Influenceurs ou fantômes, que font les CEO du Bel 20 sur LinkedIn?
Les CEO du Bel 20 sont-ils de bons ambassadeurs pour leur entreprise? Leur activité sur le réseau social LinkedIn a été passée au crible. Les frileux du like côtoient les influenceurs en puissance sur un réseau devenu un incontournable de la vie professionnelle.
Être présent sur LinkedIn ou non, quelle image y donner et comment y évoluer, autant de questions que se posent les 3,98 millions de Belges membres du réseau social de Microsoft. Parmi eux, il y a 17 profils un peu particuliers, ceux des patrons des entreprises du BEL 20. Ils sont 17 et non 20, car trois d'entre eux ont fait le choix de ne pas y être. Spécialiste des réseaux sociaux et en particulier de LinkedIn qu'il connaît comme sa poche, Xavier Degraux a décidé d'investiguer la présence sociale sur le réseau professionnel des plus grands dirigeants du pays.
"Pas un profil parmi ceux que j'ai analysés n'est complet. "
Devenu un véritable canal de communication où l'on façonne son image professionnelle et celle de son entreprise, LinkedIn reste un terrain de jeu que beaucoup ont du mal à appréhender. Premier constat, donc, certains boudent la plateforme. Ian Gallienne (GBL), Jef Colruyt et Johan Thijs (KBC) n'y sont pas. Les 17 autres y sont, mais pas toujours avec envie, semble-t-il. Les chiffres récoltés et analysés par Xavier Degraux dans une étude sur le sujet mettent en exergue une utilisation du réseau à l'ancienne. L'expert a passé à la loupe l'activité des CEO au cours des 90 derniers jours, analysé leur profil et observé leurs interactions avec leur communauté. "L'absence quasi généralisée d'appels à action dans les posts, en particulier d'appels à commentaires, par le biais de questions ouvertes par exemple, est révélateur. Les neuf patrons du BEL 20 qui publient du contenu utilisent encore LinkedIn comme un canal de communication à l'ancienne, en mode 'top-down'. Et non pas comme un réseau social, dont les contenus permettent de générer des conversations, elles-mêmes génératrices de visibilité."
Les CEO du BEL 20 ne joueraient pas leur rôle de leader inspirant sur lequel prendre exemple. Le problème est perceptible assez rapidement: "Leurs profils, fondations LinkedIn vers lesquelles tout pointe sur ce réseau social, les moteurs de recherche, les publications, les commentaires et les messages privés sont trop rarement optimisés, ou mal. Pas un profil parmi ceux que j'ai analysés n'est complet. Et je ne parle même pas des sections et fonctionnalités gadgets".
Sur les 17 profils, quatre n'ont pas de photo, strict minimum pour inspirer confiance (et être pris au sérieux par LinkedIn); dix n'ont pas de bannière, alors que l'entreprise pourrait y être facilement valorisée; 14 n'ont pas optimisé leur titre de profil pour être mieux référencés; 13 n'ont pas mis en avant le bouton "suivre", à la place du bouton se connecter, pour doper la croissance de leur audience. Autant d'exemples qui interpellent, mais peuvent être considéré comme de la cosmétique pour les non-initiés. Qu'en est-il du contenu qu'ils publient? Pour Xavier Degraux, la situation est du même acabit. "Seulement huit patrons sur 17 ont commenté un post au cours du dernier mois, dans la toute grosse majorité des cas sans la moindre valeur ajoutée, avec un simple 'Bravo!', 'Super' ou 'Proficiaaat'."
"Sur un réseau social pourtant peu risqué, voire carrément 'bisounours', cette double attitude (ligne éditoriale trop promotionnelle et absence d'interactions, NDLR) flingue le taux d'engagement des rares publications des patrons du Bel 20."
Lorsqu'ils publient eux-mêmes du contenu, les CEO du Bel 20 font généralement la promotion de leur entreprise en parlant résultats ou en partageant des offres d'emploi. Il est rare de les voir publier des contenus informatifs, utiles ou inspirants pour leur cible qui ne concernent pas leur propre entreprise. "Sur un réseau social pourtant peu risqué, voire carrément 'bisounours', cette double attitude (ligne éditoriale trop promotionnelle et absence d'interactions, NDLR) flingue le taux d'engagement des rares publications des patrons du Bel 20. Et ce faisant, leur visibilité, celle de leur profil et, in fine, celle de leur entreprise", estime le spécialiste des réseaux sociaux.
Kadri superstar
Dans la grisaille, une éclaircie. Ilham Kadri, la patronne de Solvay, seule femme à la tête d'une entreprise du Bel 20, peut se vanter de présenter le profil LinkedIn le mieux optimisé. "Et ses contenus sont les plus qualitatifs." À l'analyse, elle obtient en conséquence une très bonne note tant pour le fond que pour la forme.
Mais ce n'est pas tout. Ilham Kadri, qui publie en moyenne tous les 13 jours ces derniers mois, est également en tête du comparatif du nombre de followers, et pas qu'un peu. Au début du mois de mai, 102.383 personnes suivaient son profil, alors que la moyenne des 16 autres profils se situait aux alentours des 4.200 abonnés. Tout cela n'est pas le fruit du hasard. C'est dû son activité assidue, mais aussi à une distinction. LinkedIn a repéré ses posts en matière de diversité, de durabilité ou d'environnement et l'a promue influenceuse officielle du réseau aux côtés de 500 profils triés sur le volet, dont ceux de Richard Branson et Bill Gates. Ilham Kadri ne se prive pas pour utiliser ce boost de visibilité. "LinkedIn fait partie des outils de communication modernes pour atteindre nos employés, nos clients, nos fournisseurs, nos partenaires, nos investisseurs et nos communautés. Il nous permet de sensibiliser un large réseau de personnes sur de nombreux thèmes qui nous tiennent à cœur", nous explique la CEO de Solvay, qui y voit aussi un impact en matière de recrutement. "Je pense que c'est un élément essentiel de notre image de marque et de nos efforts de recrutement."
Profil perso, contenu pro
Poster et interagir sur LinkedIn, cela prend du temps. Du temps que ces grands patrons n'ont a priori pas. Dès lors, sont-ils réellement derrière leurs comptes? "Mon compte est un compte professionnel et non pas un compte personnel, et comme tout patron(ne), je suis soutenue par mon équipe de communication. Tous les posts sont revus et validés, en ligne avec la stratégie du groupe, sa raison d'être, ses valeurs, sa mission... ", explique en toute transparence la patronne de Solvay.
Sur le podium LinkedIn virtuel du Bel 20, on retrouve aussi Guillaume Boutin, le patron de Proximus. Assez logique, quand on est à la tête d'un opérateur téléphonique qui se mue en entreprise technologique. Le CEO en baskets se connecte au moins une fois par jour sur le réseau social, nous explique-t-on chez Proximus. Une petite équipe dédiée aux réseaux sociaux de l'entreprise lui suggère des posts liés à l'actualité de l'entreprise ou un événement auquel il participe et Guillaume Boutin picore dans un agenda de contenus, avons-nous appris.
Le syndrome Alain Delon et les influenceurs du Bel 20
Sur plusieurs des profils, le ton interpelle. Certains patrons parlent d'eux à la troisième personne. C'est notamment le cas de John Porter, le patron de Telenet. Un phénomène qui pose question pour Xavier Degraux: "C'est le syndrome Alain Delon. Ils parlent d'eux à la troisième personne dans plusieurs sections de leur profil. Alors que quand ils publient, c'est en leur nom. Cela veut dire que s'ils sont encadrés, ils ne le sont pas toujours de façon cohérente".
"Au plus on a une communauté importante, au moins le taux d'engagement sera élevé. Le but doit rester d'avoir un réseau pertinent, pas forcément le plus large possible."
À la première ou à la troisième personne, tous n'ont pas le même type ni taille d'audience. Avoir une grande communauté est-il synonyme d'un engagement massif de cette dernière? Pas forcément, explique Xavier Degraux. "Au plus on a une communauté importante, au moins le taux d'engagement sera élevé. Le but doit rester d'avoir un réseau pertinent, pas forcément le plus large possible."
Xavier Degraux a poussé l'exercice plus loin en analysant la valeur des post des CEO du Bel 20. D'après l'outil Linkalyze, qui tient compte d'une multitude de critères (nombre de followers, taux d'engagement, régularité des posts…), chacun des posts d'Ilham Kadri vaudrait 2.199 dollars, en moyenne, alors que ceux de Michel Doukeris (AB Inbev) pèseraient 1.496 dollars pièce et ceux de Guillaume Boutin quelque 544 dollars. Une valeur toute relative, mais qui reflète l'importance de chacun sur le réseau ou pourrait leur inspirer une reconversion future.
Il est toujours difficile de tirer des tendances claires de ce type d'analyse, mais un constat global s'impose, selon l'auteur du rapport: "La plupart restent très frileux et très centrés sur leur entreprise. Ils pourraient se positionner comme des influenceurs au-delà du quotidien de leur entreprise et donner leur opinion sur d'autres sujets, surtout au vu du contexte global, économique, politique et sociétal. J'aimerais voir l'impact sociétal de ces entreprises plutôt qu'uniquement leurs produits ou services".
S'intéresser aux profils LinkedIn de ces super-patrons peut paraître futile, mais l'importance qu'a pris ce réseau social dans la vie professionnelle ne peut plus être ignorée. L'enjeu n'est plus simplement d'être présent, mais bien d'incarner l'entreprise. Le patron, qu'il soit du BEL 20 ou d'une petite PME, devient le premier porte-parole, pas seulement des produits et des services, mais aussi des valeurs de l'entreprise. Il faut désormais séduire les futurs talents et aussi prouver à ceux qui sont déjà là qu'on est en adéquation avec leurs envies et leurs besoins. Et LinkedIn démontre être un excellent médium pour cela.
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