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Henry Paulson, le tueur officiel

©Bloomberg

Vendredi 12 septembre 2008, 15 heures. Henry Paulson trépigne dans son avion. Le secrétaire au Trésor a décollé dans l’urgence de Washington. Si vite qu’il a dû louer un appareil en dernière minute. Direction les bureaux de la Réserve fédérale de New York. Tim Geithner, le président du bras financier de la Fed, l’attend avec une certaine impatience.

La situation devient si explosive avec Lehman qu’il faut agir. Et vite. Toute la journée, Paulson a eu des contacts téléphoniques avec Ken Lewis de Bank of America et Bob Diamond de Barclays. Les deux hommes sont prêts à étudier un rachat de Lehman. Mais le parcours ressemble à un saut d’obstacles. Sans ligne d’arrivée à l’horizon. Geithner a contacté, pour une réunion, les patrons des banques de Wall Street et leurs lieutenants. Les "maîtres de l’univers", comme on les appelle. Des personnalités à l’agenda aussi chargé qu’un bottin de téléphone. Mais Paulson sait qu’ils seront tous là. Car ils ont trop à perdre si une solution ne surgit pas de quelque part.

Atterrissage à New York deux heures plus tard. Le taxi les débarque, lui et son équipe, au 33, Liberty Street, devant l’immense forteresse de briques et de barreaux de la Fed de New York. L’ironie veut que les dix-sept étages du bâtiment recouvrent la plus importante réserve de lingots d’or au monde. Et qu’il abrite ce jour-là le dernier espoir d’une banque désargentée. Le ciel plombé arrosait Wall Street d’une douche intense. L’orage d’un de ces étés qui refusent obstinément de mourir. Comme Lehman en quelque sorte. Paulson s’engouffre dans le bâtiment. Au treizième étage, Geithner le salue d’une main, tenant son téléphone de l’autre.

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Entre-temps, un ballet de Lincoln noires et autres shuttles amène la crème des crèmes de Wall Street, pénétrant dans le garage ouvert pour l’occasion sur Maiden Lane, une rue adjacente, dont le joli nom orne aussi le portefeuille d’actifs toxiques de Bear Stearns repris par la Fed quelques mois plus tôt. Les banquiers sont plus tard que prévu. Les orages ont rendu le trafic difficile dans toute la ville.

À 19 heures, Paulson et Geithner prennent l’ascenseur et redescendent au premier. Au bout d’un long couloir orné des portraits de grands hommes de la finance, ils prennent la direction d’une salle de réunion. Là, comme prévu, les "maîtres" de Wall Street les attendent, assis autour d’une longue table, dans un silence ténébreux.

Le secrétaire au Trésor n’a qu’un plan en tête: enfermer littéralement ces gros bonnets dans la salle. Le temps qu’il faudra. Jusqu’à ce qu’ils sauvent Lehman. Et cette fois, sans qu’ils touchent au portefeuille des contribuables. 30 milliards pour sauver Bear Stearns en mars, 200 milliards pour Fannie Mae et Freddie Mac début septembre. Il faut que cela cesse. Lehman n’aura pas la même clémence que les autres. Paulson ne l’a jamais dit publiquement. Mais les rumeurs ont bruissé dans la presse. Des rumeurs savamment orchestrées la veille… par Paulson lui-même. De quoi "mettre suffisamment de pression" sur les "maîtres de l’univers", a-t-il fait valoir à son service de communication. Pour qu’ils trouvent une solution. Et vite.

