Facebook, vie et mort d'un business plan
Quel a été le business plan de Facebook, aujourd’hui dans une très mauvaise passe ?
Paul jorion
Économiste et anthropologue
La compagnie américaine Facebook compte 30.000 employés et gère un réseau social de deux milliards d’utilisateurs. Son chiffre d’affaires en 2017 a été de 35 milliards d’euros. Le fondateur de la firme en 2004 est son actuel président et PDG: Mark Zuckerberg.
Au cours des cinq derniers mois, l’action Facebook a perdu 38% de sa valeur, dont 21% sur la seule semaine du 24 au 30 juillet, une perte se montant pour ses actionnaires à plus de 100 milliards de dollars. Zuckerberg contrôle Facebook à 60%, des voix s’élèvent aujourd’hui, exigeant sa démission.
Il n’a hélas pas changé…
C’est lui le héros du film "The Social Network", de David Fincher, inspiré d’un récit de Ben Mezrich, "The Accidental Billionnaires" (2009). Il y apparaît comme un homme pressé, peu soucieux de loyauté, d’honnêteté, ni même de bonnes manières.
Lorsque le film débute, Zuckerberg est étudiant à Harvard. Il irrite une jeune fille par sa prétention, sa pédanterie et sa goujaterie. Au soulagement du spectateur, elle l’éconduit. Devenu milliardaire, il tentera une nouvelle fois sa chance. Sans plus de succès: il n’a hélas pas changé.
En permettant à l’utilisateur d’activer sur n’importe quel sujet un pouce levé ou abaissé, il constitue à son sujet une base de données précieuse car éminemment monnayable.
Quel a été le business plan de Facebook, aujourd’hui dans une très mauvaise passe? Le film remonte au tout début: lorsque Facebook n’était encore qu’un jeu à Harvard, joué dans le cadre de soirées bien arrosées. Le portrait de deux étudiantes apparaît sur l’écran et la question est posée: "Baisable? Celle de gauche ou celle de droite?". Un long catalogue est ensuite épuisé.
Casse-tête informatique: comment créer un trombinoscope unique pour Harvard à partir de bases de données disparates? Seconde difficulté: comment étendre l’outil à d’autres universités tout en maintenant une image d’exclusivité? La solution: permettre aux premiers membres sélects d’en coopter d’autres, qui se voient ainsi honorés et accèdent au même privilège.
Le reste est connu: les groupes d’amis se partagent des informations, des photos, des invitations, qu’ils peuvent commenter et diffuser à leur tour.
Tel est le bénéfice pour l’utilisateur d’un service d’autant plus merveilleux qu’il est entièrement gratuit. Quel est celui du propriétaire et gestionnaire du réseau?
En permettant à l’utilisateur d’activer sur n’importe quel sujet un pouce levé ("like") ou d’exprimer une émotion à l’aide d’un émoticône, il constitue à son sujet une base de données précieuse car éminemment monnayable (en 2015, de 75 cents à 5 dollars par individu), utilisable par quiconque voudra tirer parti de son profil, qu’il s’agisse de firmes cherchant à lui vendre un produit, de gouvernements fichant leurs contestataires, ou de partis voulant faire voter pour eux.
Comme on le sait, les vendeurs et les gouvernements n’ont irrité jusqu’ici que les contestataires précisément, mais quant aux partis, il s’agit désormais d’une affaire d’État.
L’affaire Cambridge Analytica
L’affaire Cambridge Analytica éclata en mars 2018. Pour inciter les électeurs à voter Trump par des messages ciblés, la compagnie britannique exploita les données Facebook de 87 millions d’Américains (3.000 à 4.000 données par individu). Elle pesa de même en faveur du Brexit. Les fondateurs de la firme étaient Robert Mercer, libertarien militant riche grâce à son fonds spéculatif Renaissance Technologies, et Steve Bannon, figure de l’extrême-droite américaine identitaire, d’abord directeur de campagne de Trump en 2016, puis de janvier à août 2017, son stratège en chef à la Maison-Blanche. La politique de Bannon – qu’il tente d’implanter en Europe – continue d’inspirer Donald Trump.
Une étude universitaire a montré qu’en ciblant les électeurs, le vote à l’élection présidentielle de novembre 2015 a pu être infléchi à hauteur de 2% à 4% des suffrages. Or elle s’est décidée sur trois États: le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie, où la victoire de Trump s’est jouée avec une marge de 0,2% seulement.
C’est l’éventualité que les résultats de l’élection présidentielle aux Etats-Unis et du référendum au Royaume-Uni aient été faussés en faveur de Trump et du Brexit qui aura condamné le business plan de Facebook et qui menace aujourd’hui l’avenir de son ambitieux président et PDG.
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