Matt Brittin, CEO de Google Europe: "Google a un rôle vital à jouer contre la désinformation dans ce conflit"
Implication de Google dans la guerre en Ukraine, crise énergétique et impact environnemental. Rencontre avec Matt Brittin, le président de Google pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient.
Lorsque l'on rencontre Matt Brittin, le patron de Google pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, difficile de ne pas évoquer l'actualité brulante du conflit en Ukraine et la forte implication du géant technologique dans cette guerre. L'autre front actuel pour Google, c'est l'énergie, où l'entreprise californienne aimerait faire figure d'exemple en emmenant dans son sillage les petites entreprises.
Google est très actif depuis le début de l'invasion russe en Ukraine. Le fait qu'une haute dirigeante de Google en Russie ait été physiquement menacée par les services secrets russes et ait dû se cacher a-t-il joué un rôle dans votre implication?
Ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine est une véritable crise humanitaire. Je ne commenterai pas le fait que vous mentionnez. Nous avons dû avant tout chose nous assurer que nos employés étaient en lieu sûr. Mais ensuite, notre priorité a été de faire en sorte que nos outils soient les plus utiles et à même d’aider les gens sur place. Nous avons agi vite pour faire en sorte que Google Maps indique les endroits où passer la frontière et fasse apparaitre les informations pour se rendre dans des camps de réfugiés.
"Nous mettons notre infrastructure en pare-feu devant les sites internet officiels ukrainiens et c’est nous qui absorbons les attaques qui les visent."
Nous avons fait en sorte que les sites des autorités ukrainiennes et ceux des ONG locales soient protégés des cyberattaques, particulièrement des attaques DDOS. Nous avons déployé ce que l'on appelle le "Google Project Shield" pour protéger 150 sites internet. Cela signifie que nous mettons notre infrastructure en pare-feu devant ces sites internet et c’est nous qui absorbons les attaques qui les visent.
Vous avez été plus loin en prévenant la population des raids aériens russes.
Effectivement, nous avons lancé il y a une semaine une fonctionnalité qui permet aux utilisateurs d’Android qui est très populaire dans le pays de recevoir une notification lorsqu’une alerte au bombardement est émise dans la zone où il se trouve.
Cela se fait sur la base des informations des autorités ukrainiennes. Comme pour d’autres crises impliquant un grand nombre de réfugiés, nous adaptons nos outils, notamment ceux liés à la traduction, pour les rendre utiles aux personnes sur le terrain.
Quel est le rôle d’une entreprise technologique mondiale comme Google dans un conflit de cette ampleur?
Nous avons un rôle vital à jouer contre la désinformation dans ce conflit. Nous devons lutter contre la désinformation croissante en provenance de Russie. Les utilisateurs du monde entier, y compris ceux qui se trouvent en Russie, se tournent vers Google et YouTube pour s’informer. Nous devons nous soumettre aux lois de chaque pays, mais pour l’instant, nous arrivons encore à proposer des informations internationales aux internautes sur place. Nous devons aussi nous adapter aux sanctions et avons stoppé nos activités commerciales en Russie. Il n’est plus possible de faire de la pub sur Google en Russie ou d’acheter des publicités pour des entreprises russes.
Autre actualité chaude, la crise énergétique. Google est très actif sur les questions énergétiques et environnementales pour le moment. Vous vous sentez responsable de l’impact de vos activités très consommatrices en énergie ?
Nous sommes avant tout une entreprise technologique. Nous sommes conscients depuis longtemps qu’il fallait d’abord remettre de l’ordre chez nous avant de convaincre d’autres. Beaucoup de choses que Google fait à propos de la durabilité sont en réalité séparées de notre propre impact. Gouvernement, entreprises et communautés doivent travailler main dans la main pour lutter face au dérèglement climatique. Une énorme part de ce travail concerne les entreprises et particulièrement les plus petites, car les PME représentent 90% des entreprises sur terre. Les très grosses entreprises contribuent massivement aux émissions de carbone, bien sûr, mais quand vous regardez leurs chaines d’approvisionnement, elles sont composées d’une multitude de plus petites entreprises. Ces entreprises sont dirigées par des gens qui veulent agir contre la crise climatique et énergétique, mais ils n’ont pas les outils à disposition pour le faire. C’est pour cela que nous lançons le "Business Carbon Calculator". Un outil gratuit que les entreprises peuvent utiliser pour comprendre et estimer leur émission carbone, leur impact et comment les réduire.
