel est l’effet des dividendes sur un portefeuille à long terme. Crédit Suisse a ainsi calculé que depuis 40 ans, 40% des gains en Bourse proviennent du bénéfice que les entreprises ont distribué.
Si on réinvestit ces dividendes dans l’achat supplémentaire d’actions, la différence est gigantesque. Le super investisseur légendaire John Bogle, fondateur de la société de fonds Vanguard, a chiffré qu’un portefeuille composé des 500 plus grosses valeurs américaines a rapporté en moyenne 6,1% par an depuis 1926 si on consomme les dividendes et 10,4% si on les réinvestit. La différence ne semble pas énorme à première vue, mais elle l’est en chiffres réels. Nous l’avons calculée pour vous: un portefeuille de 10.000 dollars en 1926 et qui n’a pas réinvesti les coupons perçus vaudrait aujourd’hui 2,06 millions de dollars. C’est déjà pas mal, bien sûr, mais avec les coupons réinvestis, l’investissement de départ procurerait aujourd’hui une fortune de 73,7 millions de dollars…
La perspective de taux d’intérêt un peu plus élevés ne constitue donc pas un danger pour les actions offrant un beau dividende. Certes, ces entreprises perdraient un peu de leur attrait par rapport aux obligations d’État, mais il faudrait que les taux d’intérêt explosent avant que le papier à taux fixe ne rapporte plus que les actions. Et aucun analyste ne prévoit un tel scénario pour le moment.
Même si les taux d’intérêt à long terme doublaient à 1%, le rendement moyen des dividendes, actuellement de 3,2% brut en Bourse de Bruxelles (hors actions sans dividende), resterait toujours plus intéressant. Les dividendes augmentent le pouvoir d’achat, alors que le rendement maigrichon de 0,11% d’un livret d’épargne ne couvre même pas l’inflation.
Qui dit taux d’intérêt en hausse, dit évidemment alourdissement des charges financières pour les entreprises. Ce qui met leur profitabilité sous pression, surtout si elles sont fort endettées. Des bénéfices en baisse peuvent à leur tour peser sur les dividendes. Mais n’exagérons pas ce problème: l’économie est assez robuste pour faire face à des taux d’intérêt un peu plus élevés. Beaucoup d’entreprises ont par ailleurs allongé la durée d’une bonne partie de leur endettement ces dernières années, profitant des taux bas. Les conséquences d’un réveil des taux sur les résultats seront par conséquent étalées dans le temps.
Michel le trouble-fête
Plus important encore: un dividende n’est pas statique. Si on achète une obligation d’État à dix ans, on touche chaque année le même coupon. Par contre, une entreprise en croissance qui réalise de beaux bénéfices va augmenter son dividende. En 2017, pas moins de 7 entreprises cotées à Bruxelles sur 10 ont choyé leurs actionnaires avec un coupon brut en hausse. Le gouvernement Michel a cependant joué les trouble-fêtes en relevant l’an dernier le précompte mobilier, de 27 à 30%. Du coup, le taux d’entreprises ayant réellement augmenté leur dividende net n’est plus que de 38%. Avec le relèvement du précompte mobilier, une entreprise doit en effet augmenter son dividende brut de 5% pour que l’actionnaire perçoive la même chose en net. Certaines s’en sont d’ailleurs explicitement excusées, comme le holding Sofina, qui augmente son coupon brut systématiquement chaque année depuis sa création en 1956, mais qui a dû verser en 2017 un coupon net identique à celui de 2016.
Sur les Bourses étrangères aussi, les dividendes ont progressé. Le gestionnaire de fonds Janus Henderson pointe une croissance de 7% en moyenne en 2017, la plus forte hausse en trois ans.
Dans la durée
Si l’on cherche des actions de sociétés qui gâtent spécialement leurs actionnaires, il est essentiel de contrôler si les dividendes sont durables. Concrètement, il faut évaluer les chances que l’entreprise continue à payer un coupon identique ou plus élevé dans les prochaines années. Celles qui ne distribuent qu’une petite part de leur bénéfice disposent de plus de marge pour éviter de devoir couper dans leur coupon lorsque les affaires vont moins bien.
Parmi les entreprises au dividende solide, on retrouve des valeurs qui possèdent aussi un cash-flow relativement sûr, comme Elia, Bpost, Solvay, Econocom, Recticel, Melexis ou encore Ter Beke. Une entreprise comme Proximus distribue la quasi-totalité de son bénéfice net et des sociétés comme Van de Velde ou GBL distribuent même plus que leur bénéfice annuel. Et le holding a juré ses grands dieux qu’il ne coupera pas dans son dividende. Les nouveaux investissements de GBL dans des entreprises de croissance devraient compenser d’ici quelques années les revenus de trésorerie que lui apportaient les actions à dividende vendues.
Les entreprises qui promettent explicitement qu’elles augmenteront leur dividende captent aussi l’attention. La stratégie du holding congolais Texaf est d’augmenter son coupon d’un cinquième chaque année. Le promoteur immobilier Immobel annonce, pour sa part, 2 euros comme dividende de départ après la fusion avec Allfin et va essayer d’augmenter son coupon annuel de 4 à 10% dans les prochaines années. Certaines entreprises pourraient aussi nous étonner en réinstaurant le paiement d’un dividende. Le patron de Telenet, John Porter, a ainsi affirmé que "Telenet n’a pas l’habitude d’un bilan paresseux". Si le groupe de télécommunications n’a pas de reprises en vue, un coupon royal pourrait en découler. Son concurrent Orange a déjà repris le paiement d’un dividende en 2017.
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Avec les entreprises dont le gouvernement est l’actionnaire principal, l’investisseur particulier est relativement sur du velours. Comme l’État compte sur ces revenus, il y a relativement peu de chances en effet que Bpost, Proximus ou GIMV réduisent leur dividende.
Il n’en va pas de même du côté des valeurs très cycliques par contre. Celles-ci ont souvent comme stratégie de distribuer une partie fixe de leur bénéfice. L’armateur pétrolier Euronav essaie par exemple de verser 80% du bénéfice à ses actionnaires, mais vu le malaise sur le marché des tankers, le coupon sera sans doute retardé en 2018.
La société d’investissement Quest for Growth, de son côté, est légalement tenue de distribuer 80% de son bénéfice. Mais s’il n’y a pas de plus-values une année, le rendement retombera à zéro cette année-là.
Cela vaut aussi la peine de jeter un œil au-delà de nos frontières. L’inconvénient est qu’il faut alors payer deux fois l’impôt: d’abord à l’étranger, ensuite 30% en Belgique sur ce qui reste. Pour les actions néerlandaises, il y a cependant de fortes chances que ce ne sera bientôt plus le cas: le nouveau gouvernement néerlandais a l’intention de supprimer l’impôt de 15% sur les dividendes. Les dividendes les plus intéressants dans l’indice AEX d’Amsterdam se retrouvent chez Shell, Aegon, NN Group, ING, ABN Amro et le demi-Belge Ahold Delhaize. Le nouveau gouvernement néerlandais réaliserait ainsi en partie la promesse faite en 2006 par notre ancien premier ministre Guy Verhofstadt de supprimer cette discrimination fiscale.