Amandine Beyer (violoniste): "Je fais de la télépathie avec Vivaldi"
Marraine de FestiVita!, festival bruxellois de musique ancienne qui se déroule au Cercle royal gaulois, du 19 au 23 février, la violoniste française y partagera son enthousiasme solaire pour Vivaldi.
Provençale de naissance, Belge de cœur – «ma deuxième patrie» – , Amandine Beyer est l’une des plus passionnantes violonistes baroques de sa génération. Fondatrice de l’ensemble Gli Incogniti, elle a signé une impressionnante discographie et plus d’un projet audacieux – on n’a pas oublié sa «Partita 2» de Bach avec Anne Teresa De Keersmaeker. Mais celui qu’elle vient célébrer à FestiVita!, c’est l’homme de sa vie, un certain Vivaldi. «Un chouette ami que je suis ravie d’avoir comme compagnon de route», lance-t-elle d’emblée, toute pétillante. Alors, face à une telle déclaration, on la taquine un peu…
Il y a longtemps que vous fréquentez Vivaldi. Vous ne partagez sans doute pas l’avis de Stravinski prétendant qu’il avait composé 500 fois le même concerto…
Je pense souvent à cette citation. Elle est vraiment méchante. Je crois surtout que c’était de la jalousie de Stravinski. Bon, je me dis parfois que je dois être aveuglée par mon amour pour Vivaldi. N’empêche que j’ai joué une quarantaine de ses concertos, et il n’y en a pas un qui commence comme un autre, pas un mouvement qui se ressemble. Il fait preuve d’une formidable créativité dans les tutti et les solos, dans la manière de les amener…
La preuve par son «Il mondo al rovescio», ce «monde à l’envers» que vous présentez en ouverture du festival?
C’est une œuvre incroyable en effet. Au départ, il s’agissait d’un duo pour violon et violoncelle dont on pouvait intervertir les parties, ce qui était très drôle. Et puis, il en a fait une pièce beaucoup plus dense, de 25 musiciens, avec beaucoup de solistes et des alliances de timbres incroyables, des cordes, des flûtes, des hautbois, des cors… Une formidable explosion de couleurs. Un sacré boucan ! (Elle rit).
Il existe aussi une version réduite tout aussi passionnante, et c’est elle que nous allons jouer. Nous serons sept solistes, avec notamment des solos en octave parallèles. La folie! Sur ce coup-là, Stravinsky aurait vraiment fait une crise cardiaque!
"Il ne faut pas trafiquer la musique de Vivaldi pour plaire au public, mais en jouir comme d’un bain de jouvence."
Nous allons jouer sur l’idée du miroir et des faux semblants avec des reflets entre les instruments. L’un de mes concertos préférés du programme fait jouer à l’unisson un violon et un hautbois qui jouent la même partie, mais pianissimo, pour que leurs sons se mélangent joliment. C’est extraordinaire. Vivaldi a inventé le synthé! Et on terminera avec le triple concerto pour orgue violon et hautbois, un vrai feu d’artifice!
La mode actuelle est d’interpréter la musique ancienne d’une manière historiquement informée. Mais les oreilles du XXIe siècle ne sont plus celles du XVIIe. On en fait trop?
Vous avez raison. C’est pourquoi je parle toujours d’interprétation «plus ou moins» historiquement informée! De toute façon, j’ai une mauvaise mémoire. Dès que j’ai lu un traité, je l’oublie. Alors, je me fais conseiller par de bons musicologues, je joue avec d’excellents musiciens et je fais de la télépathie avec Vivaldi! Je n’ai pas perdu ma foi en sa jeunesse, même s’il est mort il y a presque trois siècles. Il ne faut pas trafiquer sa musique pour plaire au public, mais en jouir comme d’un bain de jouvence.
"La musique baroque a l’avenir devant elle, car elle s’intéresse à la vie, à l’humain. C’est ce qui la rend si fascinante, entre douceur et flamboiement."
La musique baroque, dont les partitions n’étaient pas notées en détail, ne vous laisse-t-elle pas davantage de liberté à l’interprète?
Tout n’était pas écrit parce que les musiciens savaient ce qu’ils devaient faire, notamment avec la basse chiffrée (des chiffres remplacent les notes, indiquant les accords à jouer, NDLR). À ce propos, j’ai une anecdote. Un jour, Vivaldi a envoyé quelques pièces pour un orchestre à Dresde, lequel lui a renvoyé une partition, car il n’avait pas chiffré la marche harmonique, une marche en septième. Il a renvoyé la partition avec des gros «7» partout, en ajoutant dans la marge: «Pour les couillons»! Cela dit, reste la question très actuelle de savoir ce qui est de bon ou de mauvais goût par rapport à notre goût actuel. C’est là que se situe notre liberté d’interprète.
Limites que repousse de plus en plus la jeune génération baroque…
Moi, je suis une enfant des Kuijken, Brüggen, Leonhardt… C’est grâce à cette génération de pionniers que je suis là. Les jeunes d’aujourd’hui vont encore plus loin, avec leur énergie. Il faut préserver cette flamme et en profiter. La redécouverte de la musique baroque ne date que d’un demi-siècle. Elle a l’avenir devant elle, car elle s’intéresse à la vie, à l’humain. C’est ce qui la rend si fascinante, entre douceur et flamboiement.
Musique ancienne
"FestiVita!"
Rue de la Loi 5, 1000 Bruxelles
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