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Les chantiers interminables | Mons, gare cathédrale, squelette de métal

©Valentin Bianchi / Hans Lucas

Tel était le plan: que la nouvelle passerelle surplombant la gare enchante Mons, bombardée, en 2015, "capitale européenne de la culture". Sauf que rien ne s'est passé comme prévu, entre un projet qui évolue et enfle, tout comme son budget, des contrats rompus et des faillites. À présent, on croise les doigts pour 2023.

Au risque de friser le cliché, voilà ce qui s'apparente typiquement à une histoire belge. Et restera dans les annales des chantiers maudits, à la gestion, disons, perfectible.

À la base, il y a une gare. Celle de Mons, sortie de l'inspiration moderniste de l'architecte montois René Panis, inaugurée en 1952 et remplaçant l'ancien bâtiment, de style néo-roman, par trop abîmé par les bombardements américains de 1944. Une gare qui, au tournant des années 2000, aurait besoin d'un petit coup de frais. En 2004, la SNCB confie la mission à sa filiale Euro Liège TGV, rebaptisée Eurogare par la suite, pour finir absorbée, il y a peu, par sa maison mère.

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Clef de répartition

C'est là qu'intervient la magie du fédéralisme belge. Ainsi vont les investissements dans les chemins de fer: pour six euros dépensés en Flandre, quatre doivent l'être en Wallonie, et vice-versa. Quid de Bruxelles, direz-vous? La capitale, tout comme les projets d'intérêt national, sortent de cette clef de répartition, pour le meilleur comme pour le pire.

23.508
Voyageurs montés en gare
En 2019, la gare d'Ottignies voit, quotidiennement, 23.508 passagers grimper dans les trains – une moyenne calculée les jours de semaine. En Wallonie, seule Liège-Guillemins fait mieux. Avec 9.820 montées en gare, Mons se situe en cinquième position, derrière encore Namur et Charleroi-Sud.

Au tour de Mons de connaître les joies de la rénovation. Cinquième gare de Wallonie, en matière de fréquentation, elle grille ainsi la politesse à Ottignies, qui voit pourtant passer, quotidiennement, plus du double de voyageurs. Mons, donc.

Une passerelle, pas une gare

En 2006, un jury est constitué, sous la présidence du grand patron wallon, par ailleurs bourgmestre de la cité du Doudou: Elio Di Rupo (PS). Le cahier des charges est, dans les grandes lignes, le suivant: rallongement et couverture des quais, aménagement d'un parking et, surtout, création d'une passerelle devant relier le cœur historique de Mons au quartier en développement des Grands Prés, séparés par l'entrelacs des rails.

37
Millions d'euros
Le budget initial prévu pour la construction de la passerelle et l'aménagement des quais à la sauce Calatrava était 37 millions d'euros. Sauf que le projet évolue, passant d'une passerelle à une gare-passerelle. Gonflement des coûts à la clef: 150 millions, puis 263 millions. On parle à présent de 324 millions.

Au départ donc, il ne s'agit nullement de construire une gare. D'ailleurs, l'esquisse lauréate, signée par l'architecte star Santiago Calatrava, déjà à la planche à dessin pour Liège Guillemins, laisse initialement intact le bâtiment de René Panis. Budget prévu: 37 millions d'euros. Atterrissage prévu: 2015, grand cru de célébration pour Mons, bombardée "capitale européenne de la culture".

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©Valentin Bianchi / Hans Lucas

Finalement, une gare-passerelle

Sauf que le projet va "mûrir" et "évoluer". "Comme dans tout projet d’aménagement d'un site de gare, le concept de base a été peaufiné pendant la phase d'étude, explique la porte-parole de la SNCB, Élisa Roux. Ainsi, après discussion entre toutes les parties prenantes, il est apparu que l'option initiale d'une passerelle implantée à droite du bâtiment de gare présentait des difficultés d'intégration urbanistique et de fonctionnalités." De quoi revoir l'implantation de ladite passerelle.

"Ces adaptations ont logiquement soulevé la question de l'utilité de conserver le bâtiment, décentré par rapport au nœud intermodal et à la passerelle, ou, au lieu de cela, d'intégrer les services en gare dans la passerelle."

Élisa Roux
Porte-parole de la SNCB

Des considérations liées à la mobilité viennent s'en mêler. "Une réflexion a été menée sur l'implantation de la nouvelle gare autobus, qui a abouti à la conclusion qu'intégrer les différents modes de transport répondrait au mieux à l'objectif d'intermodalité et permettrait de faire bénéficier l'ensemble des voyageurs des infrastructures communes de la gare."

L'un dans l'autre, "ces adaptations ont logiquement soulevé la question de l'utilité de conserver le bâtiment, décentré par rapport au nœud intermodal et à la passerelle, ou, au lieu de cela, d'intégrer les services en gare dans la passerelle." Nous y sommes. La future passerelle a fini par se muer en gare, une gare-passerelle donc, signant par là l'arrêt de mort du bâtiment existant.

©Valentin Bianchi / Hans Lucas

Pas de nouveau concours?

Reste cette interrogation. L'issue de la réflexion paraissant relativement éloignée de la portée et de l'objet du concours de 2006, n'aurait-il pas fallu relancer la procédure, en actualisant le cahier des charges? "L'objet du concours avait été conçu d'emblée très largement pour couvrir de multiples aspects de l'aménagement du site de la gare, argumente Élisa Roux. L'évolution entre la désignation du lauréat et la fin de l'étude a été considérée comme l'aboutissement de la réflexion sur le site de la gare, dans le respect des objectifs imposés par le règlement. Et ne nécessitant, par conséquent, pas l'organisation d'un nouveau concours."

