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reportage

Shlomo Mansour, le plus vieil otage israélien du Hamas, est décédé

Une banderole avec le portrait de Shlomo Mansour, dont on a appris ce 11 février 2025 qu'il était décédé, vue à l'entrée de Kissoufim, le kibboutz qu'il habitait depuis plusieurs décennies, le 13 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

Shlomo Mansour est décédé lors de l'attaque du Hamas contre son kibboutz, le 7 octobre 2023, a annoncé l'armée israélienne ce 11 février 2025. Il incarnait plusieurs chapitres majeurs de l'histoire tumultueuse du Moyen-Orient.

Né en Irak, Shlomo Mansour avait survécu en 1941 au "Farhoud", une émeute antisémite durant laquelle près de 200 Juifs irakiens furent massacrés. Un événement qui marqua "le début de la fin" pour cette communauté multimillénaire, forcée à l'exode et aujourd'hui réduite à peau de chagrin.

De Bagdad à Jérusalem en passant par Tel-Aviv et le kibboutz meurtri de Kissoufim, L'Echo a remonté le fil d'un destin tragique – et historique.

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1 - Deux massacres

La foule en marche se fait de plus en plus compacte à mesure qu'elle approche de l'artère routière Menachem Begin, dans le nord de Tel-Aviv. En ce samedi 14 septembre, la plupart des manifestants brandissent des drapeaux israéliens, un mégaphone ou des pancartes appelant à la libération des otages tandis que des adolescents, flairant les bonnes affaires, ont rempli leurs caddies de sodas qu'ils proposent à la vente pour dix shekels.

"Mon grand-père a tant fait pour moi pendant tant d'années. Maintenant, c'est à mon tour de me battre pour lui afin de le ramener à la maison."

Yuval Mansour-Tito

Yuval Mansour-Tito les dépasse d'un pas pressé. "Mon grand-père a tant fait pour moi pendant tant d'années. Maintenant, c'est à mon tour de me battre pour lui afin de le ramener à la maison", martèle la jeune femme de 22 ans avant de concéder: "mais ça devient de plus en plus difficile. Je perds espoir."

Armée d'une pancarte à l'effigie de son grand-père, Shlomo Mansour, porté disparu depuis un an, la voilà qui présente son bracelet bleu à des agents de police afin d'accéder au pont qui surplombe la manifestation – un espace réservé aux médias et aux familles des captifs. Une marée humaine composée de dizaines de milliers d'Israéliens s'est donnée rendez-vous en contrebas pour réclamer un accord de cessez-le-feu qui permettrait la libération de la centaine d'otages toujours retenus par le Hamas. "Un accord!", scande un orateur sur scène. "Maintenant!", répond la foule en faisant trembler la nuit.   

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Yuval (au centre), petite-fille de Shlomo Mansour, tient un portrait de son grand-père avant la manifestation hebdomadaire du samedi pour la signature d'un accord pour la libération des otages, Tel-Aviv, le 14 septembre 2024.
Yuval (au centre), petite-fille de Shlomo Mansour, tient un portrait de son grand-père avant la manifestation hebdomadaire du samedi pour la signature d'un accord pour la libération des otages, Tel-Aviv, le 14 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

C'était l'aurore, le samedi 7 octobre 2023, lorsque des milliers de roquettes transpercèrent le ciel. Une attaque aérienne sans précédent qui n'est pourtant qu'une diversion: au même moment, les combattants du Hamas et de ses alliés font tomber la barrière de séparation entre Gaza et Israël pour fondre sur les bases et villages du pourtour de l’enclave. À Kissoufim, un kibboutz de 250 habitants, des assaillants tirent une rafale dans la porte des Mansour pour faire sauter la serrure. Ils trouvent Shlomo dans l’abri antiaérien et son épouse, Mazal, dans la salle de bain. Ils volent les clefs de la voiture et forcent le couple à sortir de la maison, mais la vieille dame parvient à s'enfuir et trouve refuge chez des voisins.

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251
otages
À l'échelle du pays, le bilan du samedi 7 octobre 2023, vertigineux, s'élève à près de 1.200 morts et 251 otages.

Rien qu'à Kissoufim, six ouvriers thaïlandais et neuf habitants sont assassinés, dont une nonagénaire abattue d'une balle dans la tête, et quatre personnes enlevées. À l'échelle du pays, le bilan, vertigineux, s'élève à près de 1.200 morts et 251 otages.

Ce jour-là, Shlomo Mansour s'est volatilisé. Avant de s'échapper, Mazal l'a vu être emmené vers leur vieille Suzuki grise, mains liées, encore vêtu de son pyjama. Depuis lors, rien. Aucun signe de vie, aucune trace ADN, aucune apparition dans une vidéo de propagande du Hamas. Alors, la famille se questionne: se pourrait-il qu'il ait été tué le 7 octobre et que son corps finisse par être retrouvé en Israël, comme ce fut le cas pour d'autres victimes dont on pensait, à tort, qu'elles avaient été faites otages?

Pour les Mansour, cette absence totale d'information relève, disent-ils, de la torture psychologique.

