80 ans après l'Holocauste, "les gens n'ont rien appris"
Quatre-vingts ans après la libération d'Auschwitz, des enfants juifs cachés témoignent de l'Holocauste, le massacre de plus de six millions de Juifs, au cours duquel une partie, ou la totalité, de leur famille a disparu.
Un froid piquant balaye l'avenue des Tropiques, à Forest. Le "Chant des partisans" s'élève d'un accordéon, réchauffant une petite assemblée. Quatre-vingts ans après la libération du camp d'Auschwitz, Ariel Potasznik — une enfant juive cachée durant la Seconde Guerre mondiale pour échapper à l'Holocauste — se tient avec les siens devant le pavé de la mémoire posé en l'honneur de son père, Samuel Potasznik, le chef d'un réseau de résistants belges fusillé par les nazis le 9 septembre 1944.
"Mon père a été tué parce qu'il était Juif et qu'il résistait à l'envahisseur", dit-elle. Comme d'autres enfants cachés, elle choisit de témoigner, alors que le monde entier commémore le 27 janvier l'Holocauste (ou la Shoah), au cours duquel plus de six millions de Juifs ont été exterminés. Un tiers de la population juive dans le monde.
"Toute la famille de ma mère a été exterminée"
"Mon père a été tué parce qu'il était juif et qu'il résistait à l'envahisseur."
Ariel Potasznik est née le 18 juin 1944, dans la clandestinité, au couvent de Tirlemont. Sa mère, Golda Zingier, venait juste d'apprendre la condamnation à mort de son mari, Samuel, dénoncé par des voisins.
"L'annonce de la condamnation de mon père fut un choc terrible pour maman. Elle se sentait très insécurisée", dit Ariel Potasznik. Elles étaient devenues des proies pour les nazis. "Nous avons survécu grâce à la Résistance, qui nous changeait régulièrement de cache", ajoute-t-elle.
Golda Zingier avait fui l'Ukraine au début des années 30, lors des premiers pogroms. Ses parents et ses frères n'eurent pas cette chance. "Toute la famille de ma mère a été exterminée pendant la Shoah. Je ne sais rien d'elle. C'est quasiment la même chose du côté de mon père", dit Ariel Potasznik. Dans les pays de l'Est, l'extermination des Juifs était systématique. En Ukraine, la Shoah a commencé par des exécutions par balle, comme à Babi Yar (Kiev), où 33.771 Juifs furent abattus en deux jours.
"C'est encore plus important de commémorer la Shoah aujourd'hui, car les néonazis montent en force, un peu partout dans le monde."
Dix ans après la guerre, le destin a rattrapé Golda Zingier. "L'avion israélien d'El Al, dans lequel elle se trouvait, a été abattu par un missile au-dessus de la Bulgarie. Elle est morte, comme son mari, parce qu'elle était Juive", dit sa fille. "Ils ont choisi de lutter contre la Shoah, ils ont choisi la vie, alors je veux témoigner pour eux, pour que cela n'arrive plus."
À la veille de son exécution au Tir national, à Schaerbeek, Samuel Potasznik écrivit une lettre d'adieu à sa femme d'une telle intensité qu'une copie est exposée dans le musée de l'Holocauste à Washington.
"Les gens n'ont rien appris"
Heinz Hurwitz, ancien professeur de chimie à l'ULB, est né à Berlin en 1934. Son père, sentant la menace grandir, a décidé de fuir l'Allemagne en 1937. Une partie de sa famille les rejoint en 1939, après la Nuit de Cristal (qui eut lieu dans toute l'Allemagne, durant la nuit du 9 au 10 novembre 1938, NDLR), durant laquelle Hitler ordonna plusieurs pogroms.
"Nous nous sommes réfugiés à Spa", dit Heinz Hurwitz. Pour ces Juifs allemands, le répit fut de courte durée. Les autorités belges, collaborant avec les nazis, finirent par déporter son père.
"En 1940, après le début de la guerre, papa a été déporté en France. Le régime de Pétain l'a envoyé dans un camp de la mort. Il n'est jamais revenu", poursuit-il.
Heinz Hurwitz a survécu, caché par une Belge à Ottignies, et fut baptisé catholique. "Toute ma famille a été déportée à Auschwitz. Personne n'est revenu", ajoute-t-il. "C'est encore plus important de commémorer la Shoah aujourd'hui, car les néonazis montent en force un peu partout."
"Je veux honorer tous les Justes qui ont aidé les juifs, ce serait criminel de les oublier."
Des victimes inquiètes
Des partis d'extrême droite sont au pouvoir, ou à ses portes, dans plusieurs pays européens. En Allemagne, l'AfD, soutenu par le milliardaire Elon Musk, est le deuxième parti du pays. En Autriche, le FPÖ, fondé par d'anciens officiers nazis, veut envoyer son dirigeant, Herbert Kickl, à la chancellerie.
La progression de l'extrême droite et de l'antisémitisme inquiète les victimes de la Shoah. À Bruxelles, une personne sur quatre exprime de l'antisémitisme. "C'est une catastrophe, nous nous retrouvons dans la même situation qu'avant 1940. Les gens n'ont rien appris, ils n'ont rien compris. C'est difficile à Anvers pour les Juifs, mais c'est encore pire à Bruxelles", résume Regina Sluszny, une enfant cachée, qui témoigne de son histoire dans les écoles.
La Belgique, qui porte une lourde responsabilité dans la déportation de milliers de Juifs, n'a toujours pas adopté de stratégie pour lutter contre l'antisémitisme.
"J'avais deux ans et demi"
Regina Sluszny, 85 ans, a échappé à la déportation grâce à ses parents, des juifs orthodoxes d'origine polonaise, qui ont fui rapidement Anvers après l'arrivée des Allemands, et à un couple de commerçants, Charles et Anna, voisins de l'endroit où ils s'étaient réfugiés, qui ont aidé sa famille.
"J'avais deux ans et demi, je pouvais m'aventurer dehors, car j'étais blonde, je ne ressemblais pas à une petite fille juive, raconte Regina Sluszny, j'avais faim, je passais par un trou dans le mur qui donnait chez les voisins, j'allais manger la nourriture du chat. Anna m'a vue, elle m'a donné à manger, ainsi qu'à mes parents."
Le couple, qui tenait l'épicerie, a gardé Regina durant trois ans et demi. "Ils ont pris soin de moi pendant tout ce temps. Mes parents avaient été obligés de se cacher ailleurs parce qu'un homme nous avait dénoncés", poursuit-elle. "Lorsque je les ai retrouvés, après la guerre, j'ai continué à voir Charles et Anna. Il y a cinq ans seulement, j'ai fini par apprendre que Charles faisait partie de la résistance."
Regina Sluszny témoigne chaque fois qu'elle le peut. "Je veux honorer tous les justes qui ont aidé les Juifs, ce serait criminel de les oublier", dit-elle.
- Quatre-vingts ans après la libération du camp d'Auschwitz, Ariel, Heinz et Regina, des enfants juifs cachés, témoignent de la tragédie qu'ils ont vécue et de l'Holocauste, durant lequel plus de six millions de juifs ont été massacrés en Europe. Un tiers de la population juive de la planète.
- À leurs yeux, leur témoignage est précieux pour entretenir la mémoire de leur famille, souvent entièrement exterminée, honorer les Justes qui ont protégé les juifs, et lancer un avertissement: 80 après, l'extrême droite et l'antisémitisme continuent à progresser.
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