Imposer des quotas de femmes, une voie européenne risquée
Qu'en est-il du principe de subsidiarité, dans la proposition européenne à propos des quotas de femmes dans les conseils d'administration?
Faut-il imposer ou non des quotas de femmes dans les conseils d'administration des sociétés cotées? La Commissaire européenne Reding devrait présenter officiellement, début octobre, une proposition de directive sur le sujet. L'objectif serait d'imposer des quotas dans les sociétés cotées, à l'exception des PME - qu'elles soient publiques ou non. 40% des administrateurs non exécutifs devraient être des femmes, au plus tard le 1er janvier 2018 pour les sociétés cotées publiques et le 1er janvier 2020 dans les sociétés cotées privées. Aucun quota ne serait imposé dans les petites sociétés cotées.
En ce qui concerne les administrateurs exécutifs, les sociétés cotées devraient fixer un objectif à atteindre, selon le cas, en 2018 ou en 2020.
L'efficacité du conseil d'administration
Le conseil d'administration constitue un rouage essentiel dans la société. En effet, il doit viser à assurer le succès à long terme de l'entreprise et en définir, dans ce cadre, la stratégie. La réalisation de ces objectifs repose sur un fonctionnement efficace et de qualité du conseil. Cela implique qu'une attention particulière soit réservée à sa composition. Elle doit être basée sur la mixité des genres, et la diversité en général, ainsi que sur la complémentarité de compétences, d'expériences et de connaissances. La mixité est un des éléments de la diversité. Ce n'est pas le seul, mais c'est de loin le plus médiatisé.
Le principe est acquis...
À l'heure actuelle, il y a un consensus sur la nécessité d'assurer une meilleure représentativité des femmes au sein des conseils. En effet, elles ont investi massivement le monde du travail. De plus, près de 60% des diplômés universitaires sont des femmes. Enfin, on constate un changement de mentalité: la recherche de profils féminins relève désormais d'un choix délibéré des conseils en vue d'augmenter le nombre de femmes administrateurs. Le nombre de mandats détenus par les femmes commence à augmenter dans les pays de l'Union européenne.
Mais que de polémiques sur les moyens!
S'il y a consensus sur le principe, on est loin du compte sur les moyens à mettre en oeuvre pour arriver à une plus grande représentativité des femmes. Deux approches s'affrontent: celle de la loi ou celle de l'autoréglementation.
Les arguments sont bien connus. Les partisans de la loi invoquent, entre autres, le caractère obligatoire et général de la loi et les résultats positifs obtenus dans certains pays européens (surtout la Norvège) qui ont adopté une loi pour imposer des quotas. Ils soulignent les limites de l'autoréglementation, qui manquerait d'efficacité.
Quant aux tenants de l'autorégulation, dont la FEB et la Commission Corporate Governance font partie, ils sont en faveur d'une approche pragmatique, plus respectueuse de la diversité des situations existant dans les sociétés cotées et de la réalité socio-économique. Ils estiment qu'il vaut mieux opter pour une approche plus flexible que celle de la loi et qui permet de s'adapter aux différences existant parmi les sociétés cotées, que ce soit en termes de taille, de secteur, de compétences recherchées...
Ce clivage traverse l'Union européenne. Certains pays sont en faveur d'une approche d'autorégulation, comme le Royaume-Uni, la Finlande, la Suède ou l'Allemagne. D'autres pays ont opté pour l'adoption d'une loi, à l'issue de débats souvent passionnés. C'est le cas en Espagne, en Italie, en France et dans notre pays. En effet, la Belgique a adopté une loi, en juillet 2011, qui a introduit un système de quota obligatoire de 33,33% pour toutes les sociétés cotées, à atteindre en 2017 ou en 2019, selon la taille de l'entreprise.
La Commissaire Reding justifie la nécessité d'une intervention européenne en invoquant essentiellement trois arguments: l'impact positif de la présence des femmes sur les performances financières de l'entreprise; la faible augmentation du pourcentage de présence des femmes dans les conseils, en moyenne 0,6% par an et l'accroissement plus important du taux de participation des femmes dans les États où des lois ont été adoptées. Selon la Commission européenne, le pourcentage actuel de participation des femmes dans les conseils des plus grandes sociétés cotées est de 13,6%.
Cette diversité du paysage européen impose, selon la Commissaire, l'adoption de règles uniformes en vue de maintenir un "level playing field" dans l'UE.
Des doutes
Cette solution ne me paraît pas la plus opportune. En effet, la diversité du paysage européen ne constitue pas une raison suffisante pour adopter une directive. Pourquoi couler la représentativité des femmes dans un moule unique? Pourquoi condamner l'autorégulation? On constate que dans les pays où l'approche est l'autorégulation, le taux de participation des femmes a augmenté de manière significative au cours des dernières années. Ainsi en Finlande, la présence des femmes au sein des conseils d'administration est passée de 12% en 2008 à 22% aujourd'hui. En Allemagne, sur la période de mai 2011 à mai 2012, près d'un administrateur nommé sur deux était une femme. La Commissaire Reding ne va-t-elle pas dès lors un peu vite en besogne en voulant imposer une directive européenne?
Son action risque de remettre en cause l'équilibre trouvé dans les États qui ont imposé un quota, parfois différent de celui envisagé par l'UE. Elle introduit, en outre, une distinction entre administrateurs exécutifs et non exécutifs, ce qui l'amène à prôner un quota supérieur à celui de certains États qui ont choisi d'imposer un même quota pour l'ensemble du conseil. Puisqu'il existe une très grande disparité entre les sociétés cotées européennes, il vaut mieux laisser jouer le principe de subsidiarité qui laisse aux États, en fonction de leurs spécificités, de leur culture et de leur réalité économique et sociale, le choix de la voie la plus adéquate pour promouvoir la présence des femmes dans les conseils.
En conclusion comment réaliser l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans les conseils?
La question de la représentativité des femmes dans les conseils s'inscrit dans le cadre plus large de l'objectif, que la FEB soutient, de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et du respect du principe de non-discrimination. Il s'agit d'un sujet complexe qui appelle des réponses de toutes les sphères de la société et doit porter sur l'éducation, la mobilité, la mentalité, l'organisation du travail et le partage des responsabilités familiales.
Philippe Lambrecht Administrateur-Secrétaire général de la Fédération des Entreprises de Belgique
Les plus lus
- 1 Fabien Pinckaers: "Je suis comme Odoo, je n'ai pas besoin d'argent"
- 2 Guerre en Ukraine | "Les Occidentaux sont-ils prêts à nous laisser gagner? Parfois, j'en doute"
- 3 Des mercenaires yéménites recrutés pour combattre en Ukraine
- 4 En Roumanie, un candidat prorusse crée la surprise à la présidentielle
- 5 Tout ce qu'il faut savoir sur la grève des enseignants ce mardi 26 novembre