L'Hyperloop, un train d'avance
Des capsules supersoniques plutôt que des TGV? Hyperloop, le projet fou d’Elon Musk est sur le point de devenir réalité. Un circuit d’essai sera construit dès 2016 en Californie. Avant de relier les mégapoles chinoises dès 2018, sans émettre de CO2.
Un des problèmes dans la vie d’Elon Musk, patron survolté de Tesla et de la compagnie spatiale SpaceX, c’est le trajet Los Angeles-San Francisco: 551 km d’une autoroute congestionnée qu’il doit affronter plusieurs fois par semaine. Pour gagner du temps, il emprunte la voie aérienne à bord de sa "pocket rocket", son jet privé. Seulement, cette voltige carbonée colle mal avec son credo environnemental. Alors, au creux de l’été 2013, l’inventeur d’origine sud-africaine se met à cogiter. Pour la première fois depuis l’iPod, un objet non identifié par l’homme va sortir du plan de l’écliptique et s’affranchir de l’attraction terrestre. À même le papier: un document de 57 pages, intitulé "Hyperloop Alpha". Une immense fresque en cours de finition. Sur le croquis: un tube basse pression abritant des capsules de transport supersonique. Soit une nacelle de 2 mètres de diamètre, capable de transporter 4 à 6 occupants de San Francisco à Los Angeles en une petite demi-heure ou de relier Pékin à New York en 2 heures. Dans la vie de Musk, le temps comme le détail, c’est de l’argent.
Hyperloop réunit 450 chercheurs, ingénieurs réguliers de Boeing, d’Airbus, du CERN, de Google, de Microsoft et même de la Nasa.
Un jour, l’"Hyperloop", c’est son nom, filera à des milliers de kilomètres par seconde, bravant les lois de la pesanteur, des choses et des gens et avalera les fuseaux horaires comme d’autres brûlent les feux rouges. Un jour, l’Hyperloop sera "un cinquième mode de transport, en plus des bateaux, des avions, des voitures et des trains", écrit Elon Musk.
Plus rapide que le Concorde, plus puissant qu’un canon électromagnétique, plus pneumatique que le Shinkansen, il sera propulsé à plus de 1200 km/h dans un tube sous vide, alimenté par des panneaux solaires. Il s’affranchira des frottements de l’air, il sera intégralement alimenté en énergies renouvelables. Sans émettre le moindre gramme de CO2, ni puiser d’électricité sur le réseau. Tout en étant rentable: "Hyperloop transporterait 7,4 millions de personnes par an dans chaque sens, amortissant un coût de 6 milliards de dollars sur vingt ans. Ce qui donnerait un billet aller à 20 dollars pour la version passager", affirme Musk dans son document.
"Pour la première fois, un moyen de transport va produire de l’énergie, donc des revenus."
Un rêve éveillé? Dès sa présentation en août 2013, le projet a excité tout le monde. Mais le fondateur de Tesla Motors a été clair: faute de temps pour s’en occuper, il livre ses plans "en open source" pour que d’autres s’y attellent. Et invite quiconque le souhaite à "faire avancer le design de l’Hyperloop et passer du concept à la réalité." Concours et financement partiel à l’appui.
Deux ans plus tard, le concept a fait des émules. Dirk Ahlborn, 38 ans, a été le premier à se saisir de l’opportunité. De passage à Lille au Forum mondial pour une économie responsable, cet entrepreneur américain d’origine allemande s’est mis en tête d’évangéliser le monde avec ce nouveau moyen de transport: "Oubliez le rail, c’est une industrie dinosaure, glisse-t-il. Le train du futur ne touchera plus le sol, et rivalisera en vitesse avec l’avion."
Nichée au centre de la Silicon Valley, sa société Hyperloop Transportation Technologies (HTT) pourrait être la première à passer à l’action. En mars, elle a obtenu l’autorisation d’édifier une piste de 8 kilomètres pour l’Hyperloop dans la future smart city de Quay Valley, un projet de ville écologique de 75.000 habitants, sur 3 hectares de prairie, le long de la Highway 5 entre San Francisco et Los Angeles. "La phase de tests va démarrer dès janvier 2016, assure l’entrepreneur. La ville sera le premier point d’une ligne qui reliera à terme Los Angeles et San Francisco, grâce à laquelle nous comptons transporter plus de dix millions de passagers par an. Les travaux seront achevés en 2017, et les premiers trajets s’effectueront en 2018", s’enthousiasme Dirk Ahlborn.