Où est-il véritablement retenu captif dans l'enclave palestinienne? Et si tel est le cas, quelles sont les chances qu'un homme de son âge, affaibli par la vieillesse et ne pesant déjà plus que 57 kilos au moment de son enlèvement, soit toujours en vie après avoir passé un an dans l'endroit le plus dangereux au monde, menacé par la faim et les bombes?

Même l'armée israélienne en est réduite aux suppositions. "On a passé au peigne fin toute la zone entre Kissoufim et la frontière avec Gaza et on est tombés sur un caleçon, du sang et des os. On était persuadés qu'il s'agissait de Shlomo Mansour, mais non. On n'a rien retrouvé. Rien. Ce qui semble indiquer qu'il a bien été emmené à Gaza", estime une source militaire ayant participé aux recherches. Pour les Mansour, cette absence totale d'information relève, disent-ils, de la torture psychologique. "Que les nouvelles soient bonnes ou mauvaises, j'ai juste besoin de savoir", confie Yuval, la petite-fille du patriarche. "Je suis un peu jalouse des familles qui ont reçu la confirmation que leurs proches kidnappés avaient été tués. Elles, au moins, peuvent tourner la page maintenant."

Le Farhoud

Shlomo Mansour, c'est ce vieux menuisier qui refusait de prendre sa retraite, rejoignant chaque jour son atelier à vélo. Cinq enfants, douze petits-enfants, membre-fondateur de son village collectiviste… Tout ce petit monde s'accorde à dire qu'il était un pilier pour les siens, un homme "qu'on aime aimer", le visage inlassablement habillé d'un sourire et de son énorme moustache grise. Shlomo Mansour, c'est aussi ce destin tragique qui défie l'imagination, au confluent de l'Histoire et de l'intime. Car le 7-Octobre n'est que le deuxième massacre auquel il aura été confronté.

Né en Irak en 1938 au sein d'une famille juive de la classe moyenne, Shlomo Mansour survit de justesse, trois ans plus tard, à une émeute antisémite, un pogrom, connu sous le nom de "Farhoud". Ce jour-là, le 1er juin 1941, une foule en colère déferle dans les rues de Bagdad, tuant, violant et pillant les familles juives de la capitale. Dans une lettre manuscrite et non-datée que sa famille conserve précieusement, Shlomo Mansour décrit ces évènements avec minutie malgré son jeune âge au moment des faits. Mélange, peut-être, de ses propres souvenirs et des récits familiaux qui ont marqué son enfance.

Photos de la famille Mansour prises à Bagdad, avant leur émigration en Israël. Jérusalem, Israël, le 14 septembre 2024.
Photos de la famille Mansour prises à Bagdad, avant leur émigration en Israël. Jérusalem, Israël, le 14 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press
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"Pendant le Farhoud, des Arabes ont fait irruption dans notre maison. Ils ont frappé mon père et ma mère à plusieurs reprises. Ils voulaient l'or et l'argent que nous gardions dans la maison et ont tout saccagé à la recherche de ces objets. J'ai pleuré et j'ai couru sur le toit. Là, j'ai été témoin d'une atrocité qui est restée gravée dans ma mémoire jusqu'à aujourd'hui", écrit-il. "Alors que j'étais sur le toit, j'ai entendu les cris et les pleurs d'une femme juive. Elle demandait qu'on lui rende son bébé. Mais les Arabes ont refusé et se sont passés le bébé comme un ballon. Finalement, l'un des Arabes a pris un couteau et a empalé le bébé, puis l'a rendu à la mère comme s'il s'agissait d'une brochette de viande."

"Je me réveille en sueur de temps en temps, en pensant à l'État islamique et au Hamas, contre lesquels nous nous battons aujourd'hui."

Shlomo Mansour
Ecrit dans son journal

C'est finalement une voisine musulmane qui sauvera la vie des Mansour en chassant les assaillants. À propos de cette journée noire, Shlomo Mansour écrit, prophétique: "J'en perds encore le sommeil et je me réveille en sueur de temps en temps, en pensant à l'État islamique et au Hamas, contre lesquels nous nous battons aujourd'hui."

Un "survivant de l'Holocauste"?

Le 5 mai dernier, au crépuscule, toute la famille Mansour avait été conviée au théâtre Cameri de Tel-Aviv pour marquer "Yom HaShoah", la journée de commémoration de l'Holocauste. À en croire certains historiens, c'est la propagande hitlérienne qui aurait inspiré les massacres du Farhoud de juin 1941 – ce qui ferait de Shlomo Mansour un survivant de la barbarie nazie, au même titre que les rescapés des camps de concentration. "J'espère que c'est la première et dernière fois que je participerai à un telle cérémonie", railla Batya Mansour, 56 ans, la fille de Shlomo, en prenant place dans un fauteuil.

Le Farhoud, "c'était la 'Nuit de Cristal de l'Irak', et le monde est resté silencieux face à l'intensification de l'antisémitisme".

Un présentateur
à Tel-Aviv, pendant la journée de commémoration de l'Holocauste le 5 mai dernier.

