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interview

Eric Domb: "On n'ose pas rêver que des Wallons puissent développer de grandes entreprises"

©Debby Termonia

Pendant six semaines, L’Echo part à la rencontre des entrepreneurs "stars" de la Wallonie. Qu’est-ce qui les motive? Quels sont les atouts des Wallons pour exister sur la carte mondiale de l’innovation? Et s’ils avaient un seul rêve pour la Région? Aujourd’hui Eric Domb (Pairi Daiza).

Au four et au moulin, tout le temps. Eric Domb, le fondateur du parc Pairi Daiza, est un homme pressé. Toujours. Et qui, dans l’absolu, se passerait volontiers du volet "gestion" de son parc afin de consacrer tout son temps à la création des différents mondes qui, in fine, composeront le parc tel qu’il l’a rêvé.

Les phrases clés

"J’y suis arrivé parce que j’ai pris tous les risques."

"Je n’ai pas peur de mourir, pas du tout, mais j’ai peur que le résultat de tous mes efforts se disperse."

"Je pense que vous ne pouvez pas être entrepreneur et faire de la politique."

"Si vous n’avez pas de vision, vous n’irez pas loin."

Voilà pourquoi il a récemment débauché son ami Jean-Jacques Cloquet, le déviant du tarmac de Charleroi vers le parc de Brugelette. Les deux hommes se connaissaient depuis des années, s’appréciaient et se fréquentaient de loin en loin. L’histoire de ce recrutement démarre au cœur de l’été et trouve ses racines dans une interview de Jean-Jacques Cloquet effectuée par nos confrères du "Soir". Après l’avoir lue, Eric Domb envoie un SMS à son ami. "Tu es super Jean-Jacques, tu nous rends fiers d’être wallons. Bises. Eric".

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"Franchement, j’avais trouvé cette interview tellement géniale que je lui avais envoyé ce message", nous explique Eric Domb. Continuant sur leur lancée, les deux hommes se sont encore envoyé quelques SMS, devisant sur de récents décrets et sur l’état général de la Wallonie. Cette première discussion se clôturera sur un dernier échange, en forme de boutade. "Eh oui, mon ami, j’ai envoyé mon CV pour m’occuper des pandas. Bon voyage en Asie", dit alors Cloquet à Domb qui est à la veille d’un de ses nombreux voyages. "Tu ferais le meilleur des CEO, meilleur que moi, mais je n’ai pas encore envie de partir", lui renvoie alors le patron de Pairi Daiza. Cloquet conclut la discussion virtuelle en envoyant ceci: "A tes côtés, oui, mais pas pour te remplacer. Je t’embrasse". Nous étions alors le 14 juillet.

La discussion reprendra le mardi 4 septembre. Eric Domb envoie un SMS à Jean-Jacques Cloquet. Il est 20h47. "Cher ami, j’ai à te parler. Important. Nous concerne tous les deux. On peut dîner demain soir. En tout cas vite. Amitiés. Eric". Jean-Jacques Cloquet est un lève-tôt et le dîner sera en réalité un petit-déjeuner, à l’aéroport de Charleroi, le lendemain matin. Et l’affaire est pliée. Comme les maquignons se tapent dans la main pour s’échanger des bêtes, les deux hommes scellent leurs destins d’une poignée de main. Sans contrat. À la parole donnée. Deux jours plus tard, Eric Domb est pris d’un doute. Et si Jean-Jacques Cloquet ne venait pas le rejoindre à Pairi Daiza? Il lui renvoie alors un SMS. "Alors, Jean-Jacques, toujours d’accord d’affronter PDZ et son train d’enfer?". La réponse ne tardera pas. "Plus que jamais."

"J’y suis arrivé parce que j’ai pris tous les risques et je trouve cela tout à fait logique."

Eric Domb
Fondateur de Pairi Daiza


©Debby Termonia

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IPO aux Brasseries Georges

Eric Domb a accepté de nous ouvrir les portes de sa cabane perchée dans les arbres, sorte de refuge intime offrant une vue imprenable sur Pairi Daiza, ce parc ouvert en 1994 et toujours en développement. Un endroit particulièrement propice aux confidences. Dont celle-ci. En 1999, l’homme ne pensait pas nécessairement introduire le Parc Paradisio en Bourse.

