chronique

Surprofits: indécence ou good business?

Journaliste énergie

Les bénéfices exceptionnels dégagés par les grands groupes énergétiques en pleine crise révoltent. Mais la difficulté de mettre en place une taxe des surprofits n'est-elle pas le témoin d'une certaine impuissance?

Ces dernières semaines, ils sont tombés comme autant de baffes à la figure des consommateurs médusés face à l'explosion de leurs factures énergétiques. Les résultats trimestriels et semestriels des grands groupes, pétroliers ou énergétiques au sens large, ont en effet battu tous les records, couronnant leurs bénéficiaires du titre de grands vainqueurs de la crise (et de la guerre).

11,5 milliards de dollars de bénéfice net pour Shell en trois mois, 9,8 pour TotalEnergies ou encore 9,2 pour le Britannique BP. Au total, les majors occidentales auront dégagé près de 50 milliards de bénéfice sur le seul second trimestre. Plus près de nous, l'énergéticien français Engie a enregistré un ebit trimestriel en hausse de 73% par rapport à l'an dernier à 5,3 milliards d'euros. C'est tout bonnement vertigineux.

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Indécent, même, si l'on en croit de nombreux observateurs, responsables et commentateurs, restés impuissants face au jackpot touché par les géants de l'énergie. Mais pour autant, les grands groupes n'ont pas tous sabré le champagne. Certes, certains, comme Total Energies et BP, se lancent dans des vastes programmes de rachats d'action et s'engagent à distribuer des acomptes sur leurs dividendes mais d'autres, comme Engie préfèrent rester prudents et ne relèvent pas leurs prévisions sur l'année. Il faut dire que l'incertitude reste grande quant à l'évolution future des cours (surtout dans le cas du pétrole) et rien ne garantit que la fête durera jusqu'à décembre.

Tirer profit des opportunités

Au premier semestre, de l'incertitude et la volatilité des marchés est née l'opportunité. Dans le cas du gaz, par exemple, où les prix sur les marchés de gros sont toujours extraordinairement élevés, les producteurs ont en réalité "optimisé leurs positions", c'est-à-dire qu'ils ont revendu leurs molécules achetées précédemment avec une plus-value conséquente.

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Ces activités de "trading" des groupes énergétiques avaient déjà permis aux opérateurs de centrales à gaz de réaliser des bénéfices exceptionnels l'an dernier. En Belgique, la Creg avait même conclu de ces résultats "qu'ils découlaient de l'activité normale des producteurs", ceux-ci s'étant adaptés aux conditions de marché. Ici, aucun surprofit – c'est-à-dire des bénéfices réalisés à la suite d'un événement extérieur – n'avait été épinglé par le régulateur.

Au premier semestre, de l'incertitude et la volatilité des marchés est née l'opportunité.

Sauf que depuis, la pression sur le consommateur n'a fait que monter. Et la perspective de taxer les surprofits du nucléaire, du gaz et des renouvelables est devenue le dernier levier à actionner pour des autorités arrivant à court d'imagination. Problème: la notion même de surprofits est difficile à définir dans un système tout à fait libéralisé, où, comme dans tout autre secteur, les acteurs s'efforcent de tirer profit des opportunités et de se protéger des risques. Et n'oublions pas que les grands groupes privés énergétiques n'ont pas pour vocation d'agir dans l'intérêt du consommateur, même si les produits qu'ils commercialisent et les services qu'ils rendent sont essentiels.

Impuissance?

Dès lors, sans doute le constat d'indécence, le sentiment d'injustice et de dégoût sont-ils justifiés. Mais à moins d'affiner la définition d'un surprofit et de briser les contrats juridiques précédemment signés avec les exploitants, il apparaît difficile d'aller au-delà du simple constat d'échec.

Encore une fois, c'est le principe du partage des risques et des bénéfices entre le privé et le public qui semble s'ériger en seule alternative à l'avenir. Mais en attendant, il faudra accepter de contempler l'indécence.

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