Le Farhoud, "c'était la 'Nuit de Cristal de l'Irak', et le monde est resté silencieux face à l'intensification de l'antisémitisme. Depuis plus de six mois, Shlomo subit un second Holocauste et le monde est à nouveau silencieux pendant que l'antisémitisme est en hausse", asséna le présentateur depuis son pupitre, face à plusieurs centaines de spectateurs silencieux. Des mâchoires se crispèrent et des yeux devinrent humides lorsqu'une photo de lui apparut sur un écran géant. Yuval, la petite-fille de Shlomo Mansour, et Hadassa Lazar, la sœur cadette de l'otage, s'avancèrent alors sur scène pour allumer une bougie en sa mémoire. Batya, qui ne put retenir ses larmes, fut immédiatement réconfortée par son fils, assis à côté d'elle, qui l'enveloppa dans ses bras et posa un baiser sur sa tempe.  

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Le contre-amiral Daniel Hagari, porte-parole de Tsahal, avait également profité de "Yom HaShoah" pour saluer ces "survivants de l'Holocauste qui ont été enlevés et assassinés le 7 octobre", parmi lesquels Shlomo Mansour, cité nommément lors de cette allocution télévisée. "Il est de notre devoir moral d'agir par tous les moyens pour les ramener chez eux le plus rapidement possible", avait martelé le haut-gradé d'une armée sous le feu des critiques pour ses crimes de guerre et possibles crimes contre l'humanité commis dans la bande de Gaza.

La propagande de guerre israélienne, si prompte à dénoncer les "nouveaux nazis" (selon Benyamin Netanyahou) qui kidnappent un "survivant de l'Holocauste" (selon Tsahal), semble oublier que l'état hébreu a toujours refusé ce statut aux victimes du Farhoud.

La propagande de guerre israélienne, si prompte à dénoncer les "nouveaux nazis" (selon Benyamin Netanyahou) qui kidnappent un "survivant de l'Holocauste" (selon Tsahal), semble oublier que l'état hébreu a toujours refusé ce statut aux victimes du Farhoud. Pendant de longues années, l'avocat David Yadid a bataillé pour que ses clients, des milliers d’Israéliens d'origine juive irakienne, puissent être officiellement reconnus comme tels, mettant en évidence l'influence "délibérée et organisée" que le Troisième Reich exerçait sur l'Irak en diffusant sa propagande, notamment via un journal et une radio, afin "de rendre les Juifs haïssables aux yeux des habitants arabes de l'Irak et de les inciter à s'en prendre à eux". Après tout, le Premier ministre de l'époque, Rachid Ali al-Gillani, n'était-il pas un ardent supporter d'Adolf Hitler, qui le reçu même en personne, à Berlin, juste après le pogrom? 

"Nous avons fait appel auprès du tribunal du district de Haïfa, sans succès, puis nous avons fait appel auprès de la Cour suprême de Jérusalem, sans succès. Nous avons ensuite fait appel auprès du président de la Cour suprême, sans succès. La situation est donc désormais définitive: monsieur Mansour et les autres Juifs irakiens qui ont vécu le Farhoud ne sont pas reconnus comme des 'survivants de l'Holocauste', mais comme des 'survivants de harcèlement antisémite à l'époque de la Seconde Guerre mondiale'", précise David Yadid, énergique avocat de 79 ans qui nous reçoit dans son cabinet de Tel-Aviv, à deux pas de la plage. "Au moment du kidnapping de Shlomo Mansour, j'ai lu dans la presse que 'une victime des nazis est détenue dans les tunnels du Hamas', ce qui est très sensationnel mais pas tout à fait vrai."

1.750
euros
Les 14.000 survivants du Farhoud qui vivent actuellement en Israël reçoivent une compensation annuelle de 7.248 shekels (environ 1.750 euros), soit quatre à dix fois moins qu'un "vrai" survivant de l'Holocauste.
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Les 14.000 survivants du Farhoud qui vivent actuellement en Israël reçoivent une compensation annuelle de 7.248 shekels (environ 1.750 euros), soit quatre à dix fois moins qu'un "vrai" survivant de l'Holocauste. Aujourd'hui encore, les historiens restent divisés sur les causes de cette émeute qui a coûté la vie à au moins 179 personnes – sans compter les blessés, les volés et les violées.

Ceux qui tendent à minimiser l'influence du régime nazi sur ces évènements pointent du doigt d'autres facteurs comme un antisémitisme irakien antérieur à la Seconde Guerre mondiale, le soutien au nationalisme palestinien et la lutte contre le Royaume-Uni. La date du Farhoud – le 1ᵉʳ et le 2 juin 1941 – donne en effet du crédit à la thèse d'une flambée spontanée d'Irakiens frustrés de la défaite de leur leader, Rachid Ali al-Gillani, contraint de fuir la capitale à l'approche des troupes britanniques. Au même moment, les Mansour et le reste de la communauté marquait Chavouot, la Pentecôte juive. Leurs célébrations auraient-elles été perçues comme une marque de soutien aux Alliés? Le vide sécuritaire provoqué par la chute du gouvernement aurait dès lors offert à la foule l'opportunité de s'en prendre aux "traîtres".

