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"Si le terroriste de la gare Centrale avait eu dix secondes de plus, c'était un massacre"

©Frédéric Pauwels / Collectif H

Interview | Nitzan Nuriel, expert israélien en contre-terrorisme

Nitzan Nuriel, l’ancien patron du contre-terrorisme israélien, est un des hommes les plus courus pour ses conseils et la sécurisation de lieux publics. Cet expert, général de réserve de l’armée israélienne, a prédit que 2017 serait "une année sanglante pour le monde occidental", malgré la défaite de Daech. Les attaques terroristes au Royaume-Uni, en France, en Suède et, récemment, à Bruxelles ne l’ont – hélas – pas démenti.

Nous avons rencontré Nitzan Nuriel lors d’un passage en Belgique. Il évoque les risques d’attentats, la prévention. Et révèle une version de l’attaque de la gare Centrale quelque peu différente – et plus inquiétante – de celle qui circule.

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"Ne vous y trompez pas, vous avez eu de la chance."

Quelle est votre analyse de l’attentat de la gare Centrale?
S’il faut juger le résultat du point de vue de la sécurité, c’était positif. Le type a été abattu en 82 secondes. Un succès. Mais pouvez-vous prouver que ce sera le cas la prochaine fois? La réponse est non. Nous avons besoin de développer d’autres concepts pour garder ce niveau-là. Et ne vous y trompez pas, vous avez eu de la chance.

Pourquoi "de la chance"?
Ce sera publié dans les prochains jours. Le terroriste a rencontré un problème technique en actionnant le mécanisme de déclenchement de la bombe. Il a voulu activer une autre commande, car il y en avait une deuxième, et par chance il a été tué. Si le terroriste de la Gare centrale avait eu dix secondes de plus, c’eut été un massacre car l’explosif artisanal était très bien préparé et très efficace.

D’où détenez-vous ces informations?
Je le sais. Le terroriste avait deux déclencheurs. Le premier n’ayant pas fonctionné, il a tenté d’accéder au second, une commande à distance.

"L’Europe va faire face à de plus en plus d’attaques, même si Daech est défait."

Ces attaques vont-elles continuer?
Malheureusement, la réponse est oui. L’Europe va faire face à de plus en plus d’attaques, même si Daech est défait. Les activistes n’attendent pas d’ordre direct d’un chef qui dirait au matin "fais ça ou ça". Ils ont tout ce dont ils ont besoin, la direction et l’inspiration. C’est juste une question de temps.

Qui décide du timing des attentats?
Personne. La décision est déjà prise: "nous allons attaquer l’Europe, autant de fois que nous le pourrons". Ils sont prêts à exécuter tout type de scénario, explosion suicide, voiture bélier, attaque au couteau. Explosions durant les concerts, les matchs de football. Les terroristes ont reçu les ordres généraux, et c’est à l’homme du terrain de les mettre en œuvre quand il le veut. Ce qui va le conduire à agir demain ou après dépend de peu de choses, le climat, l’inspiration, l’entraînement…

"Nous avons tenté d’étudier en Israël le profil type des kamikazes. Nous nous sommes très vite rendu compte qu’il n’y en a pas."

Quel est le profil de ces terroristes?
Nous avons tenté d’étudier en Israël le profil type des kamikazes. Nous nous sommes très vite rendu compte qu’il n’y en a pas. Tout ce que nous savons, c’est que ceux qui œuvrent pour Daech ont traversé trois processus: ils sont très fanatisés, ils peuvent être convaincus facilement de mener de telles actions, ils sont entrés dans un processus de radicalisation ces derniers mois ou semaines. Si vous me demandez l’âge, le niveau de connaissances, la situation économique, vous ne trouverez rien de commun. Ils peuvent être bien éduqués, des pères de famille ou des loups solitaires.

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Comment peut-on les détecter?
Aucun outil ne permet de résoudre seul le problème. Il faut un ensemble de moyens. Je vous donne un exemple. Nous avons découvert que les musulmans partis en Arabie saoudite pour faire leur hajj (NDLR: le pèlerinage à la Mecque) reviennent souvent très fanatisés. L’atmosphère et les cérémonies peuvent donner à certains l’impression qu’il faut agir aux côtés de Daech. Je crois que les autorités doivent suivre ces personnes à leur retour pour savoir s’il y a eu une radicalisation.

"Si quelqu’un nous paraît menaçant sur les réseaux sociaux, nous prenons le téléphone et nous parlons avec lui pour le raisonner."

Salah Abdeslam ne présentait aucun de ces signes…
Comme je vous ai dit, aucun moyen unique n’est efficace seul. Les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, sont un autre outil de détection très fiable. En Israël, nous avons construit un logiciel qui permet de détecter les messages radicaux. Si quelqu’un nous paraît menaçant sur les réseaux sociaux, nous prenons le téléphone et nous parlons avec lui pour le raisonner. La plupart du temps, c’est suffisant. D’autres fois, nous devons appeler leurs parents, souvent la mère.

Ce n’est pas possible en Belgique…
Certains pensent que les droits humains sont plus importants que la vie. Je pense qu’à un moment, il faut rééquilibrer les choses. Je ne suis pas un fasciste, je suis un démocrate et j’ai la foi dans les droits humains et la liberté. Mais il faut faire des choix. Tout est question d’équilibre.

Que suggérez-vous aux autorités belges?
De faire les ajustements légaux nécessaires de manière urgente et temporaire, pour un an, par exemple. De telle sorte que la police ait l’autorisation de surveiller les réseaux sociaux, prendre contact avec les suspects ou procéder si nécessaire à des arrestations administratives autorisées par un juge.

"Imaginez qu’un hacker modifie le montant de vos impôts. C’est facile à faire. Il peut aussi cibler une université pour modifier vos notes, les données de votre médecin pour vous prescrire un produit qui met votre vie en danger."

Comme expert, que conseillez-vous pour se prémunir contre les cyberattaques?
Comme patron du contre-terrorisme israélien, j’ai été responsable pendant cinq ans de la protection contre les cyberattaques. Il existe trois différentes couches d’acteurs à protéger. Le niveau le plus haut est celui des infrastructures critiques, comme les réseaux de train et d’électricité. Elles sont protégées par l’État, je ne suis pas inquiet.

Le niveau le plus bas c’est nous, avec notre PC et notre smartphone. Si quelqu’un les attaque, vole nos photos, nos messages, le dommage est limité.

Le problème est entre les deux niveaux: les secteurs semi-publics fournissant des services. Imaginez qu’un hacker modifie le montant de vos impôts. C’est facile à faire. Il peut aussi cibler une université pour modifier vos notes, les données de votre médecin pour vous prescrire un produit qui met votre vie en danger. À la fin, vous perdez confiance dans le système.

Quelle est la solution?
Investir dans des produits de qualité pour vous protéger. Tout dépend de l’argent que vous voulez investir. Le gouvernement doit aussi investir auprès des universités. Les autorités devraient affecter un budget pour protéger les infrastructures semi-publiques.

Qui sont les auteurs des cyberattaques?
Je vois trois acteurs dans ce sale jeu. Les premiers sont des États. La Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran. Ils sont très puissants, pénètrent les programmes des entreprises. Les deuxièmes sont les hackers, des jeunes qui veulent montrer leurs capacités et gagner de l’argent en offrant leurs services. Les derniers sont les organisations terroristes comme Daech, le Hamas ou le Hezbollah, pour qui l’arme informatique est peu coûteuse, anonyme et efficace.

"Nous avons développé internet sans réfléchir aux conséquences."

Les cyberattaques vont-elles s’accroître?
Oui. Nous avons développé internet sans réfléchir aux conséquences. Comme par le passé, nous avons développé les voitures avant de créer le code de la route. Nous nous demandons aujourd’hui ce qu’il faut faire pour réguler le net. Mais c’est trop tard. La Russie et la Chine et d’autres États s’opposeront à toute réglementation.

Comment les Européens peuvent-ils vivre avec le terrorisme?
Je suis quelqu’un d’optimiste, mais je pense que le plus grave est devant nous. Le terrorisme ne s’arrêtera jamais. Nous devons apprendre à vivre avec. Créer des programmes nationaux de résilience et agir très vite pour que la vie continue. Pour montrer aux terroristes que nous n’avons pas peur.

En Israël, nous avons introduit la résilience dans les cours de nos enfants. En cas d’attaque de roquettes, ils apprennent qu’il est important de rester ensemble. La deuxième chose est de raccourcir le temps où vous rouvrez au public un endroit où a eu lieu une attaque terroriste. En cas d’attaque suicide en Israël, cela ne nous prend que quelques heures pour rouvrir la place touchée, et vous pouvez à nouveau y prendre un café.

"Le terrorisme ne s'arrêtera jamais. Nous devons apprendre à vivre avec."

Quelle autre prévention proposez-vous?
Il faut exiger des politiciens qu’ils prennent mieux en charge la sécurité au niveau municipal. En Israël, chaque municipalité possède un centre de surveillance auquel tout le monde peut se connecter grâce à la technologie actuelle. Si quelqu’un vous agresse en rue, vous vous connectez. Tous les gens autour de vous sont immédiatement informés et peuvent venir à votre secours.

Ils ont le son, l’image. Nous pouvons répondre très vite à tout événement criminel. Nous venons aussi de lancer une application, Mosquitero. Vous appuyez sur un bouton et tous ceux qui sont connectés arrivent à votre secours.

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Benoit Carlier, Alexandre Faletta et François Lecocq.
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