Publicité
plan large

En Allemagne, l'extrême droite bouleverse le paysage politique

Björn Höcke, membre de l'Alternative für Deutschland (AfD) à la sortie des urnes en Thuringe, à Erfurt, en Allemagne, le 1ᵉʳ septembre 2024. ©REUTERS

Le parti d’extrême droite AfD est le vainqueur des élections régionales de dimanche en Thuringe, et arrive juste derrière les chrétiens-démocrates en Saxe. Dans ces deux régions, extrême droite et extrême gauche ont séduit près d’un électeur sur deux. À un an des prochaines législatives, la coalition d’Olaf Scholz recule dans ces deux régions.

La victoire historique du parti d’extrême droite AfD en Thuringe (32,8% des voix) a fait l’effet d’un séisme politique. Le leader du parti dans ce Land, Björn Höcke a réussi son pari: obtenir au Parlement régional d’Erfurt une minorité de blocage avec 32 sièges. En Saxe voisine, le ministre-président sortant, le chrétien-démocrate Michael Kretschmer, conserve de justesse son poste (31,9%). Mais son parti est talonné par l’AfD (30,6%).

Dans les deux régions, on assiste, par ailleurs, à la percée spectaculaire d’une start-up de la politique, le mouvement populiste de gauche BSW (pour Alliance Sahra Wagenknecht, le nom de la leader du mouvement) qui a obtenu 15,8% des voix en Thuringe et 11,8% en Saxe. Lancé en début d’année, le mouvement a le potentiel d’enterrer le parti communiste hérité de la RDA, die Linke, à l’est du pays, mais aussi dans les anciens bastions ouvriers de l’ouest de l’Allemagne. BSW défend un programme généreux sur le plan social, mais proche de celui de l’AfD sur l’immigration, dénonçant les livraisons d’armes à l’Ukraine et les sanctions à l’égard de la Russie de Poutine.

Publicité

Face à ce raz de marée des extrêmes, les partis de la coalition d’Olaf Scholz à Berlin (SPD, Verts et Libéraux) sont laminés. À eux trois, ils n’ont obtenu qu’entre 10 et 12% des voix dans les deux régions. Selon les sondages à la sortie des urnes, 80% des électeurs ont voulu sanctionner la coalition avec leur bulletin de vote. "On peut déjà s’attendre à ce que les conflits au sein de la coalition se durcissent", estime le politologue Wolfgang Schröder. "Les élections législatives auront lieu dans un an, chaque parti va chercher à se profiler, accusant les autres d’être responsables de leur défaite collective. Pourtant, le gouvernement à Berlin ne va pas sauter." Aucun des trois partis n’a intérêt à quitter le navire dans le climat actuel.

"L'arrivée des partis populistes rendrait le pays instable, et pourrait inciter les investisseurs étrangers à se retirer."

Sebastian Dullien
Directeur de l’institut IMK

Casse-tête

Les partis traditionnels ayant tous exclu de s’allier avec l’AfD, les chrétiens-démocrates de la CDU seront contraints de négocier une alliance contre-nature – en Saxe comme en Thuringe – avec le BSW et ce qu’il reste du SPD. Le mouvement BSW entend bien monnayer sa participation au prix fort. "Il n’y aura pas d’alliance avec nous si la CDU continue de soutenir les livraisons d’armes à l’Ukraine et le stationnement de matériel militaire de l’Otan sur le sol allemand", insiste la tête de file de BSW en Thuringe, Katja Wolf, présentant des exigences bien éloignées de la politique régionale et des compétences du Land.

Publicité

"La programmatique des partis populistes aurait des conséquences très néfastes en Allemagne, s’ils parvenaient à exercer une influence sur le gouvernement fédéral", estime Sebastian Dullien, directeur de l’institut IMK. "Cela rendrait le pays instable, et pourrait inciter les investisseurs étrangers à se retirer."

Publicité

Déjà, l’extrême droite domine le débat politique en Allemagne. La semaine dernière, le gouvernement présentait en urgence un plan durcissant les lois migratoires et relançait les expulsions de criminels déboutés du droit d’asile vers l’Afghanistan, pour la première fois depuis l’arrivée des talibans au pouvoir en 2021.

CONSEIL

Les principales infos de la journée en un coup d’œil.

Recevez maintenant L’actu du jour de L’Echo.