2 -Bagdad

À Bagdad, Shlomo n'était pas encore Shlomo. À son nom hébreu, ses proches lui préféraient son nom arabe, Assad Salman, attribué à sa naissance le 17 mars 1938

À Bagdad, Shlomo n'était pas encore Shlomo. À son nom hébreu, ses proches lui préféraient son nom arabe, Assad Salman, attribué à sa naissance le 17 mars 1938 lors d'une journée particulièrement froide et pluvieuse. C'est en tout cas ce qu'il dévoile dans un texte manuscrit que L'Echo a pu se procurer. Extraits: "Notre maison était grande, nous vivions avec grand-père Issac et grand-mère Tuffah, oncle Josef, oncle Jacob et tante Samira. Notre toit était plat et, en été, on pouvait y dormir et voir les étoiles dans le ciel. Nous vivions dans un quartier mixte où Arabes et Juifs entretenaient d'excellentes relations (…) Oncle Josef enseignait la Torah aux enfants dans une chambre, oncle Jacob travaillait comme infirmier dans un hôpital. Grand-père fabriquait du fromage et le vendait dans un petit magasin (…) J'ai fait mes études dans une école mixte composée d'Arabes et de Juifs. Chaque matin, nous nous levions pour chanter l'hymne national."

Malgré son jeune âge, Assad Salman se rend bien compte que la coexistence entre les communautés a ses limites, comme le démontre cette anecdote dans l'usine de fabrication de cigarettes gérée par son père David: "Les ouvriers de l'usine me demandaient de ne pas les toucher parce que sinon ils seraient obligés de prendre une douche. Après tout, j'étais juif. Le destin a voulu qu'ils achètent une machine à imprimer automatique avec de longues poignées. Un jour que j'accompagnais mon père au travail, j'ai entendu des cris et je suis allé voir pourquoi. J'ai vu un ouvrier pris par la poignée de la machine. J'ai rapidement débranché l'électricité. Ils étaient tous tellement heureux qu'ils voulaient me serrer dans leurs bras. Et ils m'ont laissé les toucher."

Les petites-filles de Shlomo Mansour découvrent pour la première fois des photos de leurs arrière-grands-parents David et Marcelle, prises à Bagdad, avant leur émigration en Israël. Jérusalem, Israël, le 14 septembre 2024.
Les petites-filles de Shlomo Mansour découvrent pour la première fois des photos de leurs arrière-grands-parents David et Marcelle, prises à Bagdad, avant leur émigration en Israël. Jérusalem, Israël, le 14 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press
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Faraj Allah, le quartier d'enfance de Shlomo Mansour, a aujourd'hui des airs crépusculaires. Des chanachils, ces balcons en bois typiques du vieux Bagdad, semblent prêts à s'effondrer sur les passants tandis que des fils électriques pendent comme des toiles d'araignée au-dessus de rues si étroites qu'il suffit de tendre les bras pour toucher les deux côtés à la fois. Les visages d'icônes religieuses chiites, placardés partout, scrutent un vendeur ambulant qui coupe les têtes de ses poissons à même le sol, déversant leur sang dans un égout.

"Une femme juive nommée Korjia vivait au bout de cette ruelle. Elle avait des vaches et offrait du lait aux plus pauvres", se souvient Nabil Abdelkarim, né à Faraj Allah il y a 72 ans. "Et juste là", complète Nassim Azzawi, "c'était notre école primaire – une ancienne synagogue. Les bâtiments autour servaient à loger des rabbins". Les deux hommes, amis depuis la tendre enfance, écrivent ensemble un livre sur l'histoire de ce quartier pour lequel ils éprouvent tant de nostalgie. En leur compagnie, aucune rue, aucune porte ne reste muette. Le bas de leur crâne dégarni forme des plis à chaque fois qu'ils relèvent la tête pour observer la fanaison des façades.

Nabil raconte notamment cette anecdote qui dit tant des tourments de la région: "Au lycée, j'étudiais avec des Palestiniens expulsés de chez eux par Israël. Les autorités de l'époque leur avaient mis à disposition des maisons juives abandonnées, juste-là, en face de nous, dans le quartier de Torat", indique-t-il en désignant d'un geste de la main le trottoir d'en face.

"Le début de la fin"

Depuis les tréfonds de sa mémoire, Samira, la tante de Shlomo, aujourd'hui centenaire, nous avait fait parvenir cette adresse, presque cryptique: "Faraj Allah 149a44". Le changement du système de cadastre suite à la chute de la royauté et l'avènement de la République irakienne aurait dû rendre cette information inutilisable. C'était sans compter sur notre guide Nabil, ancien fonctionnaire pour la compagnie d'électricité publique, qui, à force d'étudier les plans du quartier, dit connaître toutes les adresses, même celles qui n'existent plus.

