Publicité
analyse

Cinq chantiers qui pourraient changer le visage de la Wallonie

Depuis 20 ans, et la fin de l'âge d'or de la sidérurgie, la Wallonie s'est lancée dans une lente reconversion. ©Tim Dirven

L’Echo met en avant cinq chantiers capables de provoquer un effet domino sur l'ensemble de la Région au-delà des cinq prochaines années.

Avide de plans de redressement depuis 24 ans et le lancement de son contrat d’avenir en 2000, la Wallonie peine pourtant à retrouver le chemin de la croissance durable. La faute à l’absence d’une stratégie claire et concise. Le cas du plan de relance lancé sous la législature qui se termine illustre ce mal wallon. Plutôt que de miser sur un nombre limité de mesures impactantes, le gouvernement PS-MR-Ecolo dirigé par le socialiste Elio Di Rupo s’est dispersé, si pas perdu, dans un enchevêtrement de chantiers dont certains s’éloignent d’un réel projet de relance socio-économique.

Mobiliser 80% des dépenses pour la relance

À terme, même si cet ultime plan libérera sept milliards d’investissements jusqu’en 2026, l’histoire montre que les dépenses de reconversion de la Wallonie se sont toujours faites sur des marges relativement faibles, comprises entre 3 et 6% des dépenses régionales. C’est un constat que pose Philippe Destatte, le président de l’Institut Destrée.  "On observe un petit décollage avec le Plan de relance de l'actuel gouvernement. Mais on est encore loin d'un vrai business plan qui devrait activer au moins 80% des dépenses."

Publicité

Un tel business plan serait une révolution sur le plan de la gouvernance, "à la mesure de l'enjeu que doit constituer une rupture avec le long palier horizontal des indicateurs qui dure depuis 20 ans", estime Philippe Destatte. Sur son fonctionnement, on verrait une Wallonie obligée de s'interroger "sur chaque dépense pour évaluer dans quelle mesure elle permettra d'atteindre les objectifs définis collectivement". Un tel plan imposerait une analyse d'impact préalable de ces mesures, la fin des tabous budgétaires, et une volonté collective pour dépasser la logique de partage du gâteau entre partis et lobbies. Une révolution!

Sur la question du chômage, Philippe Defeyt appelle la Wallonie à faire preuvre de plus de combativité.

A contrario, la frilosité politique actuelle a pour résultat de limiter les effets de levier de la relance d’une Wallonie toujours en recherche d’un nouveau souffle après l’âge d’or de sa sidérurgie. Cette situation est d’autant plus dommageable qu’elle rend plus délicate la gestion des nouveaux défis, comme celui de l’endettement de la région, la fin des transferts financiers du nord vers le sud ou le faible taux d’emploi avec un chômage qui dépasse les 200.000 demandeurs d’emploi.

La Wallonie a pourtant démontré par le passé qu’elle était capable de mobiliser ses acteurs politiques, ceux de la recherche et de l’industrie, autour de six pôles de compétitivité bâtis sur ses piliers industriels, avec la biotech ou l’aéronautique. À l’image de ces six moteurs, L’Echo met en avant cinq chantiers capables de provoquer un effet d’entraînement global sur l'ensemble de la Région au-delà des cinq prochaines années.

Emploi, société, fiscalité, climat... Que proposent les partis?
On a comparé les programmes pour vous

1. En finir avec le PEB F et G d’ici cinq ans.

Lancée dans une course à la décarbonation, la Wallonie souffre d’un bâti vieillissant et composé de nombreuses passoires énergétiques. Les logements wallons sont ainsi responsables de 16% des émissions de gaz à effet de serre en Wallonie, et près de 45% d'entre eux sont classés comme de véritables "passoires énergétiques" (avec un faible PEB de F ou G).

Publicité

Le lancement d’un gigantesque chantier à l’échelle régionale pour l’isolation du bâti répond à un besoin pour l’environnement, et créerait une dynamique inégalée dans le marché de la rénovation tout en offrant de multiples opportunités d’embauche pour les demandeurs d’emploi.

