"La taxation des comptes-titres, c'est un cache-sexe" (Marcourt)
- Contre les flexi-jobs
- La trahison de Lutgen
- Les indépendants & PME
Il restait discret depuis longtemps. Jean-Claude Marcourt, l’ancien ministre wallon de l’Economie, un des chefs de file du PS liégeois, se livre à L’Echo. "Maintenant, il faut trois jobs pour avoir un salaire décent." On lui parle de la taxation des comptes-titres. "Mais c’est un cache-sexe! Tout le monde cherche aujourd’hui à l’éviter et les grosses fortunes vont y parvenir, et ce sont ceux de la classe moyenne supérieure qui vont le payer."
"Avant, en fait, c’était les Flamands qui utilisaient le climat social pour dire aux investisseurs de ne pas venir en Wallonie, aujourd’hui, paradoxalement, c’est le gouvernement qui se tire une balle dans le pied."
Je vais bien, ne t’en fais pas. On a beaucoup glosé, on a beaucoup parlé sur ce qu’il devenait, sur ce qu’il ressentait. On le disait abattu, chagrin, nostalgique. Pensez-donc: 13 années avec en mains les leviers de l’économie wallonne et puis, au soir d’un 19 juin, plus rien. Ou plutôt, si, lui, le régionaliste wallon par excellence, le voilà qui reste avec les seules commandes de l’enseignement supérieur, une compétence francophone. La vie politique et ses paradoxes.
Mais il est là et bien là, Jean-Claude Marcourt, ce jeudi après-midi, assis à la table de son bureau, à deux pas du rond-point Louise. Et il dit: "ça va très bien." On lève un sourcil. "Si, si, ça va vraiment très bien. De quoi voulez-vous parler?"
Il a parlé avec cet air faussement débonnaire qu’on lui connaît depuis des années, et on se dit qu’il va effectivement plutôt bien.
Et on met une pièce dans le juke-box (liégeois).
Il y a cet épisode, révélé cette semaine, du géant allemand Zalando qui ne viendra finalement pas s’installer du côté de Dour, en Wallonie, privilégiant les Pays-Bas pour y établir un centre logistique. Il dit: "Je suis étonné par les arguments qui sont utilisés pour expliquer cet échec. Je suis très étonné de voir le bourgmestre en titre de Dour, Carlo Di Antonio, sortir aussi vite dans la presse. On a l’impression qu’il avait fait des promesses à sa population et qu’il se retrouve Gros-Jean comme devant. En fait, on sent à travers cette affaire qu’il n’y a aucune confiance entre les deux ailes de la majorité wallonne. Le bourgmestre de Dour sort dans le dos du ministre de l’Economie… En treize ans de département, je n’ai jamais entendu que le climat social empêchait des investissements en Wallonie. J’ai fait venir Johnson & Johnson à Courcelles, on a travaillé avec TNT et Fedex, avec énormément de gens. On leur explique la situation qui, parfois, c’est vrai, est compliquée. Mais évoquer, comme ils le font, le mauvais climat social, c’est un argument politique qui est totalement contraire à la réalité. Avant, en fait, c’était les Flamands qui utilisaient le climat social pour dire aux investisseurs de ne pas venir en Wallonie, aujourd’hui, paradoxalement, c’est le gouvernement qui se tire une balle dans le pied. Il y a une guéguerre au sein de la majorité pour faire porter sur l’autre la raison de cet échec."
Contre les flexi-jobs
On lui met sous le nez la concurrence déloyale exercée entre autres depuis les Pays-Bas, les travailleurs à prix cassés venus de l’est. "Je suis celui qui a le plus combattu la directive Bolkestein et aujourd’hui, je salue qu’ils se battent contre cette dérégulation exacerbée que constituent les travailleurs détachés. On doit mettre fin à cela. Mais au-delà de ça, finalement, je pense qu’il y a un manque d’ambition du gouvernement fédéral qui se refuse à parler avec les interlocuteurs sociaux."
