Salvatore Iannello (Galler): "Le chocolat n'aura plus jamais la même valeur"
La chocolaterie Galler se dote d’un plan pour survivre à la crise du cacao, et réalise une augmentation de capital de 12,6 millions d’euros pour le mettre en œuvre. Entretien pour L’Echo avec le CEO de Galler, Salvatore Iannello.
Après cinq années infernales, après avoir encaissé le covid, les inondations de 2021, la salmonelle chez l'un de ses principaux fournisseurs, et l'hyperinflation, le soldat Galler et son équipe de 160 personnes s’est relevé. L'entreprise augmente son capital de 12,6 millions d'euros et voit son actionnariat se belgiciser.
Les actionnaires belges détiennent désormais 49,6% de la chocolaterie, contre 30% précédemment. La Région Wallonne et son bras armé financier, Wallonie Entreprendre, montent au capital et détiendront ensemble 19,5% des parts.
Plus fondamental encore pour l'entreprise, elle se dote d'un plan de bataille pour son prochain combat: l’explosion des cours mondiaux du cacao. Depuis début 2024, la hausse des prix de la fève est vertigineuse, passant d'un classique 2.500 euros la tonne, à plus de 10.000 euros par moments (le cours frôle les 8.000 euros, aujourd'hui). Une partie de l'augmentation des prix sera structurelle, "les dérèglements climatiques en sont la cause principale", avertit le CEO de la chocolaterie, Salavtore Iannello.
"On a tout de suite compris que cette explosion des cours allait avoir une composante structurelle. Nous allions donc aussi avoir besoin de nous adapter."
Après les inondations de 2021, la chocolaterie Galler était une entreprise balayée par les eaux. La galère de Galler, c’est fini?
On a vraiment été sur le fil. Le coût total des inondations pour Galler, c’est 17 millions d’euros, à la fois en pertes opérationnelles, et pour réhabiliter l’outil de production. Remettre l’entreprise sur pied a pris deux ans. Pour tout le monde, cela a été franchement inhumain.
Ensuite, on entre plein d’espoir dans l’année 2024, et c’est là que les cours de la fève de cacao explosent. On a tout de suite compris que cette explosion des cours allait avoir une composante structurelle. Nous allions donc aussi avoir besoin de nous adapter.
Vous attribuez cette hausse des prix en premier lieu aux dérèglements climatiques. Mais pas uniquement…
Pour synthétiser, les prix sont passés de 2.500 à 10.000 euros la tonne de cacao. Comme 70% du volume mondial de production est concentré au Ghana et en Côte d’Ivoire, un problème climatique là-bas va influencer les marchés mondiaux. En plus de cela, El Nino (phénomène océanique cyclique qui affecte le climat de nombreuses régions du monde, NDLR) – est venu renforcer les effets déjà néfastes du changement climatique. On vient d’en sortir, mais cela a joué.
Enfin, il y a l’élément le plus injuste de la filière: la spéculation. Certains hedge funds – dont le métier est de faire du cash avec du cash - jouent sur la fève, peu importent les conséquences sur les producteurs de cacao... ou de chocolat. Il faut que cela change.
Quel est le plan de Galler?
Il y a deux réponses simplistes, qui sont justement des chemins vers lesquels nous ne voulons pas aller. Un, répercuter automatiquement les augmentations dans nos prix. Ce qui touche à une limite, la capacité du consommateur à acheter du chocolat. Deux, toucher à la qualité des produits, ce que nous ne ferons jamais. Quelles sont dès lors nos solutions? D’abord, la recherche d’efficience. Nous avons trouvé des machines qui vont nous permettre, par exemple, d’emballer beaucoup plus rapidement nos produits. Mais qui dit machines, dit investissements. D’où l’augmentation de capital.
Emballer plus rapidement est une réponse structurante aux défis que vous évoquez?
Oui. Ce qui n’était pas raisonnable hier, le devient. Diminuer le prix de revient avec une machine qui coûte un demi-million d’euros n’avait peut-être pas de sens à la sortie des inondations. Mais l’ampleur du phénomène, la réalité de la fève, nous oblige à le faire.
Ce n’est pas tout. Nous avons aussi professionnalisé notre service d’achats, et sommes en train de renégocier nos prix auprès de nos fournisseurs. Il y avait des gains à aller chercher.
Troisièmement, l’innovation: de nouveaux produits, mais aussi une diminution de la taille de certains d’entre eux. En totale transparence, j’insiste. Pour faire ça, nous sommes entrés en interaction avec des consommateurs. 350 d’entre eux sont venus chez nous, ont donné leur avis. Nous voulions les inclure dans le processus décisionnel de l’entreprise. Rien ne sera fait dans leur dos. Rien.