Stimuler la rénovation énergétique des bâtiments, c'est bon pour l'environnement, pour l'économie, pour l'emploi et les finances personnelles des habitants.
Stimuler la rénovation énergétique des bâtiments, c'est bon pour l'environnement, pour l'économie, pour l'emploi et les finances personnelles des habitants. ©Photo News

Vu l’ampleur de la tâche, Thomas Deridder, le directeur de l’Institut Destrée, plaide pour l’instauration d’un policy mix. "Il s’agit de multiplier les modes d’intervention en fonction des objectifs poursuivis et des opérations plutôt que d’en favoriser un unique. Il n’y aura pas de solution miracle pour la rénovation énergétique des bâtiments."

Afin de convaincre à la fois les petits bailleurs privés et les propriétaires sans capacité d’épargne et d’investissement, "tout en évitant l’effet d’aubaine pour les sociétés privées propriétaires qui pourraient également bénéficier du mécanisme, mais ne sont pas destinataires prioritaires de la mesure", Thomas Deridder plaide pour une intervention financière sans égal de la Région à travers le système de primes actuel, un système de (pré)financement au travers d’une banque publique d’investissement (sur le modèle de la KfW allemande) négociant des partenariats avec des banques privées, ou par la négociation avec des entrepreneurs locaux.

Et quoiqu'on en dise, pour l'économiste Philippe Defeyt, "l'interdiction de la mise en location de logements avec un mauvais PEB peut jouer un rôle majeur (comme le montre l'expérience française). En tout état de cause, les biens concernés reviennent tous sur le marché."

"Nous sommes globalement trop gentils et pas assez assertifs. Nous devons travailler sur notre image en priorité en étant super pros."

Bernard Piette
Directeur du pôle de compétitivité sur la logistique

2. Plus de sex-appeal pour attirer des investisseurs

Dans la bataille autour de la réindustrialisation de l’Europe, la Wallonie ne part pas forcément avec les meilleurs atouts pour attirer les investisseurs étrangers. La faute à son coût de la main d’œuvre, au prix de l’énergie, à son manque de terrains disponibles et à certaines idées véhiculées à l’étranger autour du climat social.

Bernard Piette, directeur du pôle de compétitivité dédié à la logistique, est régulièrement confronté à la concurrence des Pays-Bas qui n’hésitent pas à mener des campagnes agressives pour attirer les grands acteurs mondiaux de la logistique. "Le problème essentiel de la Wallonie est son image de marque. La réputation de la Wallonie sur le plan syndical pose clairement question. Cette réputation se base en partie sur des faits, mais aussi sur des perceptions que nos voisins (qui sont nos concurrents directs) ne manquent pas d’entretenir."

Il pointe une carte géographique de l’Europe réalisée par l’organisation "Nederland Distributieland" il y a quelques années et dont la mission est d’attirer les investisseurs étrangers aux Pays-Bas. L’organisation y compare les jours de grèves en Europe et pointe la Belgique comme un mauvais élève. "Nous sommes globalement trop gentils et pas assez assertifs. Nous devons travailler sur notre image en priorité en étant super pros sur la collecte d’informations objectives permettant de contrer des informations fallacieuses et en étant beaucoup plus agressifs sur les marchés étrangers."

La Wallonie doit aussi accélérer la reconversion des friches industrielles, couvrant une superficie de 3.224 hectares.

L’économiste Philippe Defeyt appelle à plus de soft power. Il regrette de ne pas voir une Wallonie aller jusqu'au bout des politiques pour vraiment innover et attirer les regards extérieurs. "Y a-t-il une seule innovation originale et significative en matière de mobilité?" Il propose de faire de la Wallonie un phare européen en matière de mobilité en mettant en place sur une grande échelle des mobilités intermédiaires entre le bus/train et la voiture, utilisant toutes les potentialités de l'IA et des smartphones: petits bus à la demande, taxis partagés, navettes circulaires, une sorte d'Uber non-marchand avec les personnes/voitures disponibles dans les villages, systèmes de livraison à domicile pour les achats encombrants...