"Dans le passé, la durabilité était vue comme un coût. Aujourd'hui, ce qui est bon pour le business peut aussi l’être pour la planète."
Pensez-vous que les petites entreprises sont prêtes à modifier leur business pour le rendre plus durable?
La plupart des patrons que je rencontre se soucient vraiment du climat et il y a une prise de conscience globale. Dans le passé, la durabilité était vue comme un coût. Aujourd'hui, ce qui est bon pour le business peut aussi l’être pour la planète. Les consommateurs se font entendre sur ces questions en posant des choix clairs lors de leurs achats.
Quel est l’objectif en termes d'impact pour cet outil?
Nous aimerions évidemment qu’un maximum d'entreprises l’utilisent. N’oubliez pas que Google est en contact et travaille avec des millions de petites entreprises à travers le monde chaque jour. Ce que nous faisons généralement avec ce type d’outil, c'est que nous le lançons, nous regardons comment les gens l’utilisent et nous le faisons évoluer pour augmenter son adoption. Je pense que nous aurons des résultats très significatifs.
Avoir conscience de son empreinte carbone est-il suffisant?
La première étape est de comprendre d’où viennent les émissions carbone, donc la conscience de son impact est très importante. Ensuite, il faut avoir de l’ambition. J’ai rejoint Google il y a 15 ans, l’année où l’entreprise a déclaré qu'elle serait neutre en carbone en 2030. Nous ne savions pas comment nous y prendre à l’époque. Il a fallu développer les outils ad hoc.
Vous avez parlé des datacenters de Google qui sont bien implantés sur le territoire belge. Cela reste des infrastructures dont l’impact environnemental est régulièrement pointé du doigt. Quels actes concrets Google pose-t-il pour changer cela?
Nous avons mis nos ingénieurs au travail pour améliorer l’efficacité énergétique de nos datacenters en atteignant un taux d’énergie consommée issu en très grande majorité d’énergies renouvelables. 10 ans plus tard, nous sommes l’un des plus gros acheteurs d’énergie renouvelable pour nos installations dans le monde. Nous avons maintenant un nouvel objectif pour nos datacenters et centres opérationnels: ils doivent être neutres en carbone pour 2030. C’est un énorme défi. Nous avons déjà 5 datacenters qui tournent à 90% avec de l’énergie neutre en carbone. Les derniers 5 ou 10% seront les plus difficiles à combler. Le but ultime pour nous est que notre impact total, en ce compris celui de notre chaine d’approvisionnement, soit neutre en carbone.
Nous avons aussi investi plus de 10 milliards d’euros dans des infrastructures d’énergies renouvelables en Europe. Nous travaillons sur l’efficacité énergétique des datacenters pour qu’ils consomment moins. Nous avons une équipe à Londres appelée Deep Mind qui utilise le "machine learning" pour faire évoluer les outils de refroidissement et de ventilations actuels. Leur algorithme nous permet aujourd’hui de réduire de 30% la consommation liée au refroidissement des infrastructures.
"Nous avons l'ambition de faire en sorte qu’un milliard de nos utilisateurs fassent des choix plus durables lorsqu’ils utilisent nos services."
Les entreprises, c'est une chose, mais il y a aussi les internautes qui utilisent des produits Google tous les jours. Leur empreinte carbone est-elle votre responsabilité?
Nous avons l'ambition de faire en sorte qu’un milliard de nos utilisateurs fassent des choix plus durables lorsqu’ils utilisent nos services. Par exemple, lorsque vous utilisez Google Flights pour réserver un vol, Google indique les émissions de chaque vol. Si vous avez le choix entre plusieurs vols, peut-être allez vous prendre celui qui émet le moins. Sur Google Maps, pour chaque trajet, on vous indique l’option la moins polluante. Nous travaillons pour proposer le même genre de données pour le shopping en ligne. Ces données que nous affichons peuvent aider les consommateurs, mais aussi les entreprises qui devront probablement s’adapter aux choix plus conscients des consommateurs.
- "Nous devons lutter contre la désinformation croissante en provenance de Russie. Les utilisateurs du monde entier, y compris ceux qui se trouvent en Russie, se tournent vers Google et YouTube pour s’informer."
- "Dans le passé, la durabilité était vue comme un coût. Aujourd'hui, ce qui est bon pour le business peut aussi l’être pour la planète."
- "Nous avons l'ambition de faire en sorte qu’un milliard de nos utilisateurs fassent des choix plus durables lorsqu’ils utilisent nos services."
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