"L’humanité est à un moment clé de son existence, et les entreprises doivent réinventer leur relation au monde."
Une réduction de la taille de certains produits ou une augmentation des prix, n’est-ce pas la même chose ?
Nous avons la conviction qu’il y a une limite au prix. Dans le chocolat, nous entrons dans un nouveau paradigme, et il faut de nouvelles lunettes. Entre le consommateur, le distributeur et nous, il faut veiller aux intérêts de chacun. Le tout, sans toucher à la qualité du produit. Il ne faudrait pas que le consommateur se fasse avoir, ni que le distributeur doive en permanence rogner sur ses marges.
L’humanité est à un moment clé de son existence, et les entreprises doivent réinventer leur relation au monde. Après tout ce qu’on a vécu chez Galler, il eut été facile de revenir à des recettes du 20ᵉ siècle, de licencier du monde, ou de baisser nos coûts fixes, par exemple en ajoutant du sucre pour que ce soit moins cher à produire. Ce n’est pas l’idée. Nous avions le devoir de trouver d’autres solutions.
Y avait-il une volonté initiale de rendre l’actionnariat majoritairement belge?
En tant que CEO, mon rêve le plus absolu est de passer du consommateur au "ConsomActeur", puis à un citoyen investisseur responsable. C’est comme ça que je vois la construction d’une entreprise de demain. Un peu sur le modèle coopératif. Mais je n’en ai pas encore parlé avec les actionnaires!(rires) Ce n’est donc qu’un rêve personnel qui n’est en rien le reflet de ce qui vient de se décider avec eux.
Viser 50% de croissance des volumes dans les quatre ans, tout en constatant une crise de la production pour le cacao, n’est-ce pas paradoxal?
Vous avez raison. La problématique que nous vivons chez Galler est celle d’une transition. Or, pour vous répondre, il y a un mot-clé: arbitrage. Ce qui a du sens pendant la transition, n’en a plus forcément à long terme.
L’objectif final est de développer nos ventes autour de nous, en Europe. C’est ça qui fera diminuer l’impact carbone de notre chiffre d’affaires. Mais pendant notre chemin de transition, nous avons aussi des contraintes financières. Et donc, nous devons passer par de la croissance. Les débats vivent en interne: doit-on conserver l’export, à terme, une fois que nous aurons atteint un certain volume de ventes en Belgique et au Luxembourg?
Mon point de vue, c’est qu’il vaut mieux ancrer son chiffre d’affaires localement, ne serait-ce que pour faire baisser la volatilité des revenus et de la rentabilité. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas le choix, nous devons grandir en volume. Si nous n’atteignons pas une taille critique, nous allons au-devant de grands soucis financiers. Demain, nous aurons le choix, et la question sera posée.
Je suis convaincu que le nucléaire n’est pas une solution d’avenir pour l’humanité. Mais comme on ne va pas changer le mode de vie des gens assez vite [...], nous avons besoin du nucléaire.
Si toutes les entreprises alimentaires qui entrent en transition visent une croissance de 50% dans les quatre ans, y aura-t-il seulement une transition?
Ce que je pense, c’est que ce sont toujours les acteurs très bien établis dans l’ancien paradigme qui vont souffrir. Certains acteurs ne survivront pas, et les équilibres de marché vont changer. L’important, c’est de tenir la barre pendant la tempête, pour pouvoir décider vers où on va, quand la mer redevient calme - et c’est un marin qui vous parle. Mais c’est sûr, il y aura de la casse. Et Barry Callebaut est en procédure Renault, je n’invente rien.
Prenez l’énergie. Galler a une position officielle sur le nucléaire. Je suis convaincu que le nucléaire n’est pas une solution d’avenir pour l’humanité. Mais comme on ne va pas changer le mode de vie des gens assez vite – par rapport à la vitesse à laquelle nous devons décarboner le monde – , nous avons besoin du nucléaire. La grande exportation de chocolat, c’est notre nucléaire à nous.
En somme, cette nouvelle stratégie de Galler est un pari.
C’est bien simple, le chocolat n’aura plus jamais la même valeur qu’avant. Le pari que nous faisons, c’est que pour le consommateur, une prime à la qualité et à la durabilité va devenir de plus en plus importante. Le prix de tous les chocolats va augmenter. Or, je suis convaincu que, quand on paie plus cher pour un produit, on devient aussi plus exigeant.
L’actionnariat belge de Galler monte en puissance, et détient désormais 49,6% de la chocolaterie. Dans le détail:
- La