"La véritable innovation - et la capacité d'attirer l'intérêt extérieur, mais aussi de générer une activité économique - viendrait de l'articulation de toutes ces mobilités, d'une tarification unique et d'une grande facilité d'usage."

La Wallonie doit aussi accélérer la reconversion des friches industrielles, couvrant une superficie de 3.224 hectares. Thomas Deridder en appelle à la fin du sous-localisme en mobilisant des acteurs comme Wallonie Entreprendre, la SFPI, les intercommunales de développement ou les communes. "Il est possible d’en faire, dès les premiers mois de la législature à venir, un projet prioritaire et qui apporte rapidement des résultats."

3. Se passer du Forem pour redynamiser le marché de l’emploi ?

L’idée est volontairement provocatrice et illustre une Wallonie qui n’arrive pas à trouver la recette magique pour sortir du chômage ses 220 .000 demandeurs d’emploi.

La remise à l'emploi doit être la priorité numéro un de la Wallonie.
La remise à l'emploi doit être la priorité numéro un de la Wallonie. ©doc

Au-delà de la responsabilité individuelle de chaque individu, Philippe Destatte plaide pour un nouvel écosystème apprenant, "constitué par l'enseignement dual et la formation en alternance, à mettre en place, avec l'enseignement qualifiant, l'IFAPME et les entreprises, par bassin scolaire. Ce qui implique le transfert d'au moins ce type d'enseignement au niveau régional."

"Pas moins de 309.000 Wallonnes et Wallons ont été pris en charge par le Forem en 2023, environ 113.000 d'entre eux ont reçu une formation professionnalisante. Mais la question reste: combien, parmi ceux-là, ont été remis à l'emploi?"

Philippe Destatte
Président de l'Institut Destrée

La Wallonie doit aussi faire preuve d’un peu plus de jusqu’au-boutisme. "On n'arrête pas tant qu'on n'a pas trouvé", insiste Philippe Defeyt. Concrètement: "même s'il faut mobiliser des ressources importantes, on sélectionne les demandes des entreprises et on ne passe à d'autres dossiers que quand on a trouvé quelqu'un et réciproquement pour un demandeur d'emploi."

Sur le front des pénuries d’emploi, l’économiste suggère le développement rapide et intensif de la formation en alternance dans les hautes écoles et les universités. "Cela permettrait de fournir rapidement des réserves de main-d'œuvre pour les métiers/secteurs en pénurie. L’avantage est aussi de confronter rapidement l'étudiant aux réalités du marché du travail et de son métier."

Quant au Forem, Philippe Destatte fait remarquer qu’il faudrait changer son logiciel en l’obligeant de travailler en fonction d’une obligation de résultats et plus de moyens. "Pas moins de 309.000 Wallonnes et Wallons ont été pris en charge par le Forem en 2023, environ 113.000 d'entre eux ont reçu une formation professionnalisante. Mais la question reste: combien, parmi ceux-là, ont été remis à l'emploi?"

4. En finir avec les plans à tous les étages

Tout le monde s’accorde à dire que la Wallonie a trop de plans. Bernard Piette constate par exemple que la législature qui s’achève a brouillé les cartes en matière de développement économique et de soutien à l’innovation avec une stratégie S3 autour de cinq domaines d’innovation stratégiques qui s’inscrivent dans des enjeux évidents, mais qui ne sont pas spécifiques à la Wallonie. "Il faut repartir des domaines où nous sommes les plus forts (notamment le biotech et l’aéronautique, mais pas que) et articuler harmonieusement tous les acteurs (entreprises, pôles, administration, centres de recherche, acteurs du financement,…)."

Si Sylvie Marique, la patronne du SPW, rêve d’une Wallonie dotée d’un seul plan, "autour d’actions structurantes pour la Wallonie sur un nombre limité de projets impactant pour le développement économique, social et environnemental de la Wallonie", elle voit l'idée difficilement réalisable, notamment face à des contraintes juridiques. Elle demande malgré tout au prochain gouvernement de rationaliser de manière drastique les plans afin "de gagner en cohérence, et de renforcer les synergies entre tous les opérateurs wallons".

