Ces dernières semaines, l’approvisionnement en matières premières et en produits a été complètement chamboulé, conséquence de la crise du coronavirus et le redressement economique. Quelle est la situation aujourd'hui? Et quels sont les défis pour demain? Les réponses dans cette table-ronde consacrée à la chaîne logistique. Une initiative de SAP en collaboration avec delaware, Deloitte, Flexso et Ordina.
Comment expliquer la pénurie actuelle de matières premières? Était-elle seulement prévisible?
Bernard Piette (administrateur délégué de Logistics in Wallonia): “Les entreprises industrielles ont, ces dernières années, localisé leur production en fonction de l’endroit où elles obtenaient le meilleure rapport coûts/bénéfices. Cela a donné des chaînes logistiques très globalisées et parfois très peu résilientes. Il suffit alors d’un accident pour que ces chaînes soient mises sous pression, voire se retrouvent à l’arrêt. Ce sera l’un des défis de la supply chain pour l’avenir.”
Chez Proximus, toute une réflexion est actuellement menée pour améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Et donc potentiellement diminuer sa décentralisation.
Hans Schurmans (Director Logistics Operations chez Proximus): “On commence en effet à se demander si le fait de déplacer la production dans des pays à bas coûts était la décision la plus intelligente que l’on pouvait prendre. Chez Proximus, toute une réflexion est actuellement menée pour améliorer la résilience de la chaîne d’approvisionnement. Et donc potentiellement diminuer sa décentralisation. En n’oubliant toutefois pas que la relocalisation d’une production de puces en Europe, par exemple, augmentera sans doute le coût de celles-ci.”
Arnaud Popovitch (Group Planning and Optimization Manager chez Spadel): “La pandémie a mis en évidence la vulnérabilité de nos chaînes d’approvisionnement, c’est vrai. Hier, on regardait uniquement la situation de notre fournisseur: où en est l’approvisionnement de mes matières premières? Désormais, on scrute la situation de notre fournisseur, mais aussi du fournisseur de notre fournisseur. Chez Spadel, nous avons certes des fournisseurs un peu plus locaux, mais nous avons discuté avec eux pour voir comment nous pouvions gérer ensemble cette situation.”
Comment procède-t-on concrètement pour renforcer une supply chain, pour la rendre plus résiliente? Par la digitalisation?
Arnaud Popovitch: “C’est l’un des facteurs qui pourraient nous aider, oui. Cela nous donnerait une meilleure visibilité sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Actuellement, chaque entreprise a sa propre visibilité. Mais elle a besoin d’autres entreprises pour fonctionner. Il convient de mettre ces données en commun et d’analyser la chaîne dans son ensemble, du premier fournisseur au producteur, du distributeur au consommateur, afin d’identifier et d’anticiper les risques.”
Bernard Piette: “Absolument. Ceci dit, l’échange d’informations recèle également un côté très stratégique de potentielle concurrence entre les entreprises. La difficulté est ici de faire travailler ensemble des entreprises rivales. Or, si elles combinent leurs flux grâce au digital et que ceux-ci sont dès lors plus massifs, l’impact environnemental à l’unité transportée sera moindre. Un camion à moitié rempli consomme presque autant de carburant qu’un camion plein.”
Hans Schurmans: “À Anvers, nous lançons avec CULT le last mile delivery, dans le cadre duquel nous travaillons avec différentes marques (ou partenaires) dont notre concurrent Telenet pour optimiser la chaîne logistique avec des objectifs de sustainability. C’est un signal fort pour souligner l’importance à la fois de l’approvisionnement pour l’entreprise et de l’environnement. À mes yeux, les trois principaux défis de la supply chain sont la continuité de l’approvisionnement, la circularité et la sustainability.”
Les circuits courts sont-ils précisément une solution pour l’avenir?
Hans Schurmans: “On peut toujours demander à un fournisseur de produire plus ou plus vite, bien sûr. Mais en matière de circularité, la stratégie de Proximus est par exemple de récupérer tous les modems et décodeurs de nos clients résidentiels. Tout ce matériel nous aide à gérer la crise du coronavirus, car cela nous offre un volume supplémentaire que nous pouvons redistribuer. Plus de 90% du matériel qui nous revient dans cette gamme de produits est remis sur le marché.”
La durabilité devrait être dans l’ADN de chaque entreprise. Je ne vois pas une entreprise durer dans le temps si elle ne devient pas durable.
Arnaud Popovitch: “La circularité peut clairement nous aider à diminuer les risques liés aux chaînes d’approvisionnement. La durabilité, quant à elle, devrait être dans l’ADN de chaque entreprise. Je ne vois pas une entreprise durer dans le temps si elle ne devient pas durable.”
Bernard Piette: “La circularité, les circuits courts sont une partie de la solution. Pour diminuer l’impact environnemental de la supply chain, il existe un panel assez large de solutions. In fine, cependant, ce qui sera déterminant, pour le consommateur, sera le coût de son produit. Il ne sera pas forcément prêt à acheter un produit qui serait livré par des circuits courts et qui serait, pour toutes sortes de raisons, 25% plus cher.”
Avez-vous récemment implémenté des solutions pour faire prendre conscience au consommateur final que, s’il paie un certain prix pour son produit, c’est aussi lié à une empreinte carbone?
Hans Schurmans: “Sur le site d’e-commerce de Proximus, je voudrai montrer au consommateur que ses choix en matière de livraison, de conditions, de délais, sont corrélés à une empreinte CO2 que nous avons calculée. Il deviendra ainsi conscient de son impact, ce qui n’est pas toujours le cas pour le moment.”
Arnaud Popovitch: “Chez Spadel, nous communiquons énormément sur toutes les actions mises en place pour être neutres en carbone. Du point de vue logistique, nous avons adopté le programme Lean & Green voici quelques années déjà, qui nous a permis de diminuer de 20% nos émissions de CO2. La première chose est de mesurer l’empreinte carbone de nos activités logistiques actuelles afin d’agir pour la réduire; la seconde est d’inclure ce ‘facteur CO2’ dans nos prises de décision, à côté de la rentabilité et du taux de service.”
Hans Schurmans: “Nous devons complètement changer la façon de travailler dans le secteur logistique. Je suis favorable au partage des assets. Je voudrais ouvrir mon dépôt à d’autres acteurs dans un but de consolidation. Ne plus avoir un contrat unique avec un transporteur pour le transport de palettes, par exemple, mais opter pour le camion le plus vert, le plus proche de chez moi et entraînant l’impact CO2 le plus faible. Cela signifie que je ne travaille plus avec une société unique mais avec une myriade de sociétés potentielles. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon le physical internet.”
Qu’en est-il des risques liés à la digitalisation?
Bernard Piette: “La donnée devient la matière première du supply chain manager. Il en a besoin pour prendre ses décisions.”
La donnée devient la matière première du supply chain manager. Il en a besoin pour prendre ses décisions.
Arnaud Popovitch: “Mais c’est aussi l’un des effets pervers de la digitalisation. On est de plus en plus data-driven, concentrés à récolter et analyser des données, à les injecter dans des systèmes, mais le jour où l’on n’a plus accès à ces systèmes, on se retrouve plutôt démuni… Il faut s’y préparer. En se demandant comment communiquer en entreprise pour que les grandes activités continuent de se déployer. En réfléchissant aux priorités. Il s’agit d’un plan transversal qui concerne tous les intervenants de l’entreprise.”