Pourquoi le Hamas attaque-t-il maintenant Israël ?
L'opération lancée par le Hamas sur Israël a surpris les observateurs. Pas tant par sa stratégie que par le timing. Comment expliquer cette nouvelle guerre?
Au troisième jour de la guerre entre Israël et le Hamas, les affrontements contre des activistes palestiniens infiltrés en Israël et les bombardements sur Gaza se sont poursuivis. L'opération surprise lancée samedi matin par le Hamas a déjà causé la mort de centaines de personnes dans les deux camps.
Comment comprendre ce nouvel embrasement? Didier Leroy, chercheur à l'École royale militaire (ERM), et Elena Aoun, professeure à l'UCLouvain, nous éclairent sur les enjeux se situant sur plusieurs niveaux, internes et externes.
"Le Hamas veut clairement que la planète se repositionne sur la question israélo-palestinienne."
Pourquoi le Hamas a-t-il lancé cette attaque?
Cette éruption de violence était attendue, selon Elena Aoun. "L'enfermement, la colonisation, la mise à l'index sont des vecteurs qui expliquent cette explosion de violence. On parlait peu des rébellions quasi quotidiennes face à l'occupation israélienne..."
L'opération permet ainsi au Hamas de remettre la question israélo-palestinienne au cœur de l'actualité. "Ces violences éclipsent la guerre en Ukraine, l'insurrection jihadiste dans le Sahel, les tensions entre les États-Unis et la Chine dans le Pacifique... Le Hamas veut clairement que la planète se repositionne sur la question israélo-palestinienne", commente Didier Leroy.
"La situation paraît désespérée du côté palestinien, avec l'occupation directe de la Cisjordanie et l'occupation indirecte de Gaza, qui connaît un blocus sévère depuis 15 ans. Or, la communauté internationale ignore la situation de ces personnes et les États arabes sont en train de normaliser leur situation avec Israël. Les Palestiniens ont l'impression de tomber dans l'oubli le plus total", explique Elena Aoun.
La stratégie du Hamas, "c'est de sabrer une potentielle accélération de la normalisation des relations d'Israël avec l'Arabie saoudite".
L'opération "Tempête Al-Aqsa" remet aussi en évidence l'esplanade des mosquées, "qui parle au monde musulman, dans la continuité d'une conflictualité qui n'a jamais cessé depuis plusieurs siècles...", rappelle l'expert de l'ERM, qui ajoute encore "la faiblesse actuelle de la société israélienne, illustrée par de nombreuses manifestations", comme facteur causal de l'attaque.
En outre, relève Didier Leroy, cette agression comporte un appel à la population civile — à la population israélo-arabe des villes mixtes en Israël et à celle des territoires de Cisjordanie — pour tenter de saper une autorité encore détenue par des membres du Fatah. "Le Hamas voudrait une mainmise plus évidente sur la région."
Pourquoi maintenant?
"Le caractère surprenant, c'est la temporalité", admet Didier Leroy. "Après la miniguerre de 2021, les experts imaginaient qu'il faudrait trois, quatre, voire cinq ans avant de reconstituer les stocks de projectiles."
"Le timing de cet assaut du Hamas est très particulier. Il y a les 75 ans de la création de l'État d'Israël, en 1948, et la date du 7 octobre, qui marque le début de la guerre du Kippour. C'est doublement symbolique, mais ça n'explique pas le timing de l'assaut surprise", estime encore le chercheur. "Mais actuellement, le Hamas redoute un nouveau chapitre dans les accords d'Abraham. Sa stratégie, c'est de sabrer une potentielle accélération de la normalisation des relations d'Israël avec l'Arabie saoudite."
"Le Hamas ne peut pas libérer la Palestine, il ne peut y avoir de victoire militaire. Mais il veut une victoire symbolique."
"Tout le monde observe le degré d'accélération ou de ralentissement de la normalisation des relations entre Riyad et l'État hébreu", rappelle-t-il. "Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, MBS, n'est pas dans l'optique de normaliser totalement les relations avec Tel-Aviv, ce serait trop dangereux en interne. Mais il y a des signes que la situation évolue dans cette direction, comme la visite officielle en territoire saoudien, ces dernières semaines, de deux ministres israéliens. Un jalon important a été franchi. Cependant, l'Arabie saoudite ne va pas dire qu'elle va signer la paix, ce serait suicidaire."