En parallèle, Shervin Pishevar, un investisseur proche d’Elon Musk et actionnaire précoce dans Uber (à hauteur de 8%), décide également de se lancer dans l’aventure. Sa start-up, Hyperloop Technologies (HT), est soutenue par de nombreuses personnalités de la Silicon Valley dont Joe Lonsdale, 33 ans, cofondateur de Palantir, géant de l’analyse de données; Jim Messina, 46 ans, directeur de campagne pour la réélection de Barack Obama en 2012; Brogan BamBrogan, l’un des ingénieurs clés de SpaceX, en charge du design et de la construction du futur Hyperloop. Pour diriger cette "dream team", rien de moins que Rob Lloyd, ancien CEO de Cisco, leader mondial des technologies de l’information. Arrivée sur le marché en 2014, HT a depuis levé 34,5 millions de dollars… et compte boucler un tour de table à 80 millions fin 2015 pour développer sa première piste d’essai. Fort d’une cinquantaine d’ingénieurs, cette entreprise espère tester son produit en juin 2016 à Hawthorne. Lieu qu’a choisi SpaceX pour construire un premier tronçon d’1,2 kilomètre. La course vers le train du futur est lancée. À pleine vitesse. Mais Elon Musk se garde bien de prendre parti entre les deux sociétés, aux approches très différentes.
Des airs de Fablab virtuel
Par contraste, Hyperloop Transportation Technologies, qui s’appuie sur des collaborations volontaires, est une initiative entièrement "crowdsourcée". "Au moment où Elon Musk publiait ce document, confie Ahlborn, je venais de lancer JumpStartFund, une plate-forme participative d’aide à la création d’entreprise. Nous y avons placé le projet d’Hyperloop et la réponse a été instantanée." L’engouement a été tel qu’en quelques heures, Hyperloop Transportation Technologies avait reçu 200 candidatures de chercheurs, d’experts et d’ingénieurs qui souhaitaient s’investir dans le projet. Aujourd’hui, l’entreprise affirme réunir 450 collaborateurs. Un aréopage de brillants cerveaux – chercheurs, profs d’université ou ingénieurs réguliers de Boeing, d’Airbus, du CERN, de Google, de Microsoft et même de la Nasa – travaillant à titre privé sur le projet. "Un projet aussi ambitieux attire automatiquement les meilleurs profils, des personnes passionnées et volontaires. Chaque personne qui s’engage, par contrat, à travailler plus de 10 heures par semaine est rémunérée en stock-option. Leurs employeurs sont tous au courant et certains nouent des partenariats avec nous." Mais dans ses bureaux, HTT ne compte que 20 personnes à temps plein, dont 4, seulement, sont rémunérés.
Quand on lui fait remarquer que HTT ressemble plus à un labo de recherche communautaire qu’à une société commerciale, l’homme rétorque: "450 contributeurs occasionnels, répartis sur la planète entière, constituent une ressource créative plus puissante qu’une trentaine de salariés à plein-temps!"
L’entreprise a recruté dans le monde entier, de la Chine à la France, en passant par les États-Unis où l’on retrouve la majeure partie des équipes. "Le plus gros défi consiste à organiser tout ça, car c’est une manière de travailler inédite. Nous sommes structurés en 43 groupes de travail qui couvrent tous les aspects du projet: de l’ingénierie aux ressources humaines, en passant par la finance ou la communication sur les réseaux sociaux, détaille Dirk Ahlborn. Nous créons notre propre process de management, très inspiré par la méthode Scrum des développeurs informatiques. Chaque équipe est assignée par la hiérarchie à une problématique qu’elle doit résoudre dans un délai très court de deux semaines. Certains membres de la communauté travaillent seuls. La hiérarchie est là pour départager deux équipes qu’elle aura volontairement fait travailler sur le même problème."
Aux premiers partenaires se sont ajoutés des soutiens de poids. Oerlikon, grand spécialiste allemand des technologies de vide industriel, a mis une demi-douzaine de personnes sur le projet. "L’énergie nécessaire à établir un vide poussé dans le tube pourrait largement être apportée par des panneaux solaires recouvrant les tubes et des éoliennes fixées sur les pylônes", estime l’entreprise.
Aecom, la plus grande entreprise d’ingénierie au monde, s’est associée au projet et se dit prête à aider à la construction de la première ligne commerciale. Elon Musk, quant à lui, reste aux abonnés absents. Pas de quoi inquiéter Dirk Ahlborn, cependant. "L’idée et les technologies ne viennent pas d’Elon Musk. Dans les années 1870, il y avait des plans de métro pneumatique; en 1904, George Atwood déposait un brevet pour un tube pneumatique." Et des projets comme l’ET3 ou le MetroSwiss ont été imaginés bien avant les capsules d’Elon Musk.