Envoi quotidien (lu.-ve.) par e-mail - Désinscription en un seul clic

Menace pour les affaires

Les élections se sont déroulées dans les deux régions dans un climat délétère, inquiétant pour les milieux d’affaires. Les meetings de l’AfD ou du BSW n’ont pu se dérouler que sous protection policière. Lors d’une rencontre avec la base, Sahra Wagenknecht a subi une agression à la peinture, la semaine dernière. Samedi, pour les meetings de clôture de la campagne, la police a dû user des canons à eau pour séparer les sympathisants de l’AfD d’une contre-manifestation d’extrême gauche. "Le succès de l’AfD, mais aussi le bon score du BSW auront des conséquences économiques et sociales", estime Marcel Fratzscher, le président de l’institut DIW de Berlin, inquiet de la dégradation du climat politique en Allemagne. "L’AfD incarne une politique néolibérale extrême, favorable au protectionnisme et à l’isolement face à l’Union européenne, opposée à l’arrivée de main d’œuvre étrangère, contre l’ouverture sur le monde et la diversité. Cela risque d’affaiblir les économies de la Thuringe et de la Saxe. Le succès de l’AfD dimanche – même si la CDU parvient à former des coalitions sans participation de l’extrême droite – influencera la politique de ces gouvernements dans le domaine économique, sur le plan social et de l’immigration. Il est probable que des managers et des entreprises quittent la région. Surtout les jeunes, les mieux formés et motivés risquent de partir, ce qui pourrait entraîner une vague de faillites et d’exode d’entreprises."

Björn Höcke

Il n’a manqué que 1.075 voix à Björn Höcke pour obtenir un mandat direct dans sa circonscription de Greiz dans le sud-est de la Thuringe. Le mandat direct (50% +1 voix dans une circonscription), c’est la cerise sur le gâteau d’une carrière politique en Allemagne. Son rival chrétien-démocrate l’a finalement emporté à l’arraché. Höcke siègera tout de même dans le Parlement régional d’Erfurt, par le biais de la répartition des sièges dans l’ordre d’inscription sur les listes électorales. Pour l’ancien professeur d’histoire et de sports, originaire de l’ouest du pays, c’est la seule ombre au tableau de la soirée électorale de dimanche. Björn Höcke s’est présenté peu après la fermeture des urnes aux chaînes de télévision, visiblement nerveux, et réclamant le pouvoir.

Björn Höcke.
Björn Höcke. ©REUTERS

Condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine, Höcke est le représentant de l’aile la plus radicale de son parti, mise "sous surveillance" par l’Office fédéral de protection de la Constitution, le service chargé des renseignements intérieurs.  Depuis une décision de justice, il est expressément permis de le traiter de "fasciste". Figure polarisante, y compris en interne, il a survécu à plusieurs tentatives d’exclusions, qui se sont achevées par le départ de ses rivaux, adeptes d’une ligne plus modérée. Selon des repentis, son influence en interne serait toutefois plus limitée que son aura au-delà de l’AfD.

Publicité

La stratégie du mur pare-feu suivie par la totalité des partis traditionnels ne permettra sans doute pas à Björn Höcke d’arriver à ses fins. Mais en Thuringe (comme en Saxe, où l’AfD rate de peu la minorité de blocage), un parti détenant plus d’un tiers des élus peut bloquer l’adoption de certaines lois, empêcher la dissolution du Parlement (si les élus souhaitaient procéder à de nouvelles élections après avoir constaté l’impossibilité de former une majorité stable par exemple), et bloquer l’élection des juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour des Comptes régionales. Surtout, l’AfD sera en Thuringe dans la position de bloquer l’élection du président de l’Assemblée, sans laquelle ne peut débuter le travail parlementaire. Dans le pire des scénarios, Höcke pourrait même finalement être nommé ministre-président – sans majorité – si le reste du camp politique n’était parvenu à élire un chef de l’exécutif régional au troisième tour de scrutin.

Le mur pare-feu autour de l'extrême droite tient toujours en Allemagne, mais pour combien de temps encore? Déjà au niveau local, ce mur se craquelle de plus en plus souvent.

Publicité
Le gouvernement Arizona de Bart De Wever a trouvé un accord sur une série de réformes socio-économiques portant sur la fiscalité, les pensions et le marché du travail.
L'accord de Pâques sous la loupe: du "très bon" et du "très mauvais"
Certaines mesures de l'accord conclu vendredi soir par l'Arizona risquent d'avoir des conséquences problématiques. Les économistes Étienne de Callataÿ et Philippe Defeyt livrent leur avis sur ce premier gros travail de Bart De Wever et son équipe.
Messages sponsorisés