290
Millions d'euros
Afin de neutraliser les effets de l'inflation, la SNCB a ramené tous les montants en euros de 2010. D'un budget initial tournant autour des 60 millions, le projet a chatouillé le seuil des 200 millions à la fin de la phase d'étude et de conception, pour se fixer à 290 millions actuellement. Autrement dit, il n'est pas loin d'avoir gonflé d'un facteur cinq.

Dans le même temps, le budget mûrit lui aussi, grimpant à 150 millions, puis 263 millions, pour atteindre actuellement les 324 millions. Dont il convient de retirer les effets de l'inflation, tempère-t-on à la SNCB. Où l'on a ramené toutes les sommes impliquées en euros datés de 2010, afin de comparer ce qui est comparable. Cela donne quoi? En euros 2010, le budget initial pèse quelque 60 millions d'euros, chiffre Élisa Roux. En 2011, à la fin de la phase d'étude et de conception, il dépasse le seuil des 200 millions, pour se fixer, à l'heure actuelle, à 290 millions.

En attendant, les procédures suivent leurs cours. 2012, permis délivré et 2013, début du chantier et démolition de la gare existante. Sauf qu'en 2015, il n'est pas question d'inauguration, loin de là. À vrai dire, sur le terrain, les avancées ne sont pas fulgurantes.

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2015, début des ennuis

Fin 2015, première grosse tuile. L'entreprise italienne Cordioli, en charge de la charpente, gigantesque squelette de métal, tombe en faillite. La réaction de la SNCB ne tarde guère: le contrat est rompu. Enfin, en faillite, pas vraiment. L'entreprise passe par un sérieux trou d'air mais, comme le démontre une enquête de la RTBF, la faillite ne sera jamais prononcée. Après avoir été placée sous tutelle des autorités, Cordioli est rachetée par une autre entreprise italienne, sans avoir cessé ses activités. Ce pépin aurait-il pu être évité? Peut-être, puisque les comptes de la société italienne annonçaient ces difficultés financières.

©Kristof Vadino

Quoi qu'il en soit, le contrat est rompu. Et il faut bien trouver quelqu'un pour reprendre cet incroyable puzzle d'acier. Dans un premier temps, c'est un trio belge qui s'y colle, constitué de CIT Blaton, CFE et BPC Hainaut. Sauf que la reprise est houleuse, générant des retards sur le terrain. Et qui dit retards, dit indemnités à payer, à la source d'un conflit opposant l'association et le maître d'ouvrage, Eurogare. Les relations se détériorent au point que ce contrat finit, lui aussi, par être déchiré. Le conflit juridique, lui, n'est pas terminé et fait peser une certaine incertitude sur l'addition finale. "Nous ne souhaitons pas commenter les affaires en cours", fait valoir la SNCB.

À la suite des entreprises belges, c'est l'espagnole Emesa qui prend le relais, pour tomber en faillite peu après. Caramba, encore raté! Le groupe portugais Martifer vient finalement à la rescousse.

Dans le viseur, 2023

Résultat des courses, le chantier s'enlise, enfilant reports sur retards. Pour l'heure, il est question de terminer le tout pour juin 2023. "Les travaux avancent bien, détaille le maître d'ouvrage. La construction métallique en tant que telle est terminée. Les travaux de peinture de la structure sont en cours et doivent s'achever pour la fin août."

©Valentin Bianchi / Hans Lucas

2023, l'échéance revêt une importance plus que symbolique pour la Ville de Mons. Qui, si elle n'est pas en charge de la maîtrise d'ouvrage de la gare, est aux manettes pour l'aménagement des alentours. Et, plus particulièrement, des places des Congrès et Léopold, où il est question d'une rénovation en profondeur, impliquant l'égouttage, l'éclairage et la pose d'un nouveau revêtement. Et pour laquelle une aide européenne a été décrochée, via les fonds Feder. Avec cette condition: que le budget ait été consommé avant la fin du cru 2023, sous peine d'être perdu. Pour ce faire, il faut que le chantier de la gare ait libéré à temps les places en question.

"Aujourd'hui, la SNCB se concentre sur la conception et l'aménagement de gares standards et fonctionnelles, à taille humaine, avec un accent mis, en priorité, sur l'accessibilité, la durabilité et le confort."

Élisa Roux
Porte-parole de la SNCB

Du côté de la SNCB, on se veut rassurant. "Conformément au planning actuel, l'obtention des fonds pour le financement de l'aménagement des deux places n'est pas menacée." La mise en service de la gare est programmée pour l'été prochain. Et le chantier dans son ensemble devrait être bouclé avant la fin de l'année 2023. À moins qu'une nouvelle tuile ne se décide à tomber du ciel.

Seule certitude: le temps des gares dignes de cathédrales est révolu. "Aujourd’hui, la SNCB se concentre sur la conception et l’aménagement de gares standards et fonctionnelles, à taille humaine, avec un accent mis, en priorité, sur l’accessibilité, la durabilité et le confort", déclare Élisa Roux. Adieu, chantiers pharaoniques.

©Santiago Calatrava
Série d'été - Les chantiers interminables

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©L'Echo
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