L’affaire s’est faite un soir de fête, aux Brasseries Georges, en compagnie de Pierre Rion et Pierre De Muelenaere, les deux fondateurs d’Iris. "Nous étions aux Brasseries Georges pour célébrer un road show d’Iris. Un des deux Pierre, je ne sais plus lequel, me demande alors ce que j’attends pour mettre mes oiseaux en Bourse. Je me dis, c’est quoi ce truc? Bon, nous étions un peu éméchés. Pierre Rion me dit alors que je n’aurai plus le temps, je lui dis chiche et cela s’est fait comme ça, sur un coin de table, aux Brasseries Georges", s’amuse Eric Domb.

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Sur le papier, le pari d’Eric Domb de créer un parc sur un site quasiment vierge situé dans une zone guère touristique était loin d’être gagné. "En réalité, cela n’aurait jamais dû réussir. Nous ne sommes pas un endroit touristique, nous ne sommes pas bien localisés, nous sommes loin de la mer et de la montagne, nous avons la météo que nous connaissons et nous ne sommes pas au cœur ou en périphérie d’une grande ville", assure-t-il.

Et quand on cherche à connaître la recette de sa réussite, la réponse fuse. "J’y suis arrivé parce que j’ai pris tous les risques et je trouve cela tout à fait logique. À partir du moment où je voulais réaliser un rêve dans lequel peu de gens croyaient, il était assez logique que je sois le premier à payer les conséquences. Ce n’est pas de l’héroïsme, cela me semble même être une condition élémentaire. Si vous n’avez pas assez de sous pour réaliser un projet et que vous demandez de l’argent à gauche et à droite, si ça ne passe pas, vous devez être le premier à tomber", explique-t-il. Au début, tout ce qu’Eric Domb gagnait était remis sur la table. "J’avais emprunté de l’argent à mon père et à mes deux frères, j’étais bourré de dettes", explique encore notre interlocuteur, qui insiste et refile au passage une de ses recettes de l’entrepreneuriat. "Quand on entreprend un projet, il faut être prêt à perdre. Il ne faut pas essayer, envers et contre tout, d’en faire supporter les risques aux autres, je trouve que cela n’est pas correct."

"Je n’ai pas peur de mourir"

En cours de route, on revient sur l’engagement de Jean-Jacques Cloquet, le directeur de l’aéroport de Charleroi appelé à la barre opérationnelle du parc. Ce qui fait vibrer Eric Domb, c’est la création, la mise en place des différents mondes appelés à composer le jardin parfait, l’éden rêvé. "Cela faisait des années que j’attendais le messie, quelqu’un qui pourrait me décharger de quelque chose, sachant que même si on fait bien les choses, l’élastique est à deux doigts de la rupture, on voit déjà des petites fissures apparaître", explique celui qui assure être miné par la gestion. "C’est un truc qui m’a toujours déplu, je n’ai aucun plaisir à gérer mon entreprise. J’aurais adoré vivre au XVIIe siècle, ou même plus tôt, avec un mécène, quelqu’un qui aurait été propriétaire de ce site et qui m’aurait dit, voilà, Eric, fais-moi le plus beau jardin du monde. J’aurais adoré faire cela", glisse-t-il, avant de nous faire une nouvelle révélation.

©Debby Termonia

Par le passé, il a songé à céder la propriété de son parc à la Région wallonne, avec l’idée qu’il puisse continuer à le développer comme il l’entendait. "Je suis allé voir Guy Spitaels pour cela, mais il m’a fait clairement comprendre que la Région wallonne n’avait pas vocation à reprendre une initiative privée."

En parlant de politique, Eric Domb pourrait-il céder à l’un ou l’autre appel du pied de l’un ou l’autre parti et se lancer en politique? Il n’hésite pas une seconde. "Je n’en ferai jamais." On le regarde en souriant. Jamais? Vous êtes certain? On en reparle dans dix ans? L’impulsif Eric se met alors à réfléchir. "Attendez, attendez…" Puis se fait sa religion. "On me l’a déjà proposé, j’ai dit non. Peut-être le jour où je ne serai plus opérationnel au parc, mais ce jour-là, je serai gâteux. Je pense que vous ne pouvez pas être entrepreneur et faire de la politique. Je crois que les entrepreneurs qui se sont lancés là-dedans se sont cassé la gueule parce qu’ils ne font pas partie du sérail."

