Au Kunstmuseum de Bâle, Paula Rego, peintre des corps
La Portugaise londonienne Paula Rego (1935-2022) reste l'une des peintres majeures de son temps. Le Kunstmuseum de Bâle en révèle toute l'envergure.
Née à Lisbonne, Paula Rego étudia à l'école anglaise de Carcavelos, puis devait entrer à la Chelsea School of Art (Londres), ce que son tuteur légal britannique déconseilla, une étudiante y étant tombée enceinte (l'incident ne fut sans doute pas sans influence sur l'un de ses thèmes futurs: les violences faites aux femmes). Elle fréquenta donc la Slade School of Art, y rencontra son mari, le peintre Victor Willing, puis entama sa carrière avec le London Group, auxquels furent associés des noms majeurs, comme Henry Moore, Frank Auerbach (mort en novembre 2024) ou David Hockney.
Elle mène une double carrière, dans les plus grandes institutions lusitaniennes (Biennale de Saõ Paulo, 1969; rétrospective à la Fondation Gulbenkian, Lisbonne, 1988) et britanniques (National Gallery, 1990, Tate Liverpool, 1997, Tate Britain, 2005), mais aussi espagnoles (musée Reina Sofia, Madrid, 2007). En 2022, la 59e Biennale de Venise l'expose. Elle meurt peu après l'inauguration: le Portugal décrète un deuil national.
Pouvoirs et corps
Paul Rego disait: "Mes thèmes préférés sont les jeux de pouvoir et les hiérarchies." À Bâle, la curatrice, Eva Reifert, a structuré l'exposition en deux volets: d'abord des œuvres incarnant les liens familiaux, les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, la violence étatique, la dictature de Salazar jusqu'à la Révolution des Œillets de 1974. Ensuite, nous découvrons ses héroïnes insolites: femmes et figures de la culture populaire et de la littérature, rétives aux rôles qui leur sont imposés, ou accablées par les défis personnels.
Le premier volet de cette exposition s'ouvre sur une série d'autoportraits, de 1954 à 2017, qui montrent d'emblée quelle dessinatrice exceptionnelle du corps était Paula Rego.
Le premier volet s'ouvre sur une série d'autoportraits, de 1954 à 2017, qui montrent d'emblée quelle dessinatrice exceptionnelle du corps était Paula Rego. Ensuite, dans la salle de la Constellation familiale, "The Dance" (1989) domine: peint alors que son mari Victor Willing mourait de sclérose en plaques, cette maladie qui paralyse et défait le corps, elle y imprime un mouvement nocturne où leur fils, Nick, pose dans le costume de son père.
Contes et esprit
Dans le second volet de l'exposition, la salle des Jeux de rôle déploie la relecture des contes populaires dont la grand-mère de l'artiste imprégna son imaginaire. Paula Rego s'intéresse à la facette sombre des contes de fée (comme dans "la Belle au bois dormant de Perrault", où la reine mère du prince veut dévorer ses petits-enfants). Avec "The Blue Fairy Whispers to Pinocchio" (1995), elle démonte le personnage éthéré de la fée selon Disney, et revient à celle, plus sombre, de l'original du roman de Carlo Collodi en 1883, qui menace Pinocchio: "Les enfants qui n'écoutent pas les conseils de ceux qui en savent plus qu'eux vont toujours vers le malheur."
Ce double parcours se clôt sur une salle intitulée Esprit combatif, avec huit œuvres cardinales. La série "Possession" (2004) compose un récit intime en sept pastels: une femme en robe violette se tourne et se retourne sur un canapé. Ses postures expriment une palette de tensions et de fatigues physiques et psychiques. Elle n'est pas nue, mais ses tourments semblent la dénuder, la démunir. Là encore, la parenté avec Lucian Freud est manifeste: on songe aux nus masculins et féminins du petit-fils de Sigmund ("Naked Girl with Egg" ou "Man Posing"). Lila Nunes, modèle de prédilection de l'artiste, est ici comme son reflet. Le divan sur lequel elle pose était celui du psychanalyste de Rego, qu'elle lui racheta. Le meuble a été reproduit pour l'exposition.
Du tableau final, "Angel" (1998), acquis quelques mois avant sa mort par le Gulbenkian, Paula Rego confiait que c'était celui qu'elle emporterait avec elle lors de son dernier voyage. Sans être un autoportrait, cette figure de femme est emblématique de toute son œuvre: vêtue d'un pourpoint masculin gris acier et d'une jupe féminine soyeuse et mordorée, elle brandit dans sa main droite une épée, serre dans la gauche une éponge. C'est le dernier de sa série de tableaux inspirée par "Le crime du père Amaro", roman de José Maria Eça de Queirós, l'histoire d'un prêtre qui séduit Amelia, la fille de sa logeuse, et fait tout pour conserver sa réputation: Amelia et le bébé en meurent. Dans la version qu'en livre Rego, la femme est une figure de protection et de vengeance, de punition et de pardon, plus archange qu'ange. Dans l'agencement du Kunstmuseum, elle semble être là pour veiller sur la femme vulnérable de la série Possession.
Expo
"Jeux de pouvoir"
de Paula Rego.
Jusqu'au 02.02.2025
Kunstmuseum de Bâle. St. Alban-Graben, 8 4010 Bâle
www.kunstmuseumbasel.ch
Note de L'Echo:
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