La couleur est donnée, c’est le rouge. Il poursuit: "La concertation sociale, c’est quelque chose qui a été mis à la poubelle depuis 2014. Je ne suis pas pour leurs flexi-jobs. Regardez les choses en face. Quand vous entendez aujourd’hui Charles Michel parler de jobs, jobs, jobs, c’est parce que les gens doivent avoir trois emplois pour avoir un salaire décent."Sacrée punchline.
"La FEB ne s’en cache pas, poursuit Jean-Claude Marcourt: ‘quand il n’y a pas d’accord entre partenaires sociaux, on sait que le gouvernement soutiendra notre thèse’. Ce qui veut bien dire que le gouvernement n’est pas impartial. Avant, on négociait avec Luc Coene, Luc Vansteenkiste qui était patron des patrons, et Kris Peeters, patron des Classes moyennes, et on faisait des accords. Sous l’ère Verhofstadt, avec un Premier ministre libéral, on bouclait de vrais accords et le gouvernement était impartial. Ici, on donne l’impression que les syndicats ne sont là que pour ennuyer le monde. On démantèle la concertation sociale, on s’étonne qu’il y a des mouvements sociaux et que cela effraye les investisseurs. Reprenons ce modèle social, reprenons la concertation, celle que défend même Angela Merkel. Et je ne pense pas que l’Allemagne se porte mal."
Droite décomplexée
L’air du temps, observe Jean-Claude Marcourt, est à l’antisyndicalisme. "Il faut écouter la souffrance des travailleurs quand on fait des restructurations, il faut dialoguer avec eux, ce n’est pas toujours facile. La concertation sociale, ce n’est pas être l’otage des syndicats. Parfois, il faut savoir leur dire non, c’est ce que j’ai souvent fait. Mais il faut un dialogue. Aujourd’hui, il y a un déficit d’implication des gouvernements wallon et fédéral à ce propos. Il y a ce cadre général qui est de taper sur les syndicats. C’est une ineptie absolue."
"Je n’ai jamais été quelqu’un qui favorise la grève mais quand on provoque les gens comme on le fait aujourd’hui, dans les pensions, dans les soins de santé, dans la flexibilité, on ne doit pas s’étonner d’avoir des réactions."
On lui demande si, quand même, la FGTB ne pousse pas le bouchon fort loin. "Je n’ai jamais été quelqu’un qui favorise la grève mais quand on provoque les gens comme on le fait aujourd’hui, dans les pensions, dans les soins de santé, dans la flexibilité, on ne doit pas s’étonner d’avoir des réactions."
Il marque une pause. "On est dans une droite décomplexée, bien loin du centre droit. De la Justice à l’asile, c’est de la droite dure. La Justice est réservée à ceux qui ont de l’argent. Et sur le socio-économique, on fait moins bien que tous les pays européens en termes de croissance." Nouvelle courte pause.
300.000 emplois créés, selon la Banque nationale, c’est quand même un solide track-record. Il balaye d’un revers de la main: "Mais bien avant l’arrivée de Charles Michel, on a fait tomber le taux de chômage en Wallonie! Et c’est avec des vrais emplois. Entre 2011 et 2014, on a fait un meilleur travail, comparable aux autres pays européens, qu’entre 2014 et 2017. Maintenant, on fait des cadeaux non productifs à ceux qui n’en ont pas besoin. Regardez le mépris de ce gouvernement fédéral pour les classes moyennes et les PME, c’est hallucinant!"
Indépendants et classes moyennes
Et il ajoute: "Ce gouvernement abandonne les classes moyennes. On a aujourd’hui une forme de prolétariat des indépendants, qui ne vivent pas bien de leur commerce et qui, quand ils arrêtent, ont une mauvaise pension. On doit davantage protéger ces gens qui lancent des entreprises. On doit accepter l’échec, on doit accepter le succès. En Belgique, on n’accepte ni l’un ni l’autre."
