© Wouter Maeckelberghe

La quête d’Hardiquest: "Je voudrais ouvrir quatre établissements dans quatre pays"

Mettre un point final au succès pour se réinventer: Willem Hiele et son ami Christophe Hardiquest ont plus en commun qu’on pourrait le croire. À la fin du mois de juin, Bon Bon, son restaurant deux étoiles, ferme définitivement. Le chef a déjà d’autres projets, dont un avec la Galerie La Forest Divonne. "Je suis plus créatif quand je suis en danger."

L’attribution de nouvelles étoiles belges (ou le retrait) du Guide Michelin, le 23 mai dernier à Mons, Christophe Hardiquest ne s’y est pas intéressé : le restaurant doublement étoilé Bon à Woluwé-Saint-Pierre fermera de toute façon ses portes fin juin. "C’est quasi complet jusqu’au jour de fermeture", commente le chef. "Depuis que j’ai annoncé mon départ, j’ai reçu une trentaine d’offres d’emploi. Ici, j’ai travaillé comme un fou pendant vingt ans, plus de quatre-vingts heures par semaine. Quand on y réfléchit, c’est dingue. J’aurais parfaitement pu continuer sur ma lancée, mais si c’est juste pour être malheureux, je préfère ne pas le faire. C’est un bon moment pour changer, la routine est dangereuse. Quand je reste trop dans ma zone de confort, je n’ai plus de vision. Depuis que j’ai dit que j’arrêtais, je la retrouve de plus en plus."

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Si l’on veut encore s’attabler chez Hardiquest, un moyen détourné n’est autre qu’au travers du projet artistique "L’Œuvre au corps", qui débute ce week-end. Le chef a en effet conçu un menu expérimental, basé sur les œuvres de l’artiste plasticienne Rachel Labastie, qu’il sert les 7 juin et 15 juin à midi. Le projet est une initiative de la Galerie La Forest Divonne (établie à Paris et à Bruxelles) et de Swenden Studio. L’idée est intrigante: six artistes contemporains inspirent six grands chefs belges et français, qui interprètent leurs œuvres sous forme de plats. On peut notamment découvrir "L’Œuvre au Corps" dans la galerie, ainsi que dans les restaurants des chefs participants: Alain Passard (L’Arpège à Paris ***), Karen Torosyan (Bozar Restaurant *),Nicolas Decloedt (Humus x Hortense *) et Bruno Verjus (Table à Paris **).

Quel est le goût d’une œuvre d’art? Comment la gastronomie peut-elle souligner l’expérience sensorielle de l’art? "C’est une question intéressante, car un chef possède certainement un lexique différent de celui d’un artiste. L’artiste plasticienne Rachel Labastie m’a mis au défi d’expérimenter librement", explique Hardiquest. "Je vais notamment cuisiner avec de l’argile et de la cendre, des ingrédients issus de son travail. Le menu est plus artistique que ce que nous servons habituellement. Nous avons éliminé le superflu pour arriver à des plats très intenses et très purs. Rachel ose se mettre en danger pour créer. En tant que chef, je reconnais ce mécanisme: rester dans sa zone de confort empêche d’innover. On fonctionne mieux dans des circonstances difficiles. Je suis plus créatif quand je suis en danger."

Crise de la quarantaine

Christophe Hardiquest remet donc tout en question. Son couple après 27 ans, son restaurant étoilé après 20 ans, sa carrière après 30 ans. Il poursuit: "Mon avenir est dans le changement. Je voudrais ouvrir quatre petits établissements atypiques dans quatre pays, à maximum trois heures d’ici. Chaque restaurant sera une expérience différente. En tant que chef, je serai connecté en temps réel aux quatre établissements. Bien sûr, je tiens à continuer à cuisiner, mais en tant que chef nomade. Dans cinq ans, je voudrais avoir atteint cet objectif. Je n’ai plus besoin d’un grand restaurant. En termes de personnel, c’est presque intenable".

"Nous sortons de deux années de pandémie et une guerre plane au-dessus de nos têtes. J’ai besoin de positif. Je veux m’amuser. Mais plus à 100% en Belgique. Attention, je suis fier d’être belge: je suis né en Wallonie, je vis en Flandre et j’ai un établissement à Bruxelles. J’aime notre pays, mais il ne me rend plus heureux. Je voudrais mettre mon énergie ailleurs. La pandémie a eu un impact énorme sur moi et sur mon établissement. Un ami m’a prêté 25.000 euros, sinon je mettais la clé sous la porte. En Flandre, il y avait des établissements qui étaient indemnisés à hauteur de 15.000 à 20.000 euros par mois, alors que je n’ai été dédommagé qu’à hauteur de 48.000 euros en deux ans. C’est injuste. Savez-vous que certains de mes sous-chefs sont venus travailler gratuitement? Je voulais les payer, mais je ne pouvais pas. C’était une période difficile, chaque centime comptait. Mais, finalement, j’en ai fait quelque chose de positif."

Crise de la quarantaine

L’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs? "Peut-être pas. Pour ne pas me lancer seul dans cette aventure, j’ai des investisseurs et des partenaires. Je resterai actionnaire et je serai en cuisine, même si je ne pourrai évidemment pas être aux quatre adresses à la fois. Lorsqu’on lui avait demandé ‘Qui fait la cuisine quand vous n’êtes pas là?’, le chef Paul Bocuse avait répondu ‘Les mêmes que quand je suis là!’. J’ai passé 20 ans dans mon restaurant. À l’avenir, je ne serai pas toujours présent: j’ai décidé de prendre du temps pour moi. C’est peut-être le plus grand changement jusqu’à aujourd’hui. Et si je n’ai pas envie de cuisiner pendant une semaine, je ne cuisinerai pas, tout simplement", lance Hardiquest.

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"Non, cette nouvelle aventure n’est pas une question d’argent: c’est une question d’énergie. J’ai 46 ans, il me reste pour 15 ans de carburant dans mon réservoir. J’aime prendre des risques, voyager et innover. It’ now or never."

Sur le plan privé, Hardiquest change également de cap: il divorce après 27 ans de mariage. "Je ne suis pas destructeur, ce sont juste des étapes de la vie à traverser. À l’école, vous apprenez à gérer l’adolescence, la transition hormonale entre l’enfant et l’adulte. Hélas, personne ne vous met en garde contre la crise de la quarantaine. La période entre 45 et 55 ans est un autre moment de transition contrôlé par les hormones. Du jour au lendemain, bam!, elle est là. Il faut que je trouve un nouveau bonheur et un nouvel équilibre. Et je tiens à être curieux. Rester en cuisine pendant encore vingt ans n’est pas une option. Je ne veux pas devenir un vieil homme grisonnant aux fourneaux. Le monde change si rapidement qu’on est vite ‘has been’."

Ne craint-il pas que l’on critique ses nouveaux projets? "Vous savez quel est le problème aujourd’hui? Tout le monde a une opinion sur tout, surtout sur les réseaux sociaux. C’est de la merde. Qu’ils essaient d’ouvrir un restaurant selon les règles avant de critiquer! Cela va les faire taire. Qu’ils essaient pendant un an. S’ils tiennent trois ans, je leur tire mon chapeau. Et s’ils résistent cinq ans, ce sera un vrai miracle. Ce n’est vraiment pas à la portée de tout le monde. Contrairement à la critique, manifestement."

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