5. Faire de Liège la base arrière du port d’Anvers

La libération des terrains de la sidérurgie à Chertal est une opportunité exceptionnelle pour attirer des activités économiques pour lesquelles la connectivité sur les réseaux de transport est un facteur de différenciation.

Bernard Piette y voit cependant une condition: doter la Wallonie d’une culture logistique. "Il faut une vision claire de ce que la Wallonie veut en intégrant les différents modes de transport dans une vision cohérente (route, rail, fluvial et aérien). Cela impliquerait le fait d’avoir un seul ministre des Transports et de la Mobilité en connexion directe avec le ministre en charge de l’Économie et de la Recherche."

La création d'un hub logistique sur les anciens terrains d'Arcelor à Liège pourrait jouer un rôle catalyseur sur l'ensemble de la Région pour autant qu'on y crée de la valeur ajoutée sur place.
La création d'un hub logistique sur les anciens terrains d'Arcelor à Liège pourrait jouer un rôle catalyseur sur l'ensemble de la Région pour autant qu'on y crée de la valeur ajoutée sur place. ©Photo News

Pour booster la logistique, il demande à l’administration "d’autoriser des tests pour tout ce qui est conduite autonome." Elle permettrait de contourner les problèmes liés à la pénurie de personnel et de régler dans la foulée le passage automatique des écluses. "Un des enjeux est que les horaires des écluses sont parfois limités aux heures de travail normales. Il faut donc pouvoir amplifier ces horaires pour permettre aux bateaux de naviguer sur une plus grande amplitude horaire. Cela permettrait de fluidifier les chaînes logistiques et de réduire les coûts afin de rendre la chaîne logistique plus performante."

Un point d’attention est cependant soulevé par Philippe Destatte. Pour éviter qu’un hub logistique à Liège ne soit uniquement dédié au transit, il insiste sur l’importance d'aller au-delà de la mise à disposition de terrain. "Il faut articuler les chaînes de valeurs économiques avec les opportunités réelles de la logistique", en localisant à Liège la transformation et la plus-value.

"Lors de travaux prospectifs en Normandie, j'ai souvent observé que, malgré toutes les capacités de Port 2000 au Havre, le problème du territoire restait le fait que les acteurs voyaient passer les EVP (conteneurs) qui, en très grande majorité, n'étaient ouverts que dans la banlieue parisienne. C'est donc là que la transformation et la plus-value s'opéraient", et pas au Havre.

80%
des dépenses pour la reconversion
Plutôt que de limiter les dépenses de reconversion de la Wallonie sur des marges relativement faibles, comprises entre 3 et 6% des dépenses régionales, Philippe Destatte appelle à faire preuve d'audace en injectant 8% des dépenses régionales à la reconversion de la Région.
Le résumé
  • Un grand plan d'isolation du bâti aurait pour effet de dynamiser le marché de l'emploi.
  • Un plan stratégique clair, impactant, mais pas une multitude de plans disparates.
  • Des obligations de résultats pour le Forem.
  • Un pôle logistique créateur de valeur autour des anciens terrains sidérurgiques à Liège.
  • Une politique plus agressive pour attirer les investisseurs étrangers.
Publicité
Donald Trump présente sa stratégie commerciale, épinglant la Belgique pour ses pratiques jugées défavorables aux entreprises américaines.
Donald Trump
plan large
L’Echo a épluché les "barrières au commerce extérieur 2025", document brandi par Donald Trump pour justifier ses droits de douane. On y découvre les sept "péchés capitaux" de la Belgique, selon l’administration américaine.
Avec ses sept magasins (trois dans le Hainaut, deux à Bruxelles, un à Liège et un au Luxembourg), Cora est la dernière enseigne de distribution active au sein du groupe Louis Delhaize.
Un conseil d'entreprise extraordinaire convoqué chez Cora: l'avenir de l'enseigne se jouera-t-il ce mardi?
Alors que les salariés de Cora vivent dans l'incertitude depuis des mois, se heurtant au silence de la direction, un conseil d'entreprise extraordinaire a été convoqué pour ce mardi matin.
Messages sponsorisés