La vie privée, une nouvelle arme entre les mains des travailleurs?
Il ne faut pas longtemps pour comprendre que le travailleur, traditionnellement partie faible juridiquement et économiquement, se voit par le biais du RGDP placé en position de force juridique par rapport à son employeur.
Par Christophe Delmarcelle
Associé Responsable de la pratique de droit social Cabinet DKW
Le Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, ou RGDP, est entré en vigueur ce 25 mai et il n’a pas fini de faire parler de lui.
Explosion législative
Pour voir l’évolution il suffit de le comparer à la directive 95/46 qu’il remplace et de constater que le RGPD comporte 94 pages là où la directive n’en comportait que 18… 99 articles là où la directive n’en comptait que 32… Une inflation, que dis-je une explosion législative!
Au bout d’années de palabres est née une réglementation renforçant considérablement les droits des sujets de données et imposant par corollaire des obligations extrêmement lourdes aux entreprises.
Tout d’abord, les exigences pour un consentement valable sont tellement dures que d’aucuns défendent qu’un travailleur sous autorité ne puisse plus valablement consentir au traitement de ses données.
Ensuite, le sujet de données bénéficie de droits largement étendus avec le droit de retirer son consentement à tout moment, le droit à l’effacement de toutes ses données (droit à l’oubli), le droit de s’opposer aux traitements non-fondés sur le consentement, le droit à avoir accès aux données, le droit à la portabilité des données fournies, un droit d’informations étendu.
Recours étendus
Tout cela avec le plus souvent le renversement de la charge de la preuve et des délais réduits pour répondre aux demandes.
Et dans le contexte d’une obligation pour les entreprises d’anticiper les risques, de valider leurs processus de traitement dès l’origine ("privacy by design") et d’auto-rapporter toute violation des règles.
Sans compter des moyens de recours étendus et surtout des sanctions devenues très substantielles pouvant s’exprimer en pourcentage du chiffre d’affaires.
Il ne faut pas longtemps pour comprendre que le travailleur, traditionnellement partie faible juridiquement et économiquement, se voit par le biais du RGDP placé en position de force juridique par rapport à son employeur.
Il lui sera ainsi possible de pratiquer une forme de pression en refusant ou retirant son consentement ou en s’opposant au traitement.
Expédition "fishing"
Encore plus utile, il pourra lancer une expédition de "fishing" sur les informations dont dispose l’employeur à son propos en espérant soit obtenir des éléments d’informations utiles dans son litige contre celui-ci soit des informations potentiellement compromettantes. Sans compter l’énergie dépensée par son employeur à satisfaire ses demandes.
Il pourra encore mieux s’opposer à la production de documents en justice, à l’utilisation de rapports de détectives privés ou d’enregistrements voire même, avec la collusion de ses collègues, à l’utilisation de documents concernant ces derniers qui lui seraient défavorables
Cette nouvelle dimension ne doit pas échapper aux employeurs qui seront bien inspirés de cloisonner leurs bases de données, d’être attentifs aux données conservées, d’anonymiser et d’anticiper l’exercice de ces droits dans un contexte de litige avec les travailleurs concernés.
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