Némo Camus (artiste): “On a tendance à romantiser le métissage”
À l’Atelier 210, Némo Camus et Robson Ledesma interrogent l'ancienne danseuse Lourdès de Oliveira et font le procès du métissage forcé de la population brésilienne.
Némo Camus est né en 1994 à Paris. Depuis ses études de sociologie et de réalisation radio, il travaille les articulations entre récits intimes et Histoire avec un grand «h»: «Je l’ai fait jusqu’à présent des projets sonores. Là, c’est la première fois que je passe par un autre médium. Mais la démarche est la même», nous explique-t-il. «Je pars d’un terrain de base très localisé: les entretiens menés avec ma grand-mère Lourdès de Oliveira que j’interroge sur son passé. Et à partir de ce squelette dramaturgique, j’élargis à la politique, l’approche sociologique et ce qui façonne nos identités.»
Le squelette, ce sont donc les mots de Dona Lourdès. Dona signifie «Madame» en portugais. «Robson Ledesma [danseur et performer qui co-signe le spectacle, NDLR] et moi sommes amis de longue date. Au tout début du projet, je lui ai demandé de traduire en portugais les questions que j’avais préparées pour ma grand-mère. Je voulais les lui poser dans sa langue à elle. Dès le début, Robson a joué le rôle de passeur. "Para Dona Lourdès" était le titre du document qu’il m’a envoyé.»
"Marcel Camus, mon grand-père"
L’idée de la danse viendra ensuite: «Parce que le corps est très important dans l’histoire de ma grand-mère. Elle rêvait de devenir danseuse et jouera dans ‘Orfeu Negro’. C’est un film de 1959 réalisé par Marcel Camus, mon grand-père, qui deviendra son mari. Elle me raconte qu’elle a décroché le rôle grâce à son bagage en danse classique. Nous avons donc travaillé la question du regard d’un réalisateur blanc qui a valorisé et rendu lisible une forme d’expression de la samba qui était déjà blanchie, affectée par l’histoire de la danse classique et sa discipline du corps.»
Métissage forcé
Via ses recherches et un voyage à la rencontre de son «étrangeté» vis-à-vis du Brésil, arrive pour Némo Camus la découverte de la problématique raciale: «Lourdès est une femme métisse née d’une mère noire d’origine modeste et d’un père blanc qui ne l’a jamais reconnue. Ensuite, le blanchiment s’est prolongé avec Marcel Camus. Moi, aujourd'hui, je suis blanc. Mais ce n’est pas qu’une question d’individus. C’est aussi le nom d’une politique mise en place au Brésil après l’abolition de l’esclavage lorsque l’élite blanche favorise l’immigration européenne, d’une part, parce qu’elle a besoin de main-d’œuvre et, d’autre part, pour métisser, blanchiser la population.»
"Au Brésil, l’élite blanche a favorisé l’immigration européenne, d’une part, parce qu’elle avait besoin de main-d’œuvre et, d’autre part, pour métisser, blanchiser la population."
Il poursuit: «Cet agenda démographique ignoble prévoyait d’arriver à un taux de 4% de noirs et de métisses dans les années 2000. C’était délirant et raciste. On a tendance à promouvoir le métissage de façon romantisée, mais ici les fins étaient ‘génocidaires’.»
Lourdès de Oliveira n'est pas d'accord avec toutes les analyses de son petit-fils: «Sa collaboration s'est limitée aux entretiens, ce n’est pas dévotionnel. On a des points de vue différents sur ces questions raciales. On ne se situe pas du tout aux mêmes endroits. Robson et moi avons travaillé avec l’impossibilité de raconter sa vie, car ça ne pouvait être que faux et avec l’impossibilité de l’avoir sur scène. Pour moi, ces fragments sont le point de départ de tout un système rhizomatique.»
Théâtre
"Dona Lourdès"
De et par Némo Camus et Robson Ledesma
Du 16 au 24 janvier 2024
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