Le financement participatif est à la mode et, en apparence, plutôt rémunérateur. Une formule qui permet de commencer petit, d’accéder à des projets analysés et présélectionnés par des professionnels, d’obtenir des rendements attractifs, d’investir dans l’économie réelle, d’avoir la possibilité de pousser des entreprises locales et des projets de proximité… De quoi redonner du sens autant que des perspectives à son épargne.
"Sur papier, la formule est intéressante. Vu les conditions de marché actuelles – 0,11% sur les comptes d’épargne et le taux de référence des Bunds à 10 ans qui est dans le rouge – les rendements qui varient de 3 à 12% selon les projets, sont attrayants", confirme Benjamin Ingelrest, Senior Financial consultant chez Pareto. "Mais ne perdez jamais de vue que le rendement attractif, c’est le prix du risque que vous prenez."
Bien que récent (les premières plateformes ont fait leur apparition voici quelques années), le crowdlending s’est rapidement ouvert aux acteurs de l’immobilier. Et la Loi Prospectus (juillet 2018) qui a relevé de 300.000 euros à 5 millions d’euros le seuil des offres au public exemptées de prospectus a ouvert davantage le jeu.
Pour l’heure, Look & Fin, qui dispose de l'agrément de la FSMA, reste de loin le plus gros acteur du secteur (70% des projets de crowdlending, dont un certain nombre sont relativement importants, en immobilier notamment).
En 2016 déjà, le Groupe GIA Immo avait fait appel au prêt participatif via la plateforme Look & Fin pour développer son projet "Les terrasses de Gatti" à Uccle. Un montant de 500.000 euros avait alors été levé en 16 heures. Les prêteurs, tous des particuliers, s’étaient rués sur cet investissement affichant un taux d’intérêt de 9% pour un prêt d’une durée de 24 mois. Montant de leur mise: entre 2.000 et 25.000 euros.
Depuis cette semaine, BeeBonds propose des projets de crowdlending au grand public sur sa plateforme spécialisée dans l’immobilier. Avant même d’obtenir son agrément, elle avait déjà contribué au financement de 8 projets (pour un total de près de 10 millions d’euros) proposant un taux moyen de rentabilité de 8%.
La plateforme d’investissement durable Ecco Nova propose également des projets "immo", bien que ce ne soit pas son core business (éoliennes, panneaux solaires, etc.)
Simple, séduisant, rentable, mais assez risqué
Est-ce pour autant une forme d’investissement (NDLR, en matière immobilière comme pour tous les autres types de projets) à mettre entre toutes les mains, comme semblent le suggérer ces chiffres tape-à-l’œil et des mécanismes tout ce qu’il y a de plus simple? En fait non, que du contraire.
Le fonctionnement des plateformes
- La sélection, l’audit et le rating des projets des entreprises sont pris en charge par la plateforme. Elle met à l’étalage les opportunités d’investissement. L’investisseur n’a plus qu’à faire son marché, et à cliquer pour investir après s’être créé un compte. Les projets sont présentés sous forme de fiche avec mention du rendement (4 à 12%, en fonction du risque) et de la durée (de 6 mois à 5 ans en général).
- Un tableau de bord ou un compte rendu en ligne permet de visualiser l’évolution de l’investissement et des remboursements.
- Chez Look & Fin, le montant minimum d’un prêt par entreprise est fixé à 500 euros (100 euros lors d’un premier prêt).
- Chez BeeBonds, le ticket d’entrée pour les particuliers est fixé à 5.000 euros. Les obligations peuvent être négociées. En théorie, l’investissement est donc liquide.
Les principaux risques?
Ils sont clairement annoncés par les plateformes. La perte totale ou partielle du capital (sauf dans quelques formules à capital garanti assorties d’un taux d’environ 3% chez Look&Fin) et le défaut ou le différé de paiement des intérêts. Sans compter l’illiquidité. Les plateformes conseillent une bonne diversification des prêts. Pour Look & Fin, elle est atteinte à partir de 30 prêts, sans dépasser 5% du portefeuille par dossier.
Le piège du crowdlending c’est précisément ce côté "cosy" et accessible qui inspire à tort une totale confiance, met en garde Corentin Minne, Founding partner chez Pareto. "Aujourd’hui, les plateformes digitales sont devenues la norme, les entreprises et leurs projets y sont présentés de façon compréhensible. L’accès à l’investissement est ultra-simple, transparent, efficace. Avec un seuil d’entrée qui est parfois fixé à 100 ou 150 euros, des rendements affriolants, zéro frais…." C’est effectivement très séduisant car on a la sensation de maîtriser le sujet, et c’est précisément là que réside le danger. "Investir dans les PME, c’est clairement un placement plus risqué, même si cela n’en a pas l’air. Il faut être conscient que l’on peut tout perdre".
Dans le cadre de certains projets, grâce à un partenariat avec Atradius, Look&Fin offre toutefois aux investisseurs particuliers en quête de sécurité une formule avec garantie de l’intégralité du capital placé, avec un taux d’intérêt naturellement moins élevé (3%, en général).
Certes vous détenez une obligation, une dette que l’entreprise est censée rembourser. Mais encore faut-il qu’elle ait les reins suffisamment solides. "Ne pas faire faillite est une chose, avoir la capacité de rembourser en est une autre…" Aux investisseurs particuliers en quête de placements sécurisés, Look & Fin propose toutefois, grâce à son partenariat avec Atradius des projets où l'intégralité du capital est garantie,
Tout cela pour dire que, même si ces projets peuvent effectivement se révéler très intéressants, ceux qui ont de "petites économies" ne doivent certainement pas commencer par (tout) investir là-dedans! "Le crowdlending doit faire partie d’une stratégie de diversification du portefeuille et pour une toute petite partie de celui-ci seulement", recommande Benjamin Ingelrest, Senior financial consultant chez Pareto.
Il est également essentiel de savoir dans quoi vous investissez exactement. "Sur la plateforme BeeBonds, vous investissez en direct dans la société et vous recevez un certificat attestant que vous détenez une obligation. Via Look & Fin en revanche, c’est à la plateforme elle-même (l’intermédiaire donc) que vous confiez vos fonds et c’est elle qui accorde des prêts aux sociétés. L’idéal est de diversifier les investissements que l’on fait et les plateformes via lesquelles on investit", poursuit le spécialiste.
Fiscalité
La fiscalité est la même que celle qui s’applique à une obligation classique: un précompte mobilier libératoire de 30%.
Si vous investissez sous forme d’actions ou d’obligations dans une entreprise débutante (moins de 4 ans, PME et via une plateforme agréée), vous bénéficiez d’avantages fiscaux: les intérêts de la première tranche de prêt d’un montant de 15.320 euros sont exonérés de précompte pour les obligations et une réduction d’impôt de 45% du montant investi en actions est accordée.
Evaluer les risques
Vu les risques inhérents à la formule, il ne faut toutefois pas se laisser aveugler par la fiscalité, insistent les spécialistes de Pareto. "Le bon raisonnement, ce n’est pas de penser ‘je récupère 45% via une réduction d’impôt, mais je suis prêt à perdre 55%’", poursuit Benjamin Ingelrest. Avant de livrer un petit calcul vite fait pour mesurer les enjeux. "Prenons l’exemple des obligations: 15.320 euros qui rapportent 8% par an, soit 1.225 euros. L’exonération du précompte permet de gagner 367 euros. Si en bout de course, vous ne revoyez pas la couleur de vos 15.320 euros, cela paraîtra bien dérisoire…"
Les plateformes de crowdlending ayant été créées très récemment (les premières aux alentours de 2011-2012), on a encore peu de recul sur leurs résultats et les éventuels risques encourus. Il n’y a évidemment pas lieu de se montrer inutilement pessimiste. Jusqu’ici, aucun couac n’a été enregistré."Mais qu’adviendrait-il si Look & Fin venait à faire faillite? Je suis curieux de savoir ce qui se passerait sachant que les investisseurs ont prêté de l’argent à la plateforme et pas aux entreprises. Dans le cas de BeeBonds, l’investisseur ira-t-il frapper à la porte des petites sociétés dans lesquelles il a investi pour récupérer ses intérêts?", s’interroge Benjamin Ingelrest.
Ces mises en garde tiennent notamment au fait que le crowdlending en est encore un peu au stade expérimental et qu’à l’instar de n’importe quelle nouvelle initiative (comme ce fut le cas avec Airbnb par exemple), ces plateformes doivent inévitablement faire leurs maladies de jeunesse et tâtonner un peu. "Mais c’est sûr que le mouvement est en marche et que ce type de projet est appelé à se multiplier à l’avenir. L’investisseur cherche à s’affranchir des banques et de l’establishment pour reprendre pleinement la main sur son investissement. La tendance est clairement à la simplification et à la transparence", conclut Corentin Minne. Même si fondamentalement, il n’y a rien de franchement révolutionnaire. "C’est l’intermédiaire qui change. Les banques proposaient et proposent encore des certificats immobiliers. Aujourd’hui, les plateformes prennent le relais…"