Les gagnants de l'entreprise de l'année sont les experts de la croissance
Faut-il revoir entièrement ce qui a été le discours dominant durant plusieurs décennies, à savoir que nos économies développées doivent faire reposer l’essentiel de leur croissance sur le seul secteur tertiaire? Philippe Pire, associé chez Ernst & Young, le pense.
Pour étoffer son discours, il recourt à une image simple qui illustre parfaitement ce qu’il entend : "Une économie de services ne génère pas suffisamment de valeur ajoutée. Une économie, c’est bien plus qu’un boulanger – l’artisan - qui vend son pain au médecin – le fournisseur de services - et en tire des revenus avec lesquels il se fait soigner. Pour prospérer, une économie a besoin de s’ouvrir vers l’extérieur."
"Remettre le cap sur l’industrie, poursuit Philippe Pire, ce n’est pas revenir en arrière: il est illusoire d’imaginer qu’on va relancer les hauts-fourneaux des grands bassins industriels. Mais que l’on y fabrique des aciers spéciaux qui nécessitent un savoir-faire que seuls nos ingénieurs possèdent, ça, c’est l’avenir!" Il n’y a pas que l’industrie lourde, il y a aussi les technologies de pointe dans les domaines de la santé et de l’environnement, de la mobilité et du traitement de l’information.
Les économies qui reposent au moins sur les deux piliers les plus importants, l’industrie (secteur secondaire) et les services (secteur tertiaire), sont celles qui présentent la valeur ajoutée et la croissance la plus forte : "Leur succès repose sur des mix qui sont exportables, et peu ou difficilement copiables", assure Philippe Pire.
"Ces économies innovent sans cesse dans la transformation de produits de base en produits à haute valeur ajoutée. Cela crée de l’emploi, mais plus au même niveau qu’avant. L’ouvrier qualifié a remplacé le manoeuvre, d’où l’importance à accorder à l’enseignement et à la formation. Prenons l’exemple de la biscuiterie. On peut penser que c’est facile à produire où que ce soit dans le monde. Eh bien, non! Le succès de Lotus Bakeries, par exemple, repose sur une tradition et un savoir-faire quasi impossibles à copier."
Qui n’avance pas recule
S’il faut réindustrialiser parce que le secteur secondaire joue un rôle important dans la croissance, on peut se poser la question: la croissance est-elle indispensable? Philippe Pire: "Il faut de la croissance, parce que si vous ne bougez pas pendant que les autres avancent, vous reculez." Que répondre alors à ceux qui considèrent que cette croissance épuise la planète? "Pourquoi faut-il absolument associer croissance et épuisement des ressources? On peut fort bien développer des filières parallèles qui font appel au recyclage ou à des ressources inépuisables comme le soleil, le vent ou les marées.
La Belgique est parfaitement à même de s’y faire une place." Par exemple, dans le domaine du travail de l’acier: "Nous avons la tradition, les écoles, le savoir-faire et les ingénieurs." "Prenons les éoliennes. Qu’est-ce qui est belge dans leur structure ou leur mécanisme? Pas grand-chose. Sommes- nous capables de produire ces structures et ces mécanismes chez nous? Certainement." Prenons une entreprise comme Prayon, qui développe avec Umicore des batteries qui amélioreront les performances des véhicules électriques: "Prayon est une entreprise de pointe qui démontre qu’il y a un avenir dans l’industrie et dans la réindustrialisation", martèle Philippe Pire.
La tour Eiffel
Francis Lambilliotte est Administrateur Délégué du Groupe Hamon, l’Entreprise de l’année 2011. Une entreprise plus que centenaire – elle a participé à la construction de la tour Eiffel, dans une vie antérieure! – industrielle, prospère et familiale aussi, ce qui prouve que l’association de ces éléments fonctionne encore et toujours. Mais plus forcément de la même manière qu’autrefois. Hamon est une entreprise qui fabrique des produits et fournit des techniques pour les tours de refroidissement, les échangeurs de chaleur et les systèmes de dépollution des industries de l’électricité, du pétrole, du gaz, de la métallurgie, du verre et de la chimie.
"Un travail qui s’effectue à 97 % à l’étranger, mais, insiste son administrateur délégué, c’est de l’exportation de savoir-faire, de l’ingénierie, pas de la délocalisation. Hamon est une entreprise belge qui est active dans le monde entier. Notre objectif ? Prendre le meilleur là où il est dans le monde et l’intégrer dans des produits de conception belge." Fabriquer là où cela peut se faire dans les meilleures conditions, en Asie par exemple. Et intégrer cette fabrication dans des ensembles pour lesquels le savoir-faire belge est incopiable, donc incontournable, avec certains composants toujours fabriqués en Europe.
Bassins industriels
"Je vais même plus loin", dit Francis Lambilliotte. "Hamon possède une usine à Valenciennes où nous occupons 200 personnes. On y fabrique des produits qui ne nous coûteraient pas nettement moins cher si nous les produisions au Brésil, où nous avons aussi une usine. Mais ils ne seraient pas de la même qualité. Nous fabriquons à Valenciennes des produits que nous vendons au Brésil. Etonnant, non? C’est la preuve que l’on peut produire en Europe et même que l’on peut réindustrialiser l’Europe, y créer des emplois industriels. Nous avons la tradition, le savoir- faire et la main-d’oeuvre". Il faut créer un mix entre produits/composants made in Europe et produits made in pays émergents.
Peut-on imaginer que renaissent ces grands bassins industriels où travaillent des dizaines de milliers de personnes comme dans la sidérurgie? "Je ne crois pas que ce soit possible ou souhaitable. A une entreprise de 20.000 emplois, je préfère 100 PME de 200 personnes comme notre usine de Valenciennes." Bref, c’est possible. Mais ça ne se fait pas.
"Il y a un problème. L’Allemagne s’est attaquée il y a dix ans déjà à ses problèmes de compétitivité c’est-à-dire: modération salariale, pas d’index automatique, chômage limité…. Nous sommes en retard. Nous devons changer les mentalités, faire comprendre que la société des loisirs est impayable si on n’est pas plus nombreux à travailler et si on ne travaille pas plus et autrement", répond Francis Lambilliotte. Concrètement, il faut limiter dans le temps les allocations de chômage, donner une formation à ceux qui n’en ont pas ou plus, travailler 40 ou 42 h "Ca ne va pas nous tuer. En plus, on gagnera légèrement plus.", rendre le travail plus flexible.
"Nous avons tout pour réussir. La tradition et l’expérience, les ingénieurs et la main-d’oeuvre, la capacité d’innovation, le jugement et les finances. Relançons ce moteur économique puissant qu’est l’industrie. Les services suivront." * Hamon est le lauréat de la 16ème édition de "L’Entreprise de l’Année®" organisée par Ernst & Young, en collaboration avec L’Echo et BNP Paribas Fortis. Avec ce prix, Ernst & Young récompense les entreprises qui affichent une croissance spectaculaire et qui se distinguent en matière de sens de l’innovation, d’ouverture sur le monde, de stratégie et de persévérance.
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