Nicole de Moor: "Sur l'immigration, tous les partis de l'Arizona ont le même but, ce n'était pas le cas avec la Vivaldi"
La secrétaire d'État à la Migration ne voit pas de problème dans la décision de l'Allemagne de renforcer ses contrôles aux frontières. Et se sent déjà plus à l'aise dans la coalition Arizona.
Les contrôles renforcés des frontières allemandes ont créé une onde de choc en Europe. Si la libre circulation des personnes demeure un pilier du projet continental commun, il ne faut pas y voir autre chose qu'une mesure exceptionnelle dictée par des circonstances particulières, estime Nicole de Moor, secrétaire d'État CD&V à la Migration. Elle préfère toutefois se concentrer sur le renforcement des frontières extérieures de l'Europe. Et avancer sur la politique belge en matière de retours. Elle semble déjà beaucoup plus à l'aise avec le projet Arizona qu'au sein de la Vivaldi, où elle a dû batailler contre "les résistances" du PS et d'Ecolo/Groen, confie-t-elle.
L'Allemagne a annoncé, lundi, instaurer des contrôles à l'ensemble de ses frontières, dont celles avec la Belgique pour lutter contre l'immigration illégale, décision très critiquée notamment par la Pologne. Qu'en pense la secrétaire d'État belge à l'Asile et à la Migration?
Ce n'est pas la première fois: il y avait déjà des contrôles aux frontières en Allemagne, ils ont simplement décidé de les élargir. Après l'attaque horrible de Solingen (un attentat revendiqué par l'Etat islamique qui a fait trois morts et huit blessés dans l'ouest du pays, NDLR), je comprends cette décision. La Belgique l'a fait aussi, notamment après les attentats du 22 mars 2016, ou dans la période covid. La France l'a fait aussi de manière préventive récemment, pendant l'été, pour des raisons de sécurité liées aux Jeux olympiques. L'Allemagne l'a fait dans le cadre des règles européennes, en organisant des contrôles de passeport, afin de savoir qui entre dans son territoire. C'est autre chose que fermer les frontières
Est-ce une option qu'il faut envisager de manière régulière, y compris en Belgique?
Ce dont on a besoin, c'est de renforcer nos frontières extérieures, dans le cadre d'une solidarité européenne. À cet effet, je suis contente et fière d'avoir réussi à obtenir un accord avec le pacte de migration européen. Il a été voté juste avant les élections et doit maintenant être implémenté sur le terrain, cela ne se fait pas du jour au lendemain, cela demande des travaux énormes.
"On doit diminuer l'afflux de ceux qui n'ont pas besoin de protection."
Vous souhaitez donc limiter l'afflux de migrants en Belgique?
Depuis trois ans, on note une forte augmentation des arrivées de migrants en Europe. On doit les limiter, en Belgique également, je pense que beaucoup seront d'accord avec moi sur ce point. 60% des personnes qui demandent l'asile en Belgique ne sont pas des réfugiés en demande de protection internationale. Une grande partie de ceux qui demandent l'asile en Belgique l'ont déjà demandé ailleurs en Europe. On doit donner une protection à ceux qui en ont besoin, qui fuient une situation de guerre ou la persécution politique. Mais on doit diminuer l'afflux de ceux qui n'ont pas besoin de protection. Ceci dit, le contexte reste difficile. À ce propos, la situation se complique au Liban, où vivent 1,5 million de réfugiés syriens et un demi-million de réfugiés palestiniens. Si la situation s'y détériore, cela aura un impact énorme sur l'afflux de migrants en Europe.
Pendant ce temps, c'est le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui mène une espèce de chantage aux migrants en menaçant d'envoyer des cars à Bruxelles.
C'est inacceptable. Inacceptable. C'est un manque de respect pour la coopération européenne et c'est réduire les migrants à des pions, à des jouets d'un régime. J'ai toujours plaidé pour plus d'Europe, pour mieux gérer et contrôler.
Cet épisode donne pourtant l'impression d'un éclatement de la solidarité européenne...
C'est tout l'inverse. Après dix années de négociations, nous avons réussi à trouver un accord avec le pacte migration. M. Orban n'est pas d'accord avec ce pacte, mais les nouvelles règles lui sont applicables. Il semble vouloir une Europe à la carte ou chacun fait comme bon lui semble. Ce fut la politique de migration des années durant, et cela ne nous a pas aidés.
Georges-Louis Bouchez a salué ces propos de Viktor Orban, considérant, à destination du bourgmestre de Bruxelles que "la Hongrie a raison de montrer à cette gauche bien-pensante les effets réels de sa politique". Qu'en pensez-vous?
Les communales arrivent et les tensions électorales montent. Souvent sur le sujet de la migration. Mais je n'ai entendu personne dire que l'on doit accueillir les bus d'Orban. Tout le monde en Belgique est sur la même ligne et personne n'accepte qu'il envoie des migrants à Bruxelles.
La note "Asile et migration" rédigée par la N-VA, qui a fuité dans la presse, propose de réduire considérablement les capacités d'accueil de la Belgique, qui passeraient de 38.000 à 11.000 à l'horizon 2029. Est-ce raisonnable?
"Il y a des discussions sur la migration au sein de l'Arizona, c'est clair. Mais nous avons le même objectif de base."
Je n'ai entendu aucune partie à la table des négociations demander de mettre des personnes à la rue pour fermer des places. On doit agir dans le bon ordre et diminuer d'abord l'afflux vers la Belgique. Il y a 38.000 places d'accueil. Et quand on compare aux autres États européens, il est clair que la pression mise sur la Belgique est trop forte. La solution au manque de places ne sera jamais de créer plus de places. On le fait, car on veut éviter de voir des personnes vulnérables à la rue. Mais la solution structurelle, c'est de diminuer le flux entrant, à partir des frontières extérieures de l'Union européenne, d'augmenter le nombre des retours de personnes en situation illégale, de mieux contrôler la migration. Au sein de l'Arizona, tout le monde a ce même but. Et ce n'était pas le cas au sein de la Vivaldi.
Dans quelle mesure?
Sous la Vivaldi, j'ai été confrontée à beaucoup de résistance. Certains partis ont un problème avec le concept même de frontière et avec la nécessité des retours de personnes en situation illégale. Il est très difficile de mener une politique cohérente si plusieurs parties de la même coalition délivrent un message différent. Il y a des discussions sur la migration au sein de l'Arizona, c'est clair. Mais nous avons le même objectif de base, et cela facilite les choses. Car nous devons seulement discuter de la manière d'obtenir le résultat escompté.
Alors, concrètement, comment ferait-on pour diminuer ce flux?
Par le pacte de migration, par les partenariats avec les pays de transit et d'origine, par des investissements dans le marché du travail et l'économie des pays d'origine, sans fermer les yeux sur les difficultés là-bas. Mais on ne peut donner de chiffres, vu le contexte géopolitique, entre le Liban, l'Égypte, Gaza et l'Ukraine, qui a un impact majeur sur la migration.
La Belgique est-elle toujours le pays européen qui accueille le plus de Palestiniens?
"Le vrai problème, pour moi, est que différentes communes appliquent notre législation sur la nationalité d'une manière différente."
Oui, c'est toujours le cas, avec la Grèce. Il faut être clair: les personnes qui viennent de Gaza ont besoin de protection et notre taux de reconnaissance (environ 90%) le démontre. Mais cela ne veut pas dire que la Belgique doit être forcément le pays d'accueil en Europe, les autres États membres doivent prendre leur part.
Explique-t-on ce phénomène par le fait que jusqu'ici, les enfants nés en Belgique de parents palestiniens obtiennent la nationalité belge?
La migration n'est pas une science exacte, plusieurs éléments interviennent. Mais notre législation sur la nationalité a un effet. Le vrai problème, pour moi, est que différentes communes appliquent notre législation sur la nationalité d'une manière différente. Il n'est pas logique qu'une personne qui demande la nationalité belge la reçoive dans une commune et pas dans l'autre. L'état civil relève de la justice, et non de ma compétence. D'ailleurs, la nationalité, dans sa globalité, est l'un des sujets en discussion à la table des négociations de l'Arizona.
À ce propos, y a-t-il des éléments inacceptables dans la note de la N-VA sur l'asile et la migration?
Je n'irai pas dans les détails. Un accord se trouve autour de la table des négociations, c'est la seule manière d'y parvenir.
Pas de commentaire sur le fait que Myria soit ciblé par la note de la N-VA et appelé à plus de "neutralité"?
Pas plus... Mes excuses, nous ne donnons pas beaucoup d'informations, mais nous tenons à la discrétion des négociations. Il y a eu une pause, mais maintenant, le train est de nouveau sur les rails.
Avant les élections, vous avez proposé un nouveau code législatif sur la migration, qui n'a donc pas eu le temps d'être voté. Fait-il partie de la base des négociations fédérales pour le CD&V?
Il s'agit, en effet, d'une partie de nos propositions. Nous travaillons aujourd'hui avec un code judiciaire datant de 1980, avec des lois changées plus d'une centaine de fois entretemps, avec une grande complexité à la clé, des procédures longues et arides. Donc il faut simplifier les choses. Je suis très fière de ce travail long de trois ans, qui est un cadeau fait à l'Arizona. Le texte, long de 2.000 pages, est prêt, il reste peut-être cinq nœuds politiques à résoudre dans l'accord de gouvernement.
Ce code est-il le signal de votre volonté de continuer ce travail de secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration?
Ce n'est pas un secret: ce sujet est une passion pour moi, mais, en politique, être trop accaparée par son propre avenir ne facilite pas les choses, donc ce n'est pas à moi de faire ce choix.
"Pour des sans-papiers qui ont commis des crimes, la seule possibilité est le retour."
Revenons au terrain et à la situation en gare du Midi, où vous êtes mise en cause par les bourgmestres d'Anderlecht et Saint-Gilles se plaignant de l'installation par Fedasil de structures d'accueil. N'est-il pas temps que les pouvoirs publics parlent d'une même voix au sujet de cette gare?
Je ne suis pas responsable des aspects de sécurité, mais oui, pour chaque problème, le travail collectif est la solution. En gare du Midi, beaucoup de personnes en séjour illégal sombrent dans la criminalité et le trafic. Pour des sans-papiers qui ont commis des crimes, la seule possibilité est le retour. Mais ce n'est pas facile. Une coopération avec les bourgmestres est nécessaire. Et je dois faire remarquer que, dans certaines communes - que je ne nommerai pas -, quand l'Office des étrangers veut entrer dans un squat où se trouvent des sans-papiers pour les accompagner sur le chemin du retour, on me répond dans la commune que "ce n'est pas le moment".
Certains bourgmestres bruxellois ne seraient-ils pas assez coopératifs à vos yeux?
Cela ne m'aide pas quand des personnes en séjour illégal parviennent à obtenir des droits au CPAS. Quel est le message envoyé? Qu'une personne sans papiers peut rester en Belgique en obtenant des aides sociales et un logement aidé? Je ne dis pas que les sans-papiers doivent être à la rue, mais offrir des revenus sociaux et un logement sans conditions ni accompagnement d'un futur retour, cela n'aide pas à convaincre que leur futur n'est pas en Belgique. Pour une personne en situation illégale sur le sol belge, le retour dans son pays d'origine n'est pas inhumain. C'est la vie en rue ou dans un squat qui est inhumaine. Et la régularisation collective des sans-papiers n'est pas la solution.
"Une frontière n'est pas inhumaine, c'est la manière dont on l'organise qui peut l'être."
Sentez-vous une évolution politique sur le plan de l'asile et de la migration, notamment à gauche? Olaf Scholz, en Allemagne, et Vooruit, en Belgique, ont évolué pour demander plus de fermeté...
J'observe surtout que les positions se radicalisent. À l'extrême droite, on demande à ce que plus personne ne puisse entrer, mais aussi à gauche, certains se renforcent dans leurs positions. Au sein de la Vivaldi, certains partis étaient contre les frontières. Mais la frontière, c'est la base d'une politique migratoire contrôlée. Une frontière n'est pas inhumaine, c'est la manière dont on l'organise qui peut l'être.
Les phrases clés
- "Cela ne m'aide pas quand des personnes en séjour illégal parviennent à obtenir des droits au CPAS. Quel est le message envoyé?"
- "Certains partis ont un problème avec le concept même de frontière et avec la nécessité des retours de personnes en situation illégale."
- "60% des personnes qui demandent l'asile en Belgique ne sont pas des réfugiés en demande de protection internationale."
Les plus lus
- 1 Gouvernement wallon: la note de Pierre-Yves Jeholet prônant un contrôle plus serré des chômeurs est validée
- 2 Élections communales: après recomptage des votes, le MR perd un siège au profit d'Ecolo à Bruxelles-Ville
- 3 Une banane scotchée achetée 6,2 millions de dollars par un entrepreneur crypto
- 4 Gouvernement fédéral: l'Arizona se voit confier la discussion sur le budget des soins de santé
- 5 Indépendant en société: avez-vous intérêt à constituer une réserve de liquidation?