"La Biélorussie avant la révolte, c’était 'Le Silence des agneaux'"
L’Echo a rencontré en Belgique une dissidente biélorusse rescapée des prisons du KGB. Dégoûtée du régime d'Alexandre Loukachenko, elle raconte la violence de la répression.
«Femmes, c’est vous qui tenez entre vos mains le salut du monde», a écrit l’écrivain russe Léon Tolstoï. Cent ans plus tard, en Biélorussie, les femmes écrivent l’histoire. Depuis août, elles abandonnent leurs foyers par milliers et rejoignent les hommes pour réclamer le départ du dernier dictateur d’Europe, Alexandre Loukachenko. Elles sont en première ligne, face à la police et au KGB.
En Belgique aussi, des militants luttent contre le régime liberticide. Certains manifestent. D’autres mènent une cyberlutte, relayent les informations sur la révolte, les images des tortures infligées par la police d’État. Ou sortent de l’anonymat les policiers cagoulés lors de la répression, les membres de l'unité antiémeute OMON, plus cruels, et les agents secrets du KGB, chiens de garde de Loukachenko.
Humiliation et culpabilisation
L’histoire de la cybermilitante Nastia Petrova (c'est un nom d’emprunt) témoigne de l’enfer du régime. Tout commence lors de la présidentielle de 2010. Comme à chaque élection, le KGB fait taire la dissidence.
"Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Le KGB a débarqué dans mon bureau. Ils m’ont emmenée de force devant les collègues et jetée en prison", dit-elle.
"Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Le KGB a débarqué dans mon bureau. Ils m’ont emmené de force devant les collègues et jeté en prison."
Elle vient d’être dénoncée pour avoir critiqué ouvertement le régime. "Je n’ai eu droit à aucun avocat, le seul proposé était trop cher. J'ai pu passer un seul appel à ma famille, après des heures d’interrogatoire brutal", explique-t-elle.
Commence une descente aux enfers. Dans une des pires geôles du pays, l’"Amerikanka", où étaient détenus les espions durant la guerre froide.
"Avant de m’enfermer, ils m’ont déshabillée. C’était une séance d’humiliation", poursuit-elle. "Nous étions plusieurs dans une petite cellule. Il n’y avait pas d’eau chaude ni de sanitaire. La toilette, quand il y en avait, se trouvait dans un espace ouvert, sans hygiène ni intimité. Nous avions droit à une douche par semaine, dont nous étions éjectées par les gardes après quelques instants."
Dans les prisons du KGB, tout est pensé pour humilier et déshumaniser. "Les gardiens nous harcelaient, criaient ‘dépêchez-vous’ toutes les dix minutes et frappaient sur le métal des barreaux avec leurs bâtons."
Elle repense au cauchemar.
"La nuit, la lumière restait allumée, c’était très difficile de dormir. Les gardiens cognaient à la porte", dit-elle. "Le jour, ils inspectaient la pièce et nous punissaient à la moindre saleté. Nous n’avions presque rien à manger. J’ai perdu plusieurs kilos. Le pire, c’est que nous devions payer chaque jour d’emprisonnement par du travail forcé."
"La nuit, la lumière restait allumée, c’était très difficile de dormir. Les gardiens cognaient à la porte."
Soumise à une pression psychologique constante, Nastia Petrova tient bon. Elle est libérée après plusieurs mois. Commence un autre calvaire, dans une société où il est interdit d’évoquer les tortures d’État.
"La Biélorussie avant la révolte, c’était 'Le Silence des agneaux'", résume-t-elle. "Nous ne savions pas si nous avions raison ou pas. Si nous étions coupables ou non. Tout le monde se taisait. Pour ceux qui sortaient de prison, cela tournait en culpabilité toxique. J’ai été réduite au silence." Quelques années après sa libération, elle laisse son pays derrière elle.
Aujourd’hui, les langues se délient. Les Biélorusses se battent. La révolte a commencé par les classes moyennes, souvent employés dans des sociétés internationales. Les femmes au foyer ont suivi. Puis les jeunes. Les plus âgés, voyant qu’on emprisonne leurs proches, ont répliqué, affrontant les coups. Dans le monde, la diaspora s’y est mise.
"Pour ceux qui sortaient de prison, cela tournait en culpabilité toxique. J’ai été réduite au silence."
Trois femmes sont à leur tête, aux côtés d’hommes. Svetlana Tikhanovksaïa, Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova.
Un dictateur psychopathe
Grâce aux réseaux sociaux, Telegram et YouTube, la population a découvert les crimes commis par Loukachenko depuis 26 ans. Sa fortune, estimée à 10 milliards d’euros, selon des documents révélés par Wikileaks, est tirée de ventes d’armes de l’ex-URSS, de sociétés publiques et d’aides versées par l’Europe et la Russie.
Pour réduire son peuple au silence, le dictateur a enfermé les Biélorusses dans un ordre soviétique répressif. Dès son élection en 1994, il a rétabli un pouvoir autoritaire. Sa police et le KGB recourent aux enlèvements et à la torture. Pour éliminer les dissidents, il a créé les escadrons de la mort. Quand cela ne suffit pas, la peine de mort s’applique, d’une balle dans la nuque.
Diagnostiqué par des psychiatres comme atteint de «psychopathie mosaïque», une maladie combinant plusieurs désordres graves, Loukachenko n’est pas tendre avec les femmes. Il les insulte dans ses discours. Les enferme dans ses prisons. Collectionneur de mannequins, accusé de maltraitance par une de ses épouses, il est haï par son peuple.
"Par-dessus tout, ce que nous voulons, ce sont les libertés démocratiques. Et que les gens réalisent qu’en définitive, la politique, c’est nous."
Les femmes sont les premières à vouloir en découdre. Comme en Russie, la Biélorussie est un matriarcat. Ce sont elles qui gèrent l’argent de la famille. Mieux que quiconque, elles ont compris comment leurs vies étaient volées.
Les agnelles sont devenues des louves. Nastia Petrova, et les autres. Héroïnes d’une révolution irréversible.
«Par-dessus tout, ce que nous voulons, ce sont les libertés démocratiques. Et que les gens réalisent qu’en définitive, la politique, c’est nous», conclut-elle.
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