"'149a44', ça veut dire district 149, bâtiment 44, appartement A. On est juste à côté, allons voir!", ordonne-t-il, accompagné dans son enthousiasme par son ami Nassim. Les deux septuagénaires s'élancent dans les rues étroites en abordant des habitants au hasard pour leur demander leur facture d'électricité. "Ma facture? Mais pourquoi?", demande, mi-amusée, mi-incrédule, une femme recouverte d'une abaya noire. "Pour y lire ton numéro de bâtiment et de district et donc, par déduction, déterminer l'emplacement de la maison que l'on recherche", lui explique Nassim. "Tiens, d'ailleurs, tu ne me reconnais pas? Mon père connaissait ton père." Et son interlocutrice de s'exécuter avec entrain pour aller chercher l'indice demandé.

De 1949 à 1952, ils sont des dizaines de milliers [de Juifs], à force de menaces et d'humiliations quotidiennes, à choisir l'exil, contraints d'abandonner leur citoyenneté irakienne, leurs propriétés et la majorité de leurs possessions matérielles.

Le jeu de piste dure bien une heure avant que les deux amis s'avouent vaincus. "Je ne la trouve pas votre maison", s'excuse Nabil en secouant la tête. C'est ce moment-là que choisit un homme qui se présente comme le mokhtar, le chef du quartier, pour débarquer et faire toute la démonstration de son autorité. "On n'aime pas les gens qui posent des questions en prenant des notes, c'est suspicieux", s'insurge-t-il avant d'être rassuré par Nabil. Il attend que le mokhtar soit reparti dans l'autre sens pour maugréer: "Lui, ce n'est clairement pas un habitant d'origine. Le changement démographique a attiré des gens qui ne connaissent rien à rien."

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un tiers de la population de Bagdad était de confession juive. Si les atrocités du Farhoud en 1941 ont été considérées, a posteriori, comme "le début de la fin", c'est la position de plus en plus agressive des autorités irakiennes envers leurs citoyens juifs suite à la fondation de l'État d'Israël sept ans plus tard qui finiront par pousser ces derniers au départ.

"Avec cet exode, l'Irak a perdu une partie de son héritage et Israël a gagné des docteurs, des avocats, des ingénieurs, des commerçants et des intellectuels."

Saif Adnan
Professeur d'Histoire à l'université Al-Iraqia de Bagdad

De 1949 à 1952, ils sont des dizaines de milliers, à force de menaces et d'humiliations quotidiennes, à choisir l'exil, contraints d'abandonner leur citoyenneté irakienne, leurs propriétés et la majorité de leurs possessions matérielles. "Un second Farhoud", résume Saif Adnan, professeur d'Histoire à l'université Al-Iraqia de Bagdad et l'auteur de deux ouvrages sur la condition des Juifs irakiens au vingtième siècle. "Avec cet exode, l'Irak a perdu une partie de son héritage et Israël a gagné des docteurs, des avocats, des ingénieurs, des commerçants et des intellectuels", détaille-t-il.

Une vitalité insoupçonnée

À cette vague de départs à laquelle participent les Mansour, certains spécialistes, dont l'historien israélo-britannique d'origine juive irakienne Avi Shlaim, voient aussi la main de l'État hébreu, ou du moins du mouvement sioniste clandestin qui opérait dans le pays, accusé d'avoir fomenté une série d'attentats qui ont frappé la communauté juive de Bagdad au début des années 1950, et ce afin de l'encourager à partir. Les détracteurs de cette théorie rétorquent que les familles en partance n'avaient pas besoin de ces encouragements: la majorité d'entre elles s'étaient inscrites à l'immigration vers Israël avant même les premières détonations.

Le nombre de "Juifs babyloniens", comme ils se surnomment parfois, chute alors de 130.000, peut-être même 150.000, à quelques milliers. Puis seulement à quelques centaines suite à la guerre des Six-Jours, en 1967, et la guerre de Kippour, en 1973. Ces gifles d'Israël aux armées arabes ne feront que renforcer les persécutions contre les derniers membres de la communauté. Les accusations d'espionnage au profit de "l'entité sioniste" se multiplient, tout comme les pendaisons sur la place publique. Au lendemain de l'invasion américaine de 2003, ils ne sont plus qu'une trentaine. Aujourd'hui? À peine quatre, officiellement. Encore davantage contraints à la discrétion depuis le début de la guerre à Gaza.

Cette communauté microscopique, drapée dans son mutisme, accepte tout de même de nous ouvrir les portes de la Synagogue Meir Taweig, la mieux préservée du pays. Il faut voir cet impressionnant plafond en damier bleu et blanc, ces armoires en métal remplies de vieilles kippas et de livres de prière aux pages jaunies, ou encore ces luminaires ornés, en lettres hébraïques, des noms des défunts, comme le veut la tradition. Près de l'entrée, un livre d'or révèle que seule une poignée de visiteurs ont franchi ces portes au cours des dernières années, dont une majorité de diplomates européens. "Plus personne ne vient prier ici", se désole le gardien des lieux.

La nouvelle responsable de la communauté, épaulée par une armée d'avocats, a commencé à récupérer les titres de propriété de dizaines de maisons, commerces et lieux de culte spoliés. "Je fais tout ça pour permettre le retour des Juifs à Bagdad", confie-t-elle.