Recyclage énergétique
Quay Valley sera le premier point d’une ligne qui reliera à terme Los Angeles et San Francisco.
Le document publié en 2013 ne sert d’ailleurs que de point de départ. Hyperloop Transportation Technologies aurait déjà pris quelques libertés. "L’Hyperloop de Musk était trop étroit. Le nôtre sera constitué de capsules dans lesquelles 28 à 45 passagers pourront entrer toutes les 30 secondes. Par conséquent, le trafic sera optimisé pour un maximum de fluidité, explique Ahlborn. L’accélération sera progressive. Un peu comme dans un avion, qui vole à une vitesse de 900 km/h, sans rendre malades ses passagers pour autant." À terme, il y aura deux versions: l’une dédiée aux transports de longue distance, l’autre pour les transports urbains. Le tube sera recouvert de panneaux solaires et soutenu par des pylônes, tandis que les capsules seront propulsées par un champ magnétique généré par des électroaimants. Le tout en silence et en quasi-autonomie énergétique. "Tout le système est pensé pour produire plus d’énergie qu’il n’en consommera, assure l’entrepreneur. Grâce aux panneaux solaires et à la récupération de l’énergie cinétique lors du freinage, l’énergie pour mouvoir les capsules sera entièrement récupérée. Nous prévoyons également d’installer des pylônes capables de générer de l’électricité comme des éoliennes et de diffuser de la chaleur à l’instar des systèmes de géothermie."
L’entrepreneur se montre tout aussi confiant sur sa sécurité. "Hyperloop est plus sûr que les systèmes existants. La plupart des accidents de train sont dus à des erreurs humaines. Or le nôtre est automatique et piloté entièrement par des ordinateurs. De plus, grâce aux tubes, rien ne peut venir encombrer la voie, ni animal, ni voiture, ni rocher. Et les pylônes sont conçus pour résister aux tremblements de terre", énumère Dirk Ahlborn.
Néanmoins, comme toute technologie de rupture, la sustentation magnétique a ses inconvénients. Le principal est son prix élevé. Dans le cas du Maglev – le système de train à lévitation magnétique, comme le Shinkansen japonais – les aimants supraconducteurs sont constitués de métaux rares (niobium et titane), et les bobines sont refroidies à environ -269ºC par de l’hélium liquide, un gaz de plus en plus rare et donc de plus en plus cher, pour pouvoir conserver leur supraconductivité (résistance quasi nulle au passage du courant). Mais c’est avant tout l’incompatibilité avec le réseau ferré qui fait exploser les coûts, puisqu’il faut construire de toutes pièces le nouveau tracé.
Un tube planétaire
L’obsession de Dirk Ahlborn est ailleurs: concevoir un service rentable. "Le principal problème n’est pas technologique, il est économique, assure l’Américain. Tout le monde s’excite sur la vitesse, mais pour moi, ce qui est excitant, c’est d’en faire un business rentable. Dans les transports publics, il n’existe aucun train, aucun métro dans le monde qui génère des revenus. Pourquoi avons-nous des transports publics qui fonctionnent bien? Parce qu’une fois les infrastructures en place, on continue de les payer."
L’homme, qui dit discuter avec beaucoup de grandes métropoles sur la planète, assure avoir un produit commercial viable d’ici à une décennie. "Des investisseurs nous suivent déjà, nous ne ferons pas de roadshow. Ils ne doutent pas que les retours soient rapides. Car pour la première fois, un moyen de transport va produire de l’énergie, donc des revenus." L’entrepreneur assure qu’une ligne entre San Francisco et Los Angeles serait remboursée en huit ans avec un ticket à 30 dollars et une fréquence de 3 000 passagers par heure aux heures de pointe (soit une capsule toutes les trente secondes). À Quay Valley, le coût est évalué à 150 millions de dollars, soit 20 millions de dollars du kilomètre, approximativement, comparable à celui du TGV. "Nous le faisons aux États-Unis car nous avons accès au terrain. Mais, à terme, la première ligne Hyperloop pourrait naître partout dans le monde. Nos marchés cibles sont la Chine, l’Inde, l’Indonésie, Singapour, le Moyen-Orient et l’Afrique." Et l’Europe? "Nous négocions avec plusieurs partenaires, notamment en Italie. Mais administrativement, l’Europe, c’est compliqué!"
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