Les vrais chiffres de la crise de l'asile en Belgique
Alors que le nombre de demandeurs d'asile augmente partout en Europe, L'Echo a tenté d'objectiver la situation chez nous, en Belgique, chiffres à l'appui.
Début septembre, la secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration Nicole de Moor (CD&V) a marqué les esprits en annonçant que la Belgique refuserait, jusqu'à nouvel ordre, de prendre en charge les hommes seuls qui demandent l'asile en Belgique, suite à un nombre croissant de demandes.
Au niveau européen, la situation s'enlise. Le Pacte migratoire européen n'a toujours pas été adopté et l'Europe reste dénuée de réelle politique migratoire en raison d'un manque de solidarité entre les États membres.
En attendant, les centres d'accueil de demandeurs d'asile en Belgique sont pleins et le spectre d'une nouvelle crise de l'asile semblable à celle de 2015 ressurgit.
Pour tenter d'objectiver au mieux ce sujet complexe, nous avons donc choisi de nous appuyer sur les chiffres. Ceux des nouvelles arrivées, mais aussi de la répartition de "l'effort" entre régions et pays européens, ceux du coût de la gestion des personnes hébergées chez nous, sans oublier ceux des profils des demandeurs d'asile.
1/ Combien y a-t-il de demandeurs d'asile en Belgique?
Entre janvier et novembre 2023, Eurostat a dénombré 26.545 premiers demandeurs d'asile en Belgique.
La situation est donc différente de celle de 2015, une année marquée par le début du conflit en Syrie et durant laquelle on a dénombré 38.990 premiers demandeurs d'asile au total. La hausse actuelle est moins dense, mais semble s'étendre dans le temps, mettant ainsi une pression forte et constante sur les services d'accueil. Les chiffres montrent, en effet, que les demandes d'asiles sont en augmentation structurelle depuis l'été 2021.
Selon les données de l’Office des Etrangers et du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, le nombre total de demandes d'asile s'élevait en 2023 à 35.507. En 2022, ce chiffre s'élevait à 36.871.
Pour avoir une vision globale de la tension actuelle sur le système d'accueil des demandeurs d'asile, il faut aussi prendre en considération tous les dossiers qui n'ont pas encore été traités par l'Office des étrangers. Selon le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), ce nombre s'élevait, fin août, à 23.061 dossiers (27.506 personnes). L'administration estime la charge de travail normale à 6.500 dossiers au mois d'août, ce qui implique un arriéré de 16.561 dossiers devant encore être tranchés.
2/ Y a-t-il assez de place pour accueillir toutes les demandes?
En Belgique, les demandeurs d'asiles sont pris en charge par Fedasil. L'agence fédérale fournit aux demandeurs une aide matérielle (hébergements, soins...) le temps de la durée de la procédure. Les demandeurs de protection internationale reconnus comme réfugiés reçoivent ensuite un permis de séjour de durée illimitée.
Au 1ᵉʳ septembre, Fedasil comptait 34.271 places d'accueil, pour 32.506 personnes accueillies, soit un taux d'occupation de 95%. Par ailleurs, 2.200 personnes se trouvent sur la liste d'attente pour intégrer un centre d'accueil. Le nombre de places actuellement disponibles n'est donc pas suffisant pour accueillir l'ensemble des demandeurs.
La capacité d'accueil globale actuelle est la plus élevée de la dernière décennie. Mais la capacité structurelle, elle, a baissé: de 20.000 places en 2013, elle est tombée à 16.200 en 2015, avant de remonter progressivement à 18.057 en 2022. Dans le même temps, on constate une hausse de la capacité temporaire depuis 2018 (places tampon, réquisition de lieux...), qui atteignait en 2022 plus de 15.000 places.
Par ailleurs, la durée moyenne des séjours en centre d'accueil Fedasil est de 15 mois.
3/ Quels sont la procédure et le délai de traitement pour une demande d'asile?
Lorsqu'un demandeur d'asile arrive en Belgique, il doit introduire sa demande de protection internationale auprès de l'Office des étrangers. Celui-ci est chargé de l'enregistrement des demandes de protection internationale et de vérifier si la Belgique est l'État membre compétent pour traiter le dossier. Si tel est le cas, le dossier est transmis au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, où les demandes sont examinées en profondeur et où des décisions sont prises quant à l'octroi du statut de réfugié ou du statut de protection subsidiaire.
Pendant la durée de la procédure, le demandeur a droit à un logement. Une fois la décision rendue, le demandeur doit quitter le centre pour intégrer un logement classique par ses propres moyens (réponse positive) ou doit retourner dans son pays d'origine (réponse négative).
En 2022, le CGRA a pris 20.514 décisions concernant 20.066 personnes, 43% d'entre elles étaient positives.
Durant le premier semestre de 2023, environ un tiers des dossiers ont été traités par le CGRA dans les trois mois suivant la validation de l'office des étrangers et 68% dans l'année suivante.
4/ D'où viennent les demandeurs d'asile?
En 2023, les ressortissants de 73 pays différents ont fait une demande d'asile en Belgique, selon Eurostat. Parmi ces pays, les Syriens représentent le plus grand groupe de demandeurs d'asile, avec 2.140 demandes (13.150 en Europe). Viennent ensuite les Afghans (1.860), les Palestiniens (1.845), les Érythréens (1.395) et les Turcs (1.275).
5/ Où sont accueillis les demandeurs d'asile?
Au 13 septembre 2023, les places d'accueil sont réparties entre les 98 centres collectifs présents dans tout le pays (environ 29.000 places), les logements individuels gérés par les CPAS et associations (5.165 places) et les centres gérés par les partenaires de Fedasil.
La Wallonie accueille la plus grande part de demandeurs d'asile hébergés en centre collectifs avec 14.617 places réparties dans 46 centres d'accueil. La Flandre compte 9.960 places (37 centres) et Bruxelles 4.046 places (15 centres).
Mais l'hébergement en centre d'accueil n'est pas obligatoire pour les demandeurs d'asile. Selon Sotieta Ngo, directrice générale de l'ASBL Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (Ciré), aucun monitoring des personnes qui ne sont pas prises en charge par Fédasil n'est effectué.
"On sait que parmi les personnes qui ont été confrontées à ce déni d'accueil depuis deux ans, une partie n'est plus sur le territoire, mais quelle partie? Est-ce que c'est 5% ou 35%? Le reste de ces personnes sont probablement dans les gares, sur des trottoirs, dans les squats. On en a eu un tout petit aperçu l'année dernière en décembre avec l'affaire de la rue des Palais", rappelle-t-elle.
6/ Les hommes isolés sont-ils majoritaires ?
Parmi les nouveaux demandeurs d'asile, on constate que les hommes sont majoritaires dans toutes les classes d'âge. Pour les onze premiers mois de 2023, Eurostat a dénombré 17.670 hommes pour 8.865 femmes. Les hommes ayant entre 18 et 35 ans représentent la majorité des nouveaux demandeurs d'asile.
Par ailleurs, sur les 32.000 personnes déjà accueillies par Fedasil, l'organisme indique que 43% d'entre elles sont des hommes isolés, 40% sont des familles, 10% des mineurs non accompagnés et 7% des femmes isolées.
Enfin, la Belgique a enregistré 1.570 nouvelles demandes d'asile de la part de mineurs isolés entre janvier et août 2023, dont 350 sur le seul mois d'août.
7/ La Belgique accueille-t-elle plus de demandeurs d'asile que ses voisins?
Entre janvier et août 2023, la Belgique a accueilli 17.940 premiers demandeurs d'asile sur les 575.230 demandes formulées en Europe. Cela correspond à 3,11% du total des demandeurs d'asile, un chiffre comparable à celui des Pays-Bas, de l'Autriche (3,76%) et de la Grèce (3,07%). L'Allemagne a accueilli, à elle seule, près de 40% des nouveaux demandeurs d'asile, suivie de l'Espagne (19%), la France (14%) et l'Italie (10%).
En revanche, si l'on rapporte le nombre de demandeurs d'asile accueillis à la population de chaque pays européen, la Belgique a accueilli 152 demandeurs d'asile pour 100.000 habitants, ce qui la place au onzième rang européen. L'Islande (706 pour 100.000 habitants), Chypre (604) et l'Autriche (238) sont les pays les plus accueillants.
8/ Combien cela coûte-t-il à l'État belge?
En 2022, le budget de Fedasil s'élevait à plus de 708 millions d'euros, soit la plus grosse dotation de l'histoire de l'agence. Ce budget est en hausse depuis 2018.
Sur la même période, on remarque que Fedasil a dépensé 692 millions d'euros. Sur cette somme, 492 millions ont été dépensés en faveur des demandeurs d'asile, avec 48 millions pour les dépenses liées à l'hébergement, 34 millions pour les frais médicaux, et 409 millions pour les dépenses en faveur de tiers, soit les subsides versés pour financer l’accueil de demandeurs d’asile dans d’autres structures (la Croix-Rouge et autres ONG partenaires, le CPAS, les communes possédant un centre d'accueil, les partenaires privés).
Dès lors, comment expliquer que ce budget conséquent ne permette, pas malgré tout, de répondre aux besoins de places d'accueil? Pour la directrice du Ciré, cela serait la conséquence de choix politiques: "L'accueil en centre est un modèle qui coûte cher parce qu'il y a des frais d'infrastructure et de personnel, ce qui n'est pas nécessaire lorsqu'on est dans un autre modèle d'accueil, comme le placement en logements", avance Sotieta Ngo. "Le choix est d'y aller à la petite cuillère et pas à la louche pour la délivrance de titres de séjour", conclut-elle. "Cela est insupportable quand ça fait deux ans que des personnes sont à la rue."
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