Coupable, mais de quoi? Le gouvernement Bush et son secrétaire au Trésor, Henry Paulson, ont laissé tomber Lehman Brothers. C'est un fait indiscutable. Ce qui l'est moins, c'est la responsabilité de cette décision sur les conséquences qui ont suivi la chute de la banque d'investissement. On a beaucoup glosé sur les conflits d'intérêt existant entre Paulson et son ancienne firme Goldman Sachs. Ce qui est sûr, c'est que Paulson a savamment organisé la couverture des contreparties exposées directement à l'effondrement de Lehman. Pas moins de 7.000 milliards de dollars de contrats d'assurance CDS ("credit-default swaps") étaient liés à Lehman, en qualité de vendeur ou d'acheteur. Un nœud entremêlé qui risquait d'entraîner la finance internationale dans le maelström. Ce risque a été évacué grâce aux intenses réunions du fameux week-end entre spécialistes des différentes banques impliquées. Ce que Paulson n'a pas empêché ou peut-être même, n'a pas prévu, c'est la débâcle financière qui a suivi. Une institution aussi importante que Lehman tombe, et c'est n'importe quelle banque qui peut basculer. La crise a créé le concept de "too big to fail". Lehman l'a anéanti brutalement. Du coup, toutes les banques déjà fragilisées seront clouées au pilori. Chez nous, Fortis et Dexia ont vu en quelques heures leurs contreparties financières geler toute relation. Aujourd'hui, Paulson et son partenaire à la Fed de New York, Tim Geithner, sont totalement blanchis. Paulson a créé un institut dédié aux relations internationales. Geithner a succédé à Paulson auTrésor. Il a même, un temps, été pressenti pour devenir président de la Réserve fédérale.

Coupable, mais de quoi?

Le gouvernement Bush et son secrétaire au Trésor, Henry Paulson, ont laissé tomber Lehman Brothers. C'est un fait indiscutable. Ce qui l'est moins, c'est la responsabilité de cette décision sur les conséquences qui ont suivi la chute de la banque d'investissement. On a beaucoup glosé sur les conflits d'intérêt existant entre Paulson et son ancienne firme Goldman Sachs. Ce qui est sûr, c'est que Paulson a savamment organisé la couverture des contreparties exposées directement à l'effondrement de Lehman. Pas moins de 7.000 milliards de dollars de contrats d'assurance CDS ("credit-default swaps") étaient liés à Lehman, en qualité de vendeur ou d'acheteur. Un nœud entremêlé qui risquait d'entraîner la finance internationale dans le maelström. Ce risque a été évacué grâce aux intenses réunions du fameux week-end entre spécialistes des différentes banques impliquées.

Ce que Paulson n'a pas empêché ou peut-être même, n'a pas prévu, c'est la débâcle financière qui a suivi. Une institution aussi importante que Lehman tombe, et c'est n'importe quelle banque qui peut basculer. La crise a créé le concept de "too big to fail". Lehman l'a anéanti brutalement. Du coup, toutes les banques déjà fragilisées seront clouées au pilori. Chez nous, Fortis et Dexia ont vu en quelques heures leurs contreparties financières geler toute relation.

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Aujourd'hui, Paulson et son partenaire à la Fed de New York, Tim Geithner, sont totalement blanchis. Paulson a créé un institut dédié aux relations internationales. Geithner a succédé à Paulson auTrésor. Il a même, un temps, été pressenti pour devenir président de la Réserve fédérale.

"Ne me dis pas comment je dois gérer ma firme!"

Mais il y a autre chose dans l’esprit de Paulson. Une vieille rancœur, une arrête en travers de la gorge. Lors d’un repas au printemps, quelques mois auparavant, la volonté de faire de Lehman un exemple. Le 11 avril plus précisément. Le Trésor vient d’aider JPMorgan à ramasser les restes de Bear Stearns. La banque d’investissement s’est effondrée sous le poids de son portefeuille subprime. Pour les marchés, Lehman est le prochain sur la liste. Ce 11 avril, en marge d’un sommet du G7 des plus glauques, Paulson a organisé un "outreach dinner" dans une pièce du Trésor avec les patrons de Wall Street. De quoi échanger les points de vue sur la situation. "L’humeur était sombre", se souvient Paulson dans son livre "On the brink". Le plus nerveux de tous, raconte-t-il, c’était Dick Fuld, le patron de Lehman.

Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’en marge du dîner, les deux anciens ennemis se rencontrent en aparté, à la demande de Fuld. Paulson a dirigé Goldman Sachs, le concurrent le plus féroce de Lehman. Pour Fuld, Paulson est plus qu’un secrétaire au Trésor. Il est l’un des leurs. Aussi, la conversation peut être franche. Fuld vente alors sa récente levée de fonds. 4 milliards de dollars, presque sans lever le doigt. À propos, ce n’est pas parce qu’il a des problèmes. Juste pour faire taire les rumeurs.

Paulson sourcille. C’est dans la nature de cet ancien footballer américain d’être direct. Il annonce abruptement: il faut vendre la maison. Tant que c’est encore possible. La Korean Development Bank a montré un intérêt. Il faut aller de l’avant. Fuld se cabre. "Ne me dis pas comment je dois gérer ma firme. Je joue le jeu, mais à mon propre rythme." Paulson prend ces mots comme il avalerait de gros glaçons. Mais ne répond pas. Sa réponse, il la réserve pour plus tard.

Et ce "plus tard", c’est maintenant. En ce 12 septembre, la réunion des grands chefs a commencé. Et Fuld n’est pas là. Il n’a pas été convié. Si on peut sauver Lehman, on le fera. Mais sans lui. Et le Trésor n’avancera pas un billet.

Le week-end sera chaud

Paulson sait, ce vendredi soir, que Lehman n’est plus qu’une loque desséchée. Que JPMorgan l’a saigné à blanc en exigeant 8,6 milliards de dollars en cash pour protéger son exposition. Que lundi, faute d’aide financière, l’établissement vieux de 158 ans finira sa carrière dans un craquement sinistre qui résonnera à travers le monde. Fuld a glissé dans l’oreille de Geithner, quelques heures auparavant: il n’a plus qu’un milliard de dollars.

C’est le cadre, peu amène, que dresse Paulson devant sa prestigieuse audience. Sur le coup, les banquiers accusent le coup. Ils connaissaient les difficultés, mais ne savaient pas la situation aussi grave. Les questions affluent. Quels sont les montants? Quels risques prennent-ils? Les autorités sont-elles prêtes à les aider? Sur ce dernier point, Geithner se veut réconfortant: la Fed considère toutes les options pour amener de la liquidité dans les marchés.

Geithner et Paulson savent en effet qu’un plan est en préparation à la Réserve fédérale. Ils ne l’annonceront que le lendemain: la Fed va se transformer en un véritable prêteur sur gage. Comment? En agrandissant considérablement le registre des actifs que peuvent amener les banques à son guichet en échange de financements. En d’autres termes, toutes les enseignes peuvent puiser dans leur magasin pour recevoir, en échange, de l’argent sonnant et trébuchant. Toutes… sauf Lehman.

Les actifs de la banque d’affaire ne répondent plus aux critères, se défendra plus tard Ben Bernanke, président de la Fed.

Entre-temps, la balle est dans le camp des banques. La cible ne tient plus à rien. JPMorgan a fait trébucher Lehman. La Fed et le Trésor lui ont tiré le tapis sous les pieds. Il faut maintenant rattraper l’animal avant qu’il ne s’écrase à terre. Dans les cartons se précise aussi cet autre scénario: Bank of America ou le Britannique Barclays. Ils ont manifesté un intérêt. Paulson s’active mais n’y croit guère. "Ca ne veut clairement pas dire qu’ils le veulent réellement." Il a une autre idée dans la tête. Il la dévoilera le lendemain. Pour l’heure, les autorités américaines l’ont montré et le montreront encore: elles ne feront plus rien pour éviter la chute brutale. Geithner termine sa présentation. "Revenez demain matin. Et soyez prêt à faire quelque chose."

Paulson s’esquive et rentre à l’hôtel. Il veut aller se coucher tôt. En tant que scientiste chrétien, il ne peut prendre aucun médicament. Mais cette fois, il fait exception, et avale un somnifère. Il sait que le week-end sera chaud.

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