Vous et votre conjoint avez développé une entreprise familiale florissante, et vous aimeriez aujourd’hui la transmettre à vos enfants, sans pour autant abandonner tout contrôle. Il existe déjà plusieurs options, mais elles sont complexes.
Il est possible par exemple de passer par la création d’une nouvelle société, par une société civile professionnelle, voire via une fondation néerlandaise (appelée "stichting administratiekantoor"), pour transmettre les actions à la génération suivante tout en gardant les rênes de votre entreprise. Ces constructions entraînent également leur lot de nouvelles obligations, comme la publication de l’acte constitutif ou des comptes annuels.
Les entrepreneurs devront choisir entre une société anonyme (SA), une société à responsabilité limitée (SRL), un partenariat ou une société coopérative (SC).
A partir de l’an prochain, ce processus sera simplifié. C’est l’aboutissement d’un des grands chantiers du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V): la réforme du droit des sociétés. Cette réforme réduira le nombre de formes de sociétés possibles. Ainsi, les entrepreneurs devront choisir entre une société anonyme (SA), une société à responsabilité limitée (SRL), un partenariat ou une société coopérative (SC).
Le droit des sociétés sera parallèlement adapté aux besoins actuels du monde des affaires, en apportant notamment davantage de flexibilité. La réforme devrait entrer en vigueur pour les entreprises créées à partir de 2019. Les sociétés existantes disposeront de cinq ans pour se mettre en conformité avec les nouvelles règles.
Celles-ci ont été approuvées fin mai par le Conseil des ministres. En ce qui concerne la transmission des entreprises familiales à la génération suivante, les nouvelles mesures constituent une petite révolution. L’avocat Philippe Mulliez, spécialisé en droit des sociétés chez Eubelius, explique pourquoi.
1. Vous aurez la garantie de ne pas être licencié par vos enfants.
Sur base des règles actuelles, les actionnaires d’une société anonyme peuvent révoquer l’équipe dirigeante du jour au lendemain, sans préavis ni indemnités de licenciement. C’est pourquoi de nombreux patrons hésitent à transmettre les actions de leur entreprise à leurs enfants.
Actuellement, il est possible d’éviter d'être licencié par ses enfants en créant une "société en commandite par actions" et en transférant les actions de votre entreprise dans la nouvelle structure.
Si l’entreprise est une société anonyme et que les enfants détiennent la totalité ou la majorité du capital, ils peuvent se débarrasser de leurs parents et des fondateurs de la société sans autre forme de procès.
Actuellement, il est possible d’éviter ce risque en créant une "société en commandite par actions" et en transférant les actions de votre entreprise dans la nouvelle structure. "La société en commandite est parfaitement adaptée à cette situation, car les fondateurs peuvent mentionner dans les statuts que le gestionnaire ne peut être licencié", explique Mulliez.
Mais cette forme de société disparaît avec la nouvelle loi. Ce n’est donc plus une option. À partir de 2019, vous pourrez créer une S.A., vous nommer gérant et spécifier dans les statuts que les actionnaires ne sont pas autorisés à vous licencier. Ou vous pourrez prévoir un long préavis ou une indemnité élevée en cas de licenciement éventuel.
De plus, le conseil d’administration d’une S.A. pourra désormais compter un seul administrateur. Aujourd’hui, le minimum est de trois, sauf si l’entreprise ne compte que deux actionnaires. Dans ce cas, deux administrateurs suffisent.
2. Vous pourrez offrir la majorité des actions à vos enfants tout en conservant la majorité des voix
Le principe "une action, une voix" disparaît. À partir de l’an prochain, il sera possible d’attribuer plus d’un droit de vote à certaines actions, du moins s’il s’agit d’une société anonyme ou d’une société à responsabilité limitée (qui succède d’une certaine manière à la SPRL). "Si la société n’est pas cotée en Bourse, il sera possible d’attribuer à un nombre illimité de droits de vote à certaines actions", poursuit Mulliez.
