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Les Émirats arabes unis bientôt sur la liste noire du GAFI?

Une fois n’est pas coutume, les Émirats arabes unis font reparler d’eux pour leur pratique douteuse de gestion de l’argent, entre paradis fiscal et institutionnalisation du blanchiment de capitaux.

C’est ce qu’avaient déjà révélé en 2017, les Dubaï Papers, avec la mise en place d’un système vaste de paradis fiscal à Dubaï, contre lequel Abu Dhabi avait essayé de s’ériger en s’appuyant notamment sur le secteur militaire et énergétique pour sécuriser son économie et essayer d’étouffer les affaires. Mais, en mai 2018, l’affaire des Dubaï papers va secouer à nouveau la ville et revenir sur des années de pratiques financières douteuses.

Ainsi, une certaine société domiciliée à Dubaï, du nom de Hélin, dirigée par un franco-belge du nom de Henry de Croÿ, était gestionnaire de fortune pour plus de 200 sociétés à travers le monde et de personnalités de très haut niveau. On découvre alors l’existence de dizaines de milliers de comptes cachés depuis des années pour des clients parmi les plus fortunés au monde (des footballeurs, comme Nicolas Anelka, des oligarques russes notamment) afin de leur offrir une optimisation fiscale unique, ce que certains présentent plus élégamment comme de l’ingénierie de l’opacité.

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Des intermédiaires, parmi lesquels des avocats, des experts-comptables, banquiers, notaires, joueront le rôle de passerelles entre Hélin et ses clients. Malgré le retrait discret de Henry de Croÿ, on a découvert depuis lors des comptes bancaires cachés en Suisse sur lesquels il y avait plus de 25 millions d’euros. Un obscur système de cartes de retrait avait été mis en place pour avoir accès aux liquidités. 

Aujourd’hui, sa structure est accusée depuis 2018 d’avoir fait s’évaporer près de 84 millions de dollars d’acquis de ses clients. Depuis les révélations du scandale, l’État belge s’est porté partie civile

La réputation de Dubaï entachée

Cet exemple est un exemple de pratiques douteuses parmi des centaines pratiquées chaque année aux Émirats. Le problème est que la réputation de Dubaï était déjà entachée avant même le scandale des "Papers".

Tout un système opaque de circuits parallèles financiers s’est mis en place année après année pour absorber au plus vite les capitaux venus du monde entier: développement de sociétés off-shore, la circulation de cash sans restriction de montants à l’arrivée aux EAU, l’émission de fausses factures et la multiplication des sociétés-écran depuis l’Europe pour noyer le poisson et faire tourner le tout. 

Ce serait une véritable tâche pour les Émirats arabes unis qui sont clairement aussi le centre financier névralgique du Moyen-Orient avec lequel tout le monde collabore sans complexe.

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Les EAU et Dubaï sont-ils depuis le début un paradis fiscal? Il semblerait que oui mais c’est bien Dubaï qui, pour son propre développement, a rapidement instauré ce système. L’État était institutionnellement faible mais riche d’où la nécessité d’attirer coûte que coûte et rassurer les investisseurs: facilitations de la délivrance des permis de séjour, multiplication des zones franches avec fiscalité plancher, absence d’impôts, aucune charge sociale ni impôt sur les sociétés, aucun impôt sur la fortune

Voilà donc beaucoup d’éléments qui font penser à la définition de l’OCDE de ce qu’est un paradis fiscal: fiscalité nulle et absence ou faible contrôle des capitaux entrants.

Mais que font les Émirats à cet égard? Apparemment pas grand-chose. Déjà en 2017 puis de nouveau depuis 2019 et les révélations des Dubaï papers, le pays est revenu sur la liste noire des paradis fiscaux de l’Union européenne. Et alors que beaucoup le vantent comme un modèle dans la région, il fait depuis des années régulièrement des allers-retours entre liste grise et liste noire.

Dans le viseur du GAFI

Le pays court désormais un risque de plus en plus accru d’être placé sur la liste grise du Groupe d’Action Financière Internationale (le GAFI), un organisme basé à Paris et luttant contre la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux. Le GAFI serait sur le point d’ajouter Abu Dhabi sur sa liste grise en ce début d’année, l’une des deux classifications utilisées par l’organisation intergouvernementale, pour signifier de véritables déficiences stratégiques nationales à lutter contre ce fléau. Si ce choix était confirmé par le groupe, ce serait une étape importante de l’histoire du GAFI, quand on connait les relations extrêmement fortes qui existent entre Paris et Abu Dhabi en termes de contrats économiques et donc financiers. 

Alors que l’Iran et la Corée du Nord sont sur la liste noire, d’autres pays comme l’Albanie, la Syrie ou le Soudan du Sud risquent de connaître le même sort. Ce serait une véritable tâche pour les Émirats arabes unis qui sont clairement aussi le centre financier névralgique du Moyen-Orient avec lequel tout le monde collabore sans complexe. 

Abu Dhabi a soumis un rapport au GAFI en novembre, mais n'a pas atteint bon nombre des seuils nécessaires pour rester en dehors de la fameuse liste. Des améliorations fondamentales et majeures sont nécessaires  et demandées afin de démontrer que le système ne peut pas être utilisé pour le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes de destruction massive. Les mesures prises depuis plusieurs années par le gouvernement d’Abu Dhabi semblent bien mineures par rapport à l’ampleur du phénomène. Décision du GAFI fin février.

Sébastien Boussois
Chercheur en sciences politiques et relations euro-arabes associé à l’ULB (Bruxelles) et l’UQAM (Montréal)

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