Il y a eu du boulot abattu pour les indépendants, les pensions et les cotisations sociales notamment, par cet exécutif. Il admet. Et il dit: "Mais si on donne un subside de l’Etat pour la pension des indépendants, pourquoi pas pour celle des salariés? Faisons-le pour tout le monde. Les pensions, elles dépendent du taux d’emploi. Il faut des choix politiques. Ici, on tape dans la Sécurité sociale, on réduit les dépenses et on fait passer syndicats et mutuelles pour les causes du problème."
On le lance sur la politique fiscale: les comptes-titres à 500.000 euros taxés. "Mais c’est un cache-sexe! Tout le monde cherche aujourd’hui à l’éviter et les grosses fortunes vont y parvenir, et ce sont ceux de la classe moyenne supérieure qui vont le payer."
→ Lisez aussi Premier recours contre la taxation des comptes-titres
Et en Wallonie, docteur Marcourt, quel est donc le diagnostic? "On souffre toujours d’un taux d chômage excessif, il se rétracte mais je suis persuadé que pour aller plus loin, il faut réformer l’enseignement. On a 15% des jeunes qui sortent de l’école sans diplôme, ce sont eux qui viennent gonfler les problèmes. On a des entreprises qui pleurent pour avoir du personnel qualifié et on laisse sortir nos jeunes de l’enseignement sans qualification. C’est ça le problème majeur de la Wallonie. Globalement, on va mieux mais on doit traiter ce problème-là." Et il fait une allusion au propos durs de Jeholet à ce sujet: "Il ne suffit pas de dire, je vais leur mettre un coup de pied aux fesses pour qu’ils trouvent un emploi, c’est beaucoup plus compliqué que cela."
Régionaliser l’enseignement
"Quand on peut aligner la formation professionnelle, l’enseignement, les outils économiques, les liens avec les entreprises et les associations et que l’école est prise comme un enseignement émancipateur et pas utilitariste, je crois que la régionalisation est une bonne chose."
Là, on emmène Jean-Claude Marcourt en promenade sur un de ses terrains favoris: le régionalisme wallon. "Je crois qu’une politique intégrée de la Wallonie qui inclurait l’enseignement serait bien plus performante que la division actuelle entre Communautés et Régions. Et je crois que tous ceux qui touchent de près la réalité économique du terrain partagent ce sentiment. Alors, ce n’est pas à la mode, parce qu’on dit, c’est de la division, c’est le repli sur soi de la Wallonie, je conteste cela. Le vrai problème, la vraie difficulté, c’est la gestion de l’enseignement à Bruxelles, mais assumons de dire qu’il y a une difficulté plutôt que de se mettre la tête dans le sable. C’est très clair: quand on peut aligner la formation professionnelle, l’enseignement, les outils économiques, les liens avec les entreprises et les associations et que l’école est prise comme un enseignement émancipateur et pas utilitariste, je crois que la régionalisation est une bonne chose."
Y a-t-il une filiation entre la politique de la coalition actuelle en Wallonie et la politique menée durant treize ans. "La vérité, c’est que je n’ai pas encore vu grand-chose depuis qu’ils sont arrivés le 28 juillet dernier. Globalement, que ce soit sur les pôles de compétitivité ou la recherche, on n’a rien vu de radical. Mon souhait, évidemment, c’est qu’ils amplifient ce qu’on avait initié car la stabilité est la clé pour les entreprises, qu’on mette en œuvre davantage de dialogue social."
Cosmétique: "Si on continue la politique du plan Marshall mais qu’on change le nom, l’important c’est le contenu pas le contenant. Mais si la volonté est d’en revenir à une politique économique du XXe siècle, ce sera dommage."
La trahison de Lutgen
On lui demande ce que le Parti socialiste changerait s’il revenait aux affaires en Wallonie en 2019… "On avait mis sur la table une réforme fiscale avec suppression de la téléredevance, on voulait dynamiser nos grosses PME, on voulait faire croître les champions wallons. Egalement développer des écosystèmes plus performants. Il faut une vraie politique cohérente en matière d’aménagement du territoire et que ce soit avec Ecolo ou avec le cdH, nous n’y sommes pas parvenus. Une politique des villes, également."