"Vous pourrez par exemple attribuer quatre, cinq, voire dix droits de vote par action. De plus, vous pourrez lier certaines conditions ou modalités à l’exercice du droit de vote."
"Vous pourrez par exemple attribuer quatre, cinq, voire dix droits de vote par action. De plus, vous pourrez lier certaines conditions ou modalités à l’exercice du droit de vote. Vous pourrez décider que les actions du fondateur donneront toujours plus de droits de vote que les actions qu’il donnera ultérieurement à ses enfants."
Il sera donc possible de donner par exemple 90% des actions de l’entreprise à vos enfants, et de conserver la majorité des droits de vote avec 10% des actions. A noter que ce système est moins évident à mettre en place si la société est cotée en Bourse. Dans ce cas, le droit de vote est limité à deux voix par action. De plus, un doublement des droits de vote n’est possible que si l’actionnaire détient des actions de l’entreprise depuis au moins deux ans.
3. Vous pourrez assouplir les conditions de sortie des enfants qui ne sont pas intéressés par l’entreprise
Jusqu’ici, seules les sociétés coopératives permettaient aux actionnaires d’entrer et de sortir facilement du capital. C’est pourquoi de nombreuses associations de titulaires de professions libérales, comme des cabinets d’avocats, optent pour la forme juridique d’une société coopérative.
En cas de conflit, un avocat associé peut ainsi quitter assez facilement l’association. "Il faut donc s’attendre à ce que de nombreuses sociétés coopératives se transforment en S.A.", estime Mulliez. "La nouvelle S.A. facilitera la sortie d’un actionnaire, du moins si cette possibilité est prévue dans les statuts".
Cette mesure ouvre de nouvelles perspectives aux enfants qui reçoivent des actions de la société familiale, mais souhaitent tôt ou tard les monnayer.
Cette mesure ouvre de nouvelles perspectives aux enfants qui reçoivent des actions de la société familiale, mais souhaitent tôt ou tard les monnayer. "Vous pouvez désormais prévoir dans les statuts que les enfants qui ont reçu des actions de l’entreprise de leurs parents, mais qui souhaitent les monnayer – soit parce qu’ils ont besoin d’argent ou qu’ils ne se sentent aucune affinité avec l’entreprise – puissent vendre leurs titres à terme", explique Mulliez.
Vous pouvez aussi décider de répartir dans le temps le remboursement de ces actions. C’est important car lorsqu’un actionnaire vend ses actions, c’est généralement l’entreprise qui les rachète et ce rachat est susceptible de mettre la société en danger. "Les administrateurs doivent toujours veiller à ce que le rachat d’actions propres ne génère pas des fonds propres négatifs. De plus, l’entreprise doit être en mesure de continuer à rembourser ses dettes à court et à long terme", explique l’avocat.
4. Vous pouvez faire don de la plupart des actions et conserver la majeure partie des bénéfices.
Enfin, il sera bientôt possible de faire don d’actions en stipulant qu’elles ne donnent pas les mêmes droits au dividende. Cette mesure vaut autant pour une S.A. que pour une SRL. "Les parents peuvent par exemple faire don de 90% des actions à leurs enfants et décider que ces actions ne donnent droit qu’à 60% des bénéfices de l’entreprise, de manière à pouvoir continuer à percevoir 40% des bénéfices", poursuit Mulliez.
Une autre solution consiste à opter pour une donation d’actions avec réserve d’usufruit. "Au moment de la donation, les enfants reçoivent des actions avec un droit limité en matière de perception des dividendes."
En bref, si vous combinez les différentes possibilités expliquées plus haut, vous pourrez dès 2019 créer une société, vous nommer seul gestionnaire, lier votre licenciement éventuel à des conditions très strictes (voire même le rendre impossible), conserver la majorité des droits de vote à l’assemblée générale, et continuer à encaisser la majeure partie des bénéfices. Au même moment, les enfants qui ne sont pas intéressés par votre entreprise pourront vendre leurs actions en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes.