Avec le covid, des hôpitaux sous perfusion financière
L'Echo s'est plongé pour vous dans les comptes annuels des institutions hospitalières bruxelloises et wallonnes. Et vous dit tout sur leur santé financière, mise à mal par l'épidémie de coronavirus.
Ils s'en seraient certainement bien passés. En 2020, tous les regards étaient braqués sur les hôpitaux, frappés de plein fouet, de mars à avril et d'octobre à novembre, par les deux premières vagues de l'épidémie de coronavirus, menaçant de submerger les digues hospitalières. Le 3 novembre 2020, la Belgique totalisait 7.461 patients hospitalisés pour cause de Covid-19; aux soins intensifs, le pic était atteint quelques jours plus tard, le 9 novembre, avec 1.474 lits occupés – soit plus tellement loin de la limite un peu théorique des 2.000 lits disponibles en Belgique. 2020, c'était l'année où l'on applaudissait le personnel soignant à la fenêtre, à 20 heures.
Assez vite, il est apparu que les dégâts ne seraient pas qu'humains. Et que même s'il paraissait incongru de parler de gros sous alors qu'un virus mettait pays et continents à genoux, cette épidémie risquait de porter un coup fatal aux finances du secteur, déjà en mauvaise posture avant la déferlante du coronavirus.
En 2018 et 2019, L'Echo s'était déjà penché au chevet des finances hospitalières, côté bruxellois et wallon. Et s'y replonge à présent, afin de voir comment celles-ci ont traversé cette première année de pandémie – tout en sachant que 2021 ne s'est pas forcément montrée plus tendre et que bien malin celui qui sait les facéties que 2022 nous réserve. Quelques constats s'imposent.
1. 2020, un cru "normalement mauvais"
Un peu de stabilité dans cette période parsemée de soubresauts. "Les chiffres de l'exercice 2020 sont globalement similaires à ceux de 2019", résume Yves Smeets, directeur général de la Fédération d'institutions de soins Santhea.
Stabilité: le chiffre d'affaires des 37 hôpitaux bruxellois et wallons – ils étaient encore 38 en 2019, mais le Groupe Jolimont et le CHR Mons-Hainaut ont convolé en justes noces, faisant comptes communs à partir d'octobre 2020 – a poursuivi sa hausse tranquille, gagnant 1,22% sur un an. De 9,4 milliards d'euros, il est passé à 9,52 milliards.
C'est du côté du résultat courant (soit le résultat d'exploitation augmenté du financier mais pas de l'exceptionnel) que les choses se corsent. Dans une belle continuité, puisque celui-ci continue à couler, perdant 60% sur un an et 188,02% sur cinq ans. De -22,4 millions en 2019, il plonge à -35,83 millions en 2020. Ce qui explique cette rentabilité grimée de rouge, avec une marge bénéficiaire de -0,38% en 2020 et de -0,14% sur cinq ans. De 2017 à 2020, le secteur a enchaîné quatre années de pertes.
On retrouve donc le slogan que l'on brandit depuis 2018 et notre première analyse en la matière: à Bruxelles et en Wallonie, près d'un hôpital sur deux (48,65%) a clôturé 2020 dans le rouge. Une tendance davantage marquée à Bruxelles (81,82%) qu'en Wallonie (34,62%). Si l'on englobe les cinq dernières années, l'histoire ne varie guère: près d'un hôpital sur deux est dans les choux.
2. Mais une année exceptionnelle en Flandre
D'une manière générale, les 48 hôpitaux généraux flamands s'en sortent un petit peu mieux. Sur ces dix dernières années, ils n'ont jamais terminé une année sous la ligne de flottaison. Sans pour autant rouler des mécaniques: la marge bénéficiaire des cinq dernières années est de 1% – rien de mirobolant non plus. "Que la rentabilité soit à -5%, -3% ou +1%, cela ne change pas fondamentalement, assène Benoît Hallet, directeur général adjoint d'Unessa, la Fédération de l'accueil, de l'accompagnement, de l'aide et des soins aux personnes. Cela reste une situation précaire."
"Que la rentabilité soit à -5%, -3% ou +1%, cela ne change pas fondamentalement. Cela reste une situation précaire."