Eric Domb le reconnaît lui-même, quand il est question du développement de son parc, il est un éternel insatisfait. "Je pense que mes enfants sont conscients que j’ai donné toute ma vie à ce parc, que cela a engendré pas mal de sacrifices personnels. J’ai souvent été malheureux ici, c’est difficile de créer un jardin, le processus de construction est vraiment pénible", explique-t-il, quand on lui demande ce qu’il adviendra de son parc quand il ne sera plus là. "Le scénario idéal, et j’espère qu’il va se réaliser, c’est de choisir la meilleure équipe pour finir le travail", assure-t-il, avant de s’épancher un peu plus. "Je n’ai pas peur de mourir, pas du tout, mais j’ai peur que le résultat de tous mes efforts se disperse et que cela devienne n’importe quoi." Le rêve d’Eric Domb serait que son parc lui survive, qu’il soit protégé ou classé d’une manière ou d’une autre. C’est en cela que l’arrivée de Jean-Jacques Cloquet lui fera du bien, lui permettra de se dégager de la gestion au jour le jour afin de se consacrer au développement des derniers mondes de Pairi Daiza.

"Avant Pairi Daiza, je gagnais assez bien ma vie, mais j’étais en train de mettre ma vie personnelle en péril parce que je me trouvais assez inutile, je trouvais que j’avais une vie assez ennuyeuse."

Une chose dont Eric Domb ne manque pas, c’est d’ambition. Bien sûr, pour l’entrepreneur qu’il est, le coût du travail est un handicap. Tout comme la fiscalité. "Est-ce la raison de la faible croissance wallonne? Je ne le pense pas. Je pense que la véritable raison est culturelle, c’est l’ambition." Au passage, il nous demande bien de ne pas écrire que le Wallon n’est pas ambitieux. "On n’ose pas rêver que des Wallons puissent développer de grandes entreprises alors que la population aurait tout à y gagner." Pour lui, le monde de l’entreprise est comme une forêt. Pour qu’un système socio-économique fonctionne, on a besoin de grandes entreprises dans des secteurs traditionnels et de tout un réseau de PME qui tourneraient autour.

Pour Eric Domb, ce qui nous manque le plus, c’est une vision de grandeur, c’est oser faire quelque chose de fantastique qui dépasse les frontières pour aller conquérir le monde. "Si vous n’avez pas de vision, vous n’irez pas loin. Notre société n’encourage pas la vision et l’ambition et pourtant, elle aurait tout intérêt à le faire, assure-t-il. Le problème, c’est la culture de notre société qui veut que la croissance, c’est moche. On a un vrai problème avec le succès, cela vient d’un souci de faiblesse de culture économique dans notre région. L’une des raisons pour laquelle la croissance est un peu un sujet tabou chez nous, c’est parce que la croissance est souvent vue comme l’exploitation des autres et des ressources."

©Debby Termonia

Et n’allez surtout pas lui parler de décroissance! Pour lui, cette thèse est une tragédie car ce n’est pas en faisant des pertes que l’on va financer des besoins collectifs. "Cette bénédiction de la décroissance est une idéologie mortifère qui part du principe que la croissance, c’est nécessairement gaspiller, polluer alors qu’on peut croître, c’est-à-dire progresser, faire mieux au lieu de faire plus." Clair, net et précis. "On est là contre le reste du monde qui veut nous vendre toutes sortes de produits. On n’a plus de matières premières, la seule chose qu’il nous reste, c’est de la matière grise. C’est dans l’intérêt de tous, des chômeurs, des pensionnés, des profs et des politiques, de promouvoir l’ambition parce que l’ambition crée l’impôt et l’impôt finance les besoins fondamentaux de nos sociétés. On ne crée pas de l’impôt avec des pertes. J’ai honte de dire des choses aussi connes que cela, c’est tellement élémentaire", assène-t-il.

La terrasse de la cabane perchée d’Eric Domb offre une vue imprenable sur le parc. De temps à autre, le bruit d’un gong installé dans le jardin chinois, situé en contrebas, résonne dans nos oreilles. Nous devons quitter l’entrepreneur, le laisser à son jardin, un endroit auquel il se consacre corps et âme, au prix de certains sacrifices. Mais ce fut un choix de vie, qu’il assume. "Avant Pairi Daiza, je gagnais assez bien ma vie, mais j’étais en train de mettre ma vie personnelle en péril parce que je me trouvais assez inutile, je trouvais que j’avais une vie assez ennuyeuse. La visite de ce lieu a fait rejaillir l’enfant que j’étais et que j’ai décidé de rester."

Ce parc, son ambition. "Je suis tombé amoureux de cet endroit. J’ai fait un rêve éveillé, c’est dangereux les rêves, je ne suis pas le seul à le dire et j’ai tout laissé tomber pour cette chimère. J’ai commencé à rêver les yeux ouverts en regardant ce site et je me suis dit que j’allais en faire un jardin extraordinaire. (…) Cette idée m’a véritablement englouti."

Une vie teintée d’envies. Et de prises de risques.

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