Que peut y gagner le Hamas?
"C'est une forme de suicide collectif pour le Hamas, qui n'a aucune chance de victoire militaire. Peu de ses hommes partent au combat avec l'espoir de revenir. Et le bilan sera extrêmement lourd du côté palestinien", avance Elena Aoun. "Le Hamas ne peut pas libérer la Palestine, il ne peut y avoir de victoire militaire. Mais il veut une victoire symbolique, qui consiste à tuer des Israéliens sur leur territoire, en montrant de façon sanglante que les Palestiniens ne sont pas d'accord qu'on les oublie."
"Ceux qui imputent la responsabilité à l'Iran masquent les vraies questions, qui portent sur les méfaits de la colonisation."
Qui soutient qui?
Les soutiens respectifs seront l'une des clés de l'avenir de cette guerre.
Le soutien le plus clair de Tsahal, les forces de défense israéliennes, c'est l'acteur étatique américain, même si les relations entre le président Joe Biden et le Premier ministre Benyamin Netanyahou ne sont pas au beau fixe. Ce support se traduit notamment par le déploiement d'un porte-avion par Washington en Méditerranée orientale pour soutenir Israël.
Derrière le Hamas, il y a deux acteurs probants. D'abord l'Iran, qui fournit au Hamas la quasi-totalité de ses armes. L'Iran nie être derrière l'opération du Hamas."Ceux qui imputent la responsabilité à l'Iran masquent les vraies questions, qui portent sur les méfaits de la colonisation. En réalité, l'Iran n'a pas d'intérêt immédiat à réactiver ce conflit", tranche Elena Aoun.
Le Qatar constitue, lui, un soutien politique et financier qui permet au Hamas de payer 50.000 fonctionnaires.
"L'Algérie et l'Irak sont très anti-israéliens. La Syrie aussi, mais a d'autres chats à fouetter actuellement… Le Liban est plus polarisé, avec la moitié de sa population favorable au Hezbollah et l'autre moitié qui s'y oppose", détaille Didier Leroy.
"Certains acteurs arabes ont signé plus ou moins tièdement la paix avec l'État hébreu, ils entretiennent des relations diplomatiques avec lui", précise encore l'expert de l'ERM. L'Égypte a commencé dans les années 70, suivie par la Jordanie dans les années 90. Mais les accords d'Abraham ont brisé l'unité anti-israélienne: les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan parlent à Israël et y ont parfois une ambassade. "Ce sont les Émirats qui entretiennent la relation la plus chaude avec Tel Aviv, puisqu'ils vont jusqu'à la coopération militaire, qui est un indicateur fort. Une posture dont ils pourront difficilement se distancier", juge Didier Leroy.
Pour la suite, le rôle de l'Arabie saoudite, colosse régional, sera primordial.
"Si on assiste à un soulèvement massif des populations locales palestiniennes (...), d'autres acteurs, comme le Hezbollah, pourraient essayer d'en tirer profit pour infliger des dégâts sans précédent dans le cadre du Moyen-Orient."
Comment peut évoluer le conflit?
"Si l'appareil sécuritaire israélien contient la situation à Gaza, on pourrait avoir une stabilisation", estime Didier Leroy. "Mais, si on assiste à un soulèvement massif des populations locales palestiniennes, s'il y a des clashs à Naplouse, Jénine ou Ramallah, d'autres acteurs, comme le Hezbollah, pourraient essayer d'en tirer profit pour infliger des dégâts sans précédent dans le cadre du Moyen-Orient. Dans cette optique, l'Arabie saoudite jouera sans doute la carte de la Palestine, mais les Émirats, mal placés avec leur 'coming out' en faveur d'Israël, appelleront au calme."
Elena Aoun craint aussi le risque de contagion dans la région, notamment par le biais d'acteurs non étatiques de mouvance islamiste...
- Les raisons du déclenchement de l'opération violente du Hamas en Israël sont multiples.
- La situation très difficile des Palestiniens au quotidien, dans l'indifférence quasi générale, constituait un ferment dangereux.
- Mais le rôle joué par l'Arabie saoudite, qui se rapproche progressivement d'Israël, est important.
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