Surtout que ce score est porté par un cru 2020 qui s'avère financièrement exceptionnel côté flamand. À peine 10,42% des institutions y affichent un résultat courant négatif. En 2020, si le chiffre d'affaires y a progressé d'un raisonnable 2,7% sur un an, le résultat courant effectuait, lui, un bond de 75%. Se fixant à 155,75 millions d'euros, soit le record de la décennie écoulée.
Un pic à manier avec des pincettes, relève-t-on chez Unessa. Parce qu'il dépend notamment de la manière et du degré de prudence avec lesquels les hôpitaux flamands ont répercuté en écritures comptables les aides débloquées par l'État fédéral, sur lesquelles plane encore un fameux doute – on y reviendra.
Autre hypothèse. Il n'est pas non plus impossible que le Covid-19 ait généré moins de reports de soins – et donc, prosaïquement, de facturations – en Flandre. "La structure architecturale hospitalière veut qu'à même nombre de lits, on compte davantage de chambres individuelles en Flandre", relève Aline Hotterbeex, responsable des hôpitaux généraux chez Unessa. Chambre individuelle qui facilite l'isolement des malades.
3. Des maux archiconnus
On l'a dit et redit: la crise du coronavirus est venue s'attaquer à un hôpital belge déjà profondément en crise, frappé par une pénurie de personnel, personnel qui se battait depuis belle lurette pour une revalorisation salariale et l'amélioration de ses conditions de travail. Hôpital qui ne tournait plus rond non plus du fait de son mode de financement à l'acte. Soit un système inflationniste, poussant à la concurrence et à la surconsommation. Autant dire que la réforme promise par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) est attendue, autant de pied ferme qu'au tournant.
"La réforme du mode de financement peut aider, si elle débouche sur un mode de fonctionnement lisible. Et pas sur une usine à gaz. Cela étant, elle ne suffira pas. Si l'enveloppe est trop juste, on va tourner en rond. Une nouvelle répartition ne résoudra pas le problème de sous-financement."
"La réforme peut aider, si elle débouche sur un mode de fonctionnement lisible, estime Yves Smeets. Et pas sur une usine à gaz. Cela étant, elle ne suffira pas." Pour Santhea, le budget consacré au secteur est insuffisant. "Si l'enveloppe est trop juste, on va tourner en rond. Une nouvelle répartition ne résoudra pas le problème de sous-financement."
Exemples à la clef. "Les hôpitaux sont dans l'obligation de disposer d'un 'data protection officer', un poste qui n'est pas financé. Même chose avec le conseiller en sécurité de l'information. Pas de financement non plus pour la mise en conformité avec les normes en matière de cybersécurité. Si l'enveloppe n'est pas renflouée, on va rester avec des trous."
4. La béquille des aides covid
S'arrêter aux bilans et comptes de résultat 2020 déboucherait toutefois sur une analyse lacunaire. Parce qu'en 2020, les pouvoirs publics ont ouvert les cordons de la bourse afin de venir en aide aux hôpitaux et de leur éviter de se trouver à court de trésorerie. L'État fédéral a ainsi débloqué 2 milliards d'euros, versés en trois tranches via le SPF Santé publique. L'étage régional a, lui aussi, participé à l'effort de guerre, via la Commission communautaire commune (Cocom) à Bruxelles (10 millions) et l'Agence pour une vie de qualité (Aviq) en Wallonie (56,55 millions).
Pourquoi? Parce que l'épidémie menaçait de saccager les finances hospitalières. La mécanique est implacable. Achat de matériel, formation du personnel, réorganisation des flux au sein des institutions: voilà, d'un côté, des coûts qui s'emballent. Tandis que, de l'autre, les recettes dégustent. Avec le report de soins, ce sont les consultations, les actes médico-techniques ou l'activité des blocs opératoires qui plongent, remplacés par des patients covid nécessitant plus d'attention et générant moins de recettes.
De ces 2 milliards d'aide fédérale, les hôpitaux bruxellois et wallons ont perçu environ 893,3 millions d'euros. Dont ils estiment déjà, prudents, devoir retourner quelque 287,7 millions d'ici à 2023, lorsque l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (Inami) tentera de solder les comptes du déluge covidien. Ce qui laisse un solde de 607,1 millions.