Selon la tradition biblique, la Genèse des Juifs d'Irak remonterait à 597 avant notre ère, lorsque le roi Nabuchodonosor II déporta la population de Judée à Babylone après avoir détruit le Temple de Jérusalem. Si la communauté semble désormais au bord de l'extinction, le cimetière juif situé en plein cœur de Sadr city, en banlieue de Bagdad, laisse entrevoir une vitalité insoupçonnée. Des dizaines, des centaines de sépultures ont déjà été rénovées et des ouvriers continuent de s'atteler à la tâche, prévoyant, d'ici à huit mois, de finir de planter des arbustes et de construire des allées en briques rouges.

Mieux: la nouvelle responsable de la communauté, épaulée par une armée d'avocats, a commencé à récupérer les titres de propriété de dizaines de maisons, commerces et lieux de culte spoliés. "Je fais tout ça pour permettre le retour des Juifs à Bagdad", confie-t-elle depuis son appartement de la capitale, préférant garder l'anonymat de peur de subir des représailles. "J'espère", sourit-elle, "qu'ils reviendront et que nous ouvrirons à nouveau les synagogues pour aller y prier".

3 - Le kibboutz

À 850 kilomètres de là, à Jérusalem, Rachel Hazan, 85 ans, l'une des sœurs de Shlomo, accueille en ce jour de Shabbat sa fille Hadar et six de ses petits-enfants. Toute la famille est rassemblée autour d'archives photographiques de la vie des Mansour en Irak. Sur ces vieux clichés en noir et blanc, on l'y voit elle, Shlomo et leur frère Moshe, tout endimanchés, prenant la pose avec leurs parents devant l'objectif. Ou encore cette photo de Shlomo en culotte courte et chaussettes hautes, devant un palmier, entouré de son père et de son grand-père.

"À l’école, on étudie l'Holocauste dans les moindres détails mais rien sur le Farhoud. Même le mot 'Farhoud' n’est pas connu."

Hadar Cohen
Une nièce de Shlomo Mansour

Hormis la matriarche, tout le monde découvre ces images pour la première fois. Émerveillées, les petites-filles de Rachel tentent, grâce à leurs rudiments d'arabe, de décrypter les inscriptions manuscrites qui se trouvent au dos de certains des clichés. "Bagededa?", tente l’une des adolescentes. "Bagdad!", rétorquent les autres en chœur, un brin moqueuses. Elles découvrent à cette occasion que le Farhoud n'avait pas duré plusieurs années, comme elles se l'étaient imaginé, mais seulement deux jours. "À l’école, on étudie l'Holocauste dans les moindres détails mais rien sur le Farhoud. Même le mot 'Farhoud' n’est pas connu", se désole Hadar Cohen.

C'est ensuite au tour du cadet, un garçon de 12 ans nommé Amir, de s'approcher timidement de sa grand-mère pour tester ses connaissances de la mythologie familiale: "c'est vos voisins musulmans qui vous ont aidé à quitter l'Irak?". "Non, tu confonds", répond Rachel avec douceur. "Nos voisins musulmans nous ont sauvé la vie durant le Farhoud. Au moment de notre départ, dix ans plus tard, ils voulaient au contraire qu’on reste. Ils pleuraient. Ils avaient peur qu'on n'ait que des patates à manger une fois arrivés en Israël."

Entre 120.000 et 130.000 personnes débarquent de Bagdad. Leur absorption est laborieuse: les maisons vacantes des Palestiniens, violemment expulsés de chez eux lors de la "Guerre d'Indépendance" de 1948, ont déjà été mises à disposition de la vague d'olim (immigrants juifs) arrivés précédemment.

Avec une valise pour seul bien, entre 120.000 et 130.000 personnes débarquent de Bagdad grâce au pont aérien mis en place par l'état hébreu ou via des routes clandestines. Leur absorption est laborieuse: les maisons vacantes des Palestiniens, violemment expulsés de chez eux lors de la "Guerre d'Indépendance" de 1948, ont déjà été mises à disposition de la vague d'olim (immigrants juifs) arrivés précédemment. Pour les Irakiens et tous ces Juifs orientaux qui arrivent en masse, les autorités établissent alors des dizaines de maabarot, des camps de transit sommaires, sans eau courante ni électricité. Dans le camp de Talpiot, à Jérusalem, la famille Mansour se voit attribuer une cabane en tôle. 

"Nous sommes arrivés dans un désert sans rien du tout. Ma mère était enceinte mais ils l'ont à peine nourrie d'un demi-œuf, et les enfants n'ont presque rien eu à manger non plus. Le pire, c'était l'hiver. Il neigeait et nous n'avions pas de chauffage", se souvient Rachel, qui avait douze ans à l'époque. "Si les Juifs avaient été autorisés à rentrer en Irak, mon père aurait été le premier à sauter dans un avion."

Quand Shlomo est devenu Israélien

C'est là, dans ce camp de transit, que Shlomo, désormais âgé de 16 ans, est approché par un mouvement de jeunesse qui lui propose de rejoindre Kissoufim, tout juste établi en bordure de la bande de Gaza. Kissoufim est un kibboutz, un village fondé sur des principes socialistes très stricts si chers aux pères-fondateurs de l'état hébreu, faisant la promotion du travail de la terre et de la vie en communauté. "C'est là-bas que mon frère est véritablement devenu Israélien", estime Hadassa, la cadette de la famille.