Il redit un mot de Benoît Lutgen et de son appel du 19 juin dernier. "C’était d’abord une vraie trahison. C’est la réalité, on vit avec. C’est comme ça, on ne pleure pas sur le lait répandu, mais c’est comme cela." Une occasion, disent certains, que le PS se régénère dans l’opposition. "Le travail est très bon sur le chantier des idées, on doit continuer à retourner vers nos militants. Le populisme, ça doit nous faire réfléchir sur notre message. C’est ce que nous voulons définir pour les élections à venir."
On lui demande si finalement, il ne serait pas social-démocrate. "Je suis socialiste. La social-démocratie a été affectée par des gens comme Matteo Renzi, Gerhard Schröder ou Tony Blair. Même par François Hollande. Donc, nous sommes socialistes, notre projet est une gauche démocratique qui veut transformer la société pour améliorer le niveau de vie de la population. On veut réformer le système capitaliste qu’on ne peut pas accepter comme tel. On veut une alternative au capitalisme, mais on doit aussi avoir la lucidité de reconnaître qu’aujourd’hui, le rapport de force ne joue pas en notre faveur."
Philippe Close revendique de s’asseoir à la table des patrons. "J’ai vécu pendant treize ans avec les entreprises, je les connais. Les entrepreneurs, ce ne sont pas des personnes qui ont comme objectif l’accaparement, c’est un projet de vie, il faut permettre à tout le monde de créer son entreprise. Je n’ai jamais traité personne en ennemi si cette personne aide la Wallonie a se développer."
Défense de Liège
Et voilà le moment liégeois. "On a vécu une année difficile en 2017 à Liège." C’est un euphémisme. "Je pense qu’on va s’en sortir, qu’on va montrer notre projet et que les Liégeois vont y être sensibles. Mon projet, c’est de faire en sorte que Liège retrouve son rôle de métropole. Liège a été attaquée. Nous sommes une ville, la plus grande agglomération de Wallonie, avec des différences et des particularités et je veux faire en sorte que partout, quartier par quartier, la vie des gens soit améliorée."
"Ce sont ceux qui jugent sévèrement Nethys qui ont vendu leur câble il y a dix ans pour toucher de l’argent."
Et puis, ladies and gentlemen, quid de Nethys et Publifin? "Je constate que la volonté du gouvernement est de scinder Resa de Nethys. Mon souhait est que Resa reste attaché à Publifin et ne sorte pas totalement de cette orbite. On doit rester attachés à une initiative industrielle publique. Ce sont ceux qui jugent sévèrement Nethys qui ont vendu leur câble il y a dix ans pour toucher de l’argent. Ce serait bien, de temps en temps, que ces intercommunales qui ont vendu l’ex-Coditel nous disent ce qu’ils ont fait de l’argent."
Il poursuit: "L’erreur a été de faire passer Liège pour la victime d’un grand complot, mais il y a aussi eu, chez certains, la volonté de démanteler le pouvoir public et ses projets, même si ceux-ci génèrent de l’emploi et de l’activité."
Et la fusion entre Resa et Ores? "Personne n’a encore réussi à me montrer que cela aurait un intérêt pour Resa. Prouvez-nous que les citoyens desservis par Resa auront un avantage de tarif, que les travailleurs de Resa seront préservés et que l’intérêt des communes liégeoises et de la province seront préservés. Si on n’atteint pas ces trois critères, alors il ne faut pas de ce rapprochement."
Le mot de la fin sur Stéphane Moreau. "J’ai beaucoup apprécié la remarque de Christine Defraigne: je pense que les choses devront évoluer mais aujourd’hui, Stéphane Moreau n’est vraiment pas le problème."
En vous souhaitant un bon week-end.
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