À quoi s'ajoutent 66,55 millions de soutien régional. Sans ces aides, les comptes 2020 auraient plus triste mine encore. À quel point? Difficile à dire à ce stade.
5. Des comptes 2020 dopés à l'incertitude
Cela étant dit, la mine qu'ils tirent est loin d'être figée. C'est-à-dire? "Les comptes 2020 sont entachés de questionnements", précise Yves Smeets. Barbouillés d'incertitude.
Prenons cette avance de 2 milliards. Dans un premier temps, il a fallu la considérer comme telle et la classer parmi les dettes à long terme. Puis est intervenu un premier décompte provisoire dressé par l'Inami, portant sur le premier semestre 2020. Décompte contesté de toutes parts. "Il y a des sous-estimations dans les calculs", pointe Isabelle Degand, directrice du CHU de Liège. Et du fait d'un décalage entre la réalité hospitalière et la comptabilité des mutualités, "il ne couvre pas la totalité du premier semestre", ajoute Edith Azoury, directrice financière du Grand hôpital de Charleroi.
"Il aurait fallu prendre des mesures il y a des semaines. Cette quatrième vague est violente et les hôpitaux vont devoir commencer à poser des choix médicaux."
En attendant, afin de pouvoir boucler leurs comptes 2020, les institutions hospitalières ont dû procéder à des estimations afin d'approcher du mieux possible le montant qui leur serait effectivement dû, ce que le décompte final de 2023 se chargera de trancher. Enfin, ce n'est qu'à la fin novembre 2021 que le décompte provisoire pour le second semestre du cru 2020 est tombé. Et à en croire les premiers coups de sonde, il souffre des mêmes manquements que son grand frère. Ce qui agace un brin Yves Smeets, regrettant la méfiance des autorités envers les hôpitaux et "'l'inflation administrative", générant des "calculs sans fin".
Mais là n'est pas le principal souci, balaie Aline Hotterbeex. Si l'on excepte toutefois la situation sanitaire, menaçant de faire craquer les coutures hospitalières. "Il aurait fallu prendre des mesures il y a des semaines, fulmine Benoît Hallet. Cette quatrième vague est violente et les hôpitaux vont devoir commencer à poser des choix médicaux."
"Cette fois, l'État ne peut plus se permettre de n'accorder qu'une compensation dérisoire aux médecins pour les honoraires perdus."
Le principal souci, d'un point de vue financier donc, c'est l'inconnu dans lequel les hôpitaux progressent depuis septembre. Jusque-là, des arrêtés royaux successifs dessinaient les critères de l'intervention exceptionnelle fédérale. Autrement dit, même si les 2 milliards déjà versés finiront bien par ne plus suffire, au moins les règles du jeu étaient-elles établies. "Depuis septembre, plus rien, déplore Aline Hotterbeex. Voilà l'urgence. Et, cette fois, l'État ne peut plus se permettre de n'accorder qu'une compensation dérisoire aux médecins pour les honoraires perdus." C'est qu'ils ont déjà trinqué, insiste Benoît Hallet. "Cela va trop loin."
Au risque de nous répéter. Centrale des bilans, rapports de gestion ou d'activité:
les bilans et comptes 2020 de 37 hôpitaux généraux à Bruxelles et
en Wallonie – dont certains comptent plusieurs implantations – ont été passés
à la moulinette. En ce compris les quatre hôpitaux universitaires. Les hôpitaux psychiatriques et spécialisés ont été écartés.
Attention, même s'ils sont minoritaires, certains hôpitaux, qu'ils dépendent ou
non d'une intercommunale, ont développé des activités autres qu'hospitalières. Généralement, des maisons de soins pour personnes âgées, des centres de soins psychologiques ou encore des crèches.
Chaque fois que cela a été possible, nous avons séparé les données de l'activité hospitalière afin de ne pas comparer des pommes et des poires. Cela n'a toutefois pas toujours été réalisable – nous l'indiquons alors clairement dans notre outil interactif. Rien de dramatique non plus en termes de données, l'hospitalier constituant systématiquement le «gros morceau» pour ces structures un brin hybrides. Et de très loin.
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