"Une seule police à Bruxelles serait plus efficace"
Bart De Wever a estimé que les services de police bruxellois sont trop éparpillés et que cela nuit à leur efficacité. Christian De Valkeneer, procureur général de Liège et professeur de criminologie à l’UCL, ne lui donne pas tout à fait tort.
Depuis la réforme des polices en 1998, Bruxelles compte six zones de police contre 19 auparavant. La police locale est donc organisée par zone (Bruxelles Capitale-Ixelles, Bruxelles ouest, zone midi, Uccle-Auderghem, zone Montgomery et Schaerbeek-Saint-Josse-Evere) et non plus par commune. Est-ce encore trop? Oui, estime Christian De Valkeneer. Mais il rappelle que la lutte anti-terrorisme relève de la police judiciaire fédérale et de la Sûreté de l’État.
"Quand on est plusieurs, c’est toujours plus compliqué de coordonner les actions."
La structure actuelle de la police bruxelloise nuit-elle à son efficacité en matière de lutte contre le radicalisme et le terrorisme?
Lier la structure policière locale à la question de l’anti-terrorisme, c’est faire un pas trop loin car ce n’est pas sa compétence première. Cela relève de la police judiciaire fédérale et de la Sûreté de l’État. La police locale est en deuxième ligne sur cette matière. Cela dit, de manière générale, une seule police locale à Bruxelles pourrait augmenter l’efficacité. Des économies d’échelle pourraient être réalisées et les moyens dégagés pourraient être redéployés dans le recrutement de personnel.
Vous voulez dire que la police bruxelloise pourrait être plus efficace dans ses compétences si toutes les zones fusionnaient?
Je pense qu’il est plus compliqué de coordonner des actions quand on est plusieurs autour de la table. Aujourd’hui, chaque zone a ses propres objectifs. Or, Bruxelles, c’est un seul tissu urbain. Il n’y a pas de frontières naturelles entre les zones.
Le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS), a réagi aux déclarations de Bart De Wever qui a estimé que les services de police bruxellois étaient trop éparpillés. "La mission de suivi des terroristes se fait par les services fédéraux spécialisés, sur instruction du pouvoir judiciaire. Il n’y a donc aucune compétence des autorités locales dans ce domaine et le nombre de zones ne peut être utilisé comme argument à charge", a-t-il rappelé.
Il a ajouté que les autorités locales se plaignaient d’apprendre trop tardivement les opérations sur le territoire de leurs communes. "Au niveau de la Région, nous mettons en place les structures prévues par la Sixième réforme de l’État, qui prévoit justement un rôle de coordination des politiques de sécurité et de prévention". En matière de radicalisme, la Région désigne des référents dans toutes les communes et zones de police pour assurer la collaboration et l’échange de bonne pratiques.
La situation au sein de la zone de Bruxelles-Ouest n’est toutefois pas la même que celle d’Uccle-Auderghem. Ces zones ont des priorités différentes.
On est déjà confronté à des situations différentes à l’intérieur même des zones de police. À Molenbeek, il y a des quartiers très différents. Une seule police ne veut pas non plus dire que tous les services seront établis au même endroit. Pour que cela fonctionne, il faut aussi une décentralisation.
D’après vous, il manque une volonté politique pour fusionner les zones de police bruxelloises?
C’est un sujet dont on parle depuis longtemps. La loi permet la fusion. L’instrument juridique existe donc. D’après moi, la situation bruxelloise nécessiterait effectivement une réflexion.
Si plusieurs attentats devaient se produire simultanément à Bruxelles, est-ce que cette multiplication d’acteurs nuirait à la rapidité d’intervention?
J’espère que non. Mais c’est toujours plus compliqué lorsque plusieurs services doivent se coordonner. En France, c’est une police unique qui est intervenue vendredi. Aux Pays-Bas, ils ont aussi fait le choix d’une police unique.
Faut-il encore aller plus loin et avoir une police unique à l’échelle du pays? £
En Belgique, la police locale fait partie de la culture. Elle est le résultat de vieux choix politiques et d’une tradition. Dans la réalité politique belge, une police unique me semble impossible. Ce serait un vrai chamboulement. Et je répète que la lutte anti-terrorisme relève de la compétence de services de police spécialisés. Elle nécessite d’avoir des informateurs pour mener une surveillance. Ce n’est pas la police locale qui va infiltrer ces réseaux. Et une police unique ne va pas empêcher des attentats. Les événements en France en sont malheureusement la preuve.
Un ancien agent du contre-terrorisme français (DGSE) met directement en cause l’efficacité des services de renseignements belges. "Pour le renseignement anti-djihadiste, la Belgique est sous bouclier français. Et il faut bien le dire, alors qu’ils ont la plus grosse proportion de départs en Syrie des pays occidentaux, les Belges ne sont pas au niveau", déclarait lundi soir un ancien spécialiste du contre-terrorisme à la DGSE. "On a un souci de contrôle aux frontières de Schengen, et un gros", estimait-il, faisant référence à Samy Amimour, l’un des terroristes de l’attentat de Paris, qui a réussi à rentrer en France après avoir rejoint la Syrie malgré un mandat d’arrêt international.
"S’il a pris soin de ne pas rentrer par une frontière française, personne ne l’a vu. S’il rentre par la Belgique, par exemple, par un vol low-cost à Charleroi… Allez-y à Charleroi, vous verrez les contrôles. (...) Il y a trois hypothèses. Soit personne n’a rien vu, et c’est un gros souci; soit on a vu des trucs et on ne les a pas compris, ce qui est aussi un problème; soit on a vu des trucs et malgré tout l’équipe a pu passer à l’action. (...) Dans cette équipe beaucoup de mecs sont connus à Bruxelles, quelqu’un s’est manifestement planté", poursuivait-il.
Interrogé sur ces allégations par "Europe 1", Didier Reynders a répondu sur le ton caustique qui le caractérise: "J’apprécie beaucoup les anciens commentaires des anciens responsables qui ne se sont probablement jamais trompés… Je constate qu’ici, il y a un certain nombre de personnes qui sont Français, qui sont venus sur le territoire belge participer probablement à l’organisation de ces attentats".
Guy Rapaille, le président du Comité R (comité qui contrôle les services de renseignements et de sécurité au nom du parlement et du gouvernement), a aussi réagi: "Je ne sais pas sur quoi cet ancien agent de la DGSE se base. Que je sache, nous n’avons pas eu beaucoup d’attentats en Belgique". Il estime que c’est un peu simple pour les Français de rejeter la responsabilité sur la Belgique. "A priori, il n’y a que trois individus qui venaient de Belgique, ça signifie qu’il y a tout de même cinq Français."
Une enquête du comité R
Le Président français, François Hollande, a déclaré lundi que "les attentats avaient été préparés en Belgique". Pour Guy Rapaille, "ce sera à l’enquête de le déterminer. Il ne faut pas décider avant qui sont les responsables". Le Comité R a ouvert une enquête "pour voir ce que les services de renseignements savaient, ne savaient pas, ou auraient dû savoir", avant le vendredi 13 novembre.
Les plus lus
- 1 Pourquoi les entreprises revoient-elles les règles du télétravail?
- 2 Formation du gouvernement fédéral: une nouvelle version de la "super-note" en vue, avant le sprint final
- 3 L'Espagne va augmenter les impôts sur les locations de vacances et les maisons des étrangers
- 4 Le gouvernement wallon veut des managers privés dans les hautes sphères publiques
- 5 Finances publiques belges: où est vraiment le danger?