Le confinement a déjà rebattu les cartes du marché immobilier
En l'espace d'un an, les critères et comportements des acheteurs (et des locataires) ont profondément changé. Tendance de fond ou ajustements éphémères?
Il aura "suffi" d'une crise sanitaire et de périodes de confinement pour chambouler le marché immobilier. Que s'est-il passé depuis un an? Où en est-on? Quelles sont les perspectives?
La crise sanitaire a perturbé le marché. Les propriétaires sont restés sur la réserve, préférant s’abstenir de vendre dans un contexte marqué par l’incertitude persistante. Selon Aymeric Francqui (Latour & Petit) qui cite des chiffres d’Immoweb pour 4 communes (Waterloo, Woluwe-St-Pierre, Woluwe-St-Lambert et Ixelles) qui enregistrent d'ordinaire une activité intense, sur la période septembre 2020-février 2021, il y a eu 20% de maisons mises en vente en moins que sur la période correspondante de 2019-2020... Cela alors que, du côté des candidats acquéreurs, l’enthousiasme était tel que la demande a largement dépassé l’offre.
Demande frénétique, offre limitée
Ceux qui surfent sur les sites immobiliers savent de quoi on parle. Les annonces pour les maisons et appartements qui répondent aux critères du moment sont souvent barrées dès le lendemain d’une bannière "sous offre", "visites suspendues" ou "vendu en un jour". Même pas l’occasion de visiter, parfois.
Le confinement a rebattu les cartes, ouvert de nouvelles perspectives et fait réfléchir. "Les gens qui ont davantage le temps et besoin de se divertir, de rêver d’une autre vie, s’adonnent au ‘porn immobilier’", constate Jonathan Pham (directeur d'agence, We Invest Brussels). Comprenez que "même s’ils n’ont pas l’intention de déménager ou d’acheter dans l’immédiat, les gens se projettent et regardent ce qu’ils pourraient s’offrir, où et pour quel budget. Une veille immobilière plus importante qu’avant s'est ainsi développée. Résultat, les choses vont très vite", explique-t-il.
Sous la pression de la concurrence potentielle, les candidats acquéreurs doivent vraiment être au taquet pour éviter que le bien de leurs rêves leur passe sous le nez. Résultat, ils sont moins regardants et ont parfois tendance à se précipiter. "Il arrive que des acheteurs se rétractent quelques jours après en avouant qu’à la réflexion, le prix est totalement exagéré", confie Aymeric Francqui, directeur de Latour & Petit.
Mais précisément, à quoi rêvent les Belges et sur quels biens se précipitent-ils?
Terrasse, jardin: l'extérieur est un must
Durant le premier confinement (total), la plupart des travailleurs étaient inactifs (en chômage temporaire ou empêchés d’exercer leur profession) et la météo radieuse. Il est vite apparu que disposer d’un extérieur, jardin ou terrasse, était un must. "Les biens ne disposant pas de ces ‘plus’ sont désormais plus difficiles à vendre et le prix qu’on peut en espérer s’en ressent également", souligne Emmanuel Deboulle.
"Désormais, les promoteurs prévoient systématiquement un extérieur."
Cette tendance persistera-t-elle? "Pour l’heure, les biens avec terrasses et jardins restent privilégiés", confirme Patrick Menache, fondateur des agences MacNash. "Désormais, les promoteurs prévoient systématiquement un extérieur", constate pour sa part Aymeric Francqui. "On s’arrache les rez-de-chaussée qui auparavant étaient les dernières unités vendues et un 50 m² avec balcon sera préféré à un superbe 60 m² sans extérieur"...
L'indispensable espace de bureau
Le deuxième confinement s’est déroulé dans un contexte totalement différent: en hiver et alors que la plupart des gens travaillaient, mais à domicile. Parents et souvent enfants. Les petits coins bureaux susceptibles d’être aménagés ou exploités et les pièces dédiées sont rapidement apparus indispensables. La tendance s’affirmant au fil des mois et le télétravail semblant désormais bien ancré, la chambre supplémentaire ou le bureau sont très demandés. Voire exigés.
"Le bureau qui n’était jadis demandé que par 20 à 25% des locataires l’est désormais quasi systématiquement", constate Aymeric Francqui, qui conseille vivement aux propriétaires de consentir de petits investissements pour aménager un espace.
"La possibilité de disposer d'un espace de bureau est de loin la tendance la plus significative et la plus durable."
Pour Eric Verlinden, la possibilité de disposer d'un espace de bureau, qui peut au besoin être créé dans le séjour, ou en sacrifiant une autre pièce (le hall d'entrée de 4 à 5 m² peut faire office d’espace dédié acceptable) est de loin la tendance la plus significative et la plus durable. "Certains projets résidentiels neufs intègrent des espaces communs de travail. Un coworking à domicile en somme", observe Emmanuel Deboulle.
L'attrait pour la périphérie
Le besoin d’air, d’espace (pour soi) et de détente, et la perspective d’un télétravail bien installé changent la donne et incitent à réfléchir. On s'imagine plus facilement poser ses valises au-delà des limites que l'on s’était fixées s'il ne faut plus se taper un pénible trajet domicile-travail que deux ou trois fois par semaine, éventuellement en décalant ses horaires. En s’éloignant, pour un budget identique, on dispose d'une spacieuse maison avec espace de travail et jardin, dans un environnement idyllique.
"Les entreprises ayant acté le fait que le télétravail devient la norme, les clients osent franchir le pas vers la périphérie. La demande est énorme par rapport à l’offre. Les biens se négocient donc très peu", assure Jonathan Pham. "Les acquéreurs aux budgets moyens n’ont plus de problèmes à acheter en dehors de Bruxelles", constate Patrick Menache, qui pointe le succès de l’agence du Brabant (Alsemberg) et envisage d'en ouvrir prochainement une à Tubize.
"Les entreprises ayant acté le fait que le télétravail devient la norme, les clients osent franchir le pas vers la périphérie."
"La notion belgo-belge de l’éloignement acceptable par rapport au lieu de travail, reste entre 1/2h et 1 heure, mais l’assouplissement des horaires et le télétravail peuvent quelque peu modifier la donne", reconnaît Eric Verlinden, tout en relativisant: "La tendance de fond reste la proximité avec les (grands) centres urbains, les commerces, les moyens de communication et toutes les commodités." "Et au retour à la ville, même si le télétravail permet de repousser quelque peu les lignes. Ceux qui regardaient à Wavre, par exemple, iront sans doute un peu plus loin", ajoute Aymeric Francqui.
Ruée sur les résidences secondaires
Mais ce qui frappe davantage le directeur de Latour & Petit dans cette quête de verdure, d’espace et de qualité de vie, c’est la ruée sur les résidences secondaires (plus que sur le logement principal). Les restrictions aux voyages ont poussé les Belges à (re)découvrir leur pays et cela a manifestement suscité des vocations immobilières.
"La demande de résidences secondaires explose dans les Ardennes. Les grands gîtes sont très recherchés à titre d'investissement."
Aymeric Francqui évoque "un emballement généralisé. Il faut vraiment que le bien soit moche ou comporte un défaut important pour qu’il reste sur le marché". Emmanuel Deboulle constate lui aussi l'explosion de la demande de résidences secondaires. "Les prix grimpent très rapidement. Les néerlandophones sont de retour dans les Ardennes. Les grands gîtes sont très recherchés à titre d’investissement." Alors, tendance de fond? L’avenir le dira. À ce sujet, Eric Verlinden est plus mitigé. Selon lui, il s’agit d’une tendance "marginale et temporaire".
Villa 4 façades
Même si les priorités ont changé, les professionnels voient peu de perspectives pour les (vieilles) villas 4 façades énergivores qui nécessitent souvent de lourds investissements. "La maison 2 façades peut parfaitement répondre aux besoins en termes de jardin", estime Eric Verlinden. "L’acheteur est en outre extrêmement attentif à la performance énergétique. C’est le critère essentiel", assure Emmanuel Deboulle. Jonathan Pham estime que ce type de bien peut malgré tout redevenir plus attrayant pour les clients dont la priorité est la quête d’espace et d’un cadre vert, qui seraient alors moins regardants sur la performance énergétique. Tout dépend du prix demandé.
Marché locatif
À Bruxelles, le marché locatif a pris un coup dans l’aile avec le retour au bercail de nombreux expats suite au confinement, soulignent les professionnels. Ce phénomène ne devrait être que temporaire. "Dans le quartier Schumann par exemple, les studios traditionnellement occupés par les stagiaires de la Commission européenne sont désertés", observe Emmanuel Deboulle.
"Ceux qui souhaitent se tourner vers l’immobilier pour diversifier leurs sources de revenus investissent. Mais la demande sur le marché locatif a diminué", tempère Jonathan Pham. "Dans le segment moyen/supérieur (au-delà des 1.500 euros), les biens mis en location trouvent moins facilement preneur." Alors, un bon conseil: «Soignez votre produit et chouchoutez vos locataires», glisse-t-il.
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