Shlomo y fait la rencontre d'une certaine Mazal, sa future compagne. Lui veut rester vivre à Kissoufim; elle pas. Il cède. "Nous nous sommes mariés à Jérusalem où nous avons eu notre premier enfant, puis ils ont envoyé une délégation pour nous ramener au kibboutz. Je n'aimais pas l'idée que les enfants, dès l'âge de six semaines, devaient vivre avec les autres enfants dans une pouponnière et non pas avec leurs parents. Les pleurs du bébé me hantaient, c'était terrible", se souvient Mazal, 78 ans, l'épouse-veuve de Shlomo. "C'est à cause de la récession qui frappait le pays que j'ai accepté de retourner vivre là-bas. Mon mari avait peur de ne pas être capable de subvenir à nos besoins si jamais on restait vivre en dehors du kibboutz. Mais je n'ai jamais complètement accepté ma décision de retourner y vivre." 

Au kibboutz, la propriété privée n'existe pas et la vie communale touche toutes les sphères du quotidien. Les repas sont servis dans un grand réfectoire, les enfants sont élevés ensemble et chacun contribue de son mieux en s'occupant de laver le linge sale de l'ensemble de la communauté, en travaillant dans les champs, dans les étables ou le poulailler. Jusqu'à ce qu'à partir des années 1980, une crise économique ne force la majorité des kibboutzim, dont Kissoufim, à la "privatisation": les services offerts à la collectivité sont supprimés ou deviennent payants, le réfectoire ferme ses portes et chaque famille nucléaire se replie sur elle-même.

Kissoufim est désormais un village-fantôme. Seul signe de vie: ces jeunes soldats qui gardent l'entrée principale, décorée de fils barbelés et d'une grande bannière à l'effigie de Shlomo Mansour. Dans la menuiserie, où personne n'a osé toucher à quoi que ce soit depuis le "shabbat noir" il y a un an, les outils de l'otage prennent la poussière sur une table en bois. Dehors, une bourrasque soulève un nuage de sable qui enveloppe brièvement des maisons calcinées. Des tags inscrits sur les façades par l'armée à l'aide de bombonnes de peinture indiquent quelles sont les maisons où des corps ont été retrouvés. Au domicile des Mansour, les impacts de balle dans la porte et dans les murs démontrent toute la violence de l'assaut. La majorité des pièces, plongées dans le noir, sont désormais vides. "Quelle tristesse", souffle Mazal, accompagnée de sa fille Batya pour récupérer quelques affaires dans des cartons.

Des maisons détruites lors de l'attaque du Hamas du kibboutz Kissoufim le 7 octobre 2023. Israël, le 13 septembre 2024.
Des maisons détruites lors de l'attaque du Hamas du kibboutz Kissoufim le 7 octobre 2023. Israël, le 13 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

Après avoir été relogés pendant des mois par le gouvernement dans un hôtel quatre étoiles de la mer Morte, les habitants de Kissoufim ont récemment emménagé dans des maisons préfabriquées installées sur un terrain vague de la localité d'Omer, en banlieue de Beer-Sheva. Assise sur le canapé pour tricoter – sa nouvelle activité fétiche pour rester occupée – Mazal écoute attentivement la radio. Sa petite-fille, Yuval, est l'invitée d'une émission populaire pour parler de Shlomo. Des larmes se mettent à couler sur ses joues parcheminées, rapidement essuyées par Batya.

Maisonnettes construites après le 7 octobre dans la localité d'Omer, où sont aujourd'hui regroupés les habitants de Kissoufim. Israël, le 13 septembre 2024.
Maisonnettes construites après le 7 octobre dans la localité d'Omer, où sont aujourd'hui regroupés les habitants de Kissoufim. Israël, le 13 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

Un voisin toque alors à la baie vitrée pour offrir du pain frais à Mazal et parvient même à lui arracher un sourire. "Ma mère était devenue aigrie à force de vivre dans ce kibboutz qu'elle n'a jamais vraiment aimé. Elle restait beaucoup à la maison et était devenue un peu asociale – tout le contraire de mon père", murmure Batya sur le ton des confidences. "Mais depuis le 7 octobre, elle a changé et je suis la première à en être surprise. Peut-être que tout l'amour qu’elle reçoit lui a démontré que ses voisins ne sont pas si mauvais que ça."

Des vies en suspens

Batya a longtemps été confiante, persuadée que la personnalité solaire de son père et sa maîtrise rudimentaire de l’arabe lui permettraient d’être bien traité par ses geôliers et même "de jouer au backgammon avec eux en buvant un café". Son optimisme a été mis à rude épreuve. "Ça serait un miracle qu'il soit toujours en vie", résume-t-elle aujourd'hui.

Shlomo et la centaine (de corps) d'otages toujours manquants, le gouvernement Netanyahou semble les avoir condamnés à leur sort en "déplaçant le centre de gravité de la guerre" de Gaza au Liban

Un an plus tard, la "victoire totale" que l'état hébreu s'est fixé comme objectif de guerre reste élusive et le Hamas, bien que fortement affaibli, survit et mute, adoptant les tactiques de la guérilla. Quant à Shlomo et la centaine (de corps) d'otages toujours manquants, le gouvernement Netanyahou semble les avoir condamnés à leur sort en "déplaçant le centre de gravité de la guerre" de Gaza au Liban, mais seulement après avoir réduit l'enclave en vaste champ de ruine. Selon le ministère de la Santé de Gaza, près de 42,000 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre. Un chiffre probablement sous-estimé. Sans parler des déplacés et des amputés, des traumatisés, des affamés et de ceux qui sont tout ça à la fois.

Une femme tient le portrait de Shlomo Mansour, dessiné par un collectif d'artistes, lors de la manifestation hebdomadaire du samedi pour la signature d'un accord pour la libération des otages, Tel-Aviv, le 14 septembre 2024.
Une femme tient le portrait de Shlomo Mansour, dessiné par un collectif d'artistes, lors de la manifestation hebdomadaire du samedi pour la signature d'un accord pour la libération des otages, Tel-Aviv, le 14 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

Pendant un an, les membres de la famille Mansour se sont inlassablement mobilisés en faveur de Shlomo. Ils ont fait le tour des plateaux télévisés, participé à des rassemblements sur la "Place des otages", face au musée d'Art moderne, multiplié les réunions à la Knesset, le Parlement israélien, et pris part à des délégations à l'étranger, aux États-Unis, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas et dans l'Hexagone pour chercher de l'aide auprès du premier ministre français de l'époque, Gabriel Attal, ou du Secrétaire-général des Nations Unies, António Guterres.

Paradoxalement, après la disparition de Shlomo, la famille s'est en quelque sorte agrandie. Des liens ont été ressoudés et des visages découverts, à l'image de cette cousine germaine, jusque-là inconnue, qui s'est portée volontaire pour alimenter quotidiennement le compte Instagram au 10.000 abonnés"bring.shlomo.home". Ils ont aussi pu compter sur l'aide du cinéaste israélien culte Dror Shaul, originaire de Kissoufim, qui a tourné une vidéo de soutien au patriarche dans laquelle figurent des interviews de Batya et Mazal.

Mazal Mansour, la femme de Shlomo, pleure alors qu'elle écoute une émission de radio dans laquelle sa petite fille Yuval parle de son grand-père. Elle habite aujourd'hui dans un nouveau logement dans la localité d'Omer, où ont été regroupés les kibboutzniks de Kissoufim. Israël, le 13 septembre 2024.
Mazal Mansour, la femme de Shlomo, pleure alors qu'elle écoute une émission de radio dans laquelle sa petite fille Yuval parle de son grand-père. Elle habite aujourd'hui dans un nouveau logement dans la localité d'Omer, où ont été regroupés les kibboutzniks de Kissoufim. Israël, le 13 septembre 2024. ©Lucien Lung / Riva Press

Pendant des mois, des vies en suspens, dans l’attente d’un dénouement. Yuval et sa mère avaient emménagé à Ramat Gan, en périphérie de Tel-Aviv, pour se rapprocher du lieu des manifestations et du quartier-général du "Forum des familles", l’organisation qui rassemble les proches des captifs en un même lobby. Puis il a fallu rendre l’appartement, prêté jusque-là gracieusement, et retourner habiter dans le centre du pays. Yuval a décidé de commencer des études. Sa mère, Batya, vient tout juste de se remettre au travail, aménageant un salon de manucure dans l'une des chambres de la nouvelle maison de Mazal.

Shlomo Mansour est un double rescapé, du Farhoud mais aussi du 7-Octobre, quand tant d'autres n'ont pas eu sa chance.

Il y a ceux, comme sa sœur cadette Hadassa, qui, chaque jour, se réveillent et s'endorment en pensant à Shlomo et s'adressent à lui dans leur sommeil. Il y a ceux qui parlent de lui à l'imparfait avant de se reprendre immédiatement, empreints d'un sentiment de tristesse et de culpabilité. Puis il y a, dans un appartement de Jérusalem, quelqu'un qui ne se doute de rien. De peur de la faire "mourir de tristesse", la famille n'a rien dit à Samira, la tante centenaire de l'otage.

Lorsqu'elle demande pourquoi son neveu adoré ne lui téléphone plus, on lui répond qu'il est déplacé dans un hôtel de la mer Morte, sans réseau téléphonique, mais qu'il l'embrasse. Sans doute Samira se dit-elle qu'il doit s'ennuyer au bord de la piscine, loin de sa menuiserie. Dans cette réalité alternative qui n'existe que dans sa tête, Shlomo Mansour était un double rescapé, du Farhoud mais aussi du 7-Octobre, quand tant d'autres n'ont pas eu sa chance.

Wilson Fache, en Israël et en Irak

Quatre mois après la parution de ce reportage, nous avons appris, ce 11 février 2025, le décès de Shlomo Mansour. Selon l'armée israélienne, il a été tué lors de l'attaque perpétrée par le Hamas contre son kibboutz le 7 octobre 2023 et son corps avait ensuite été transporté dans la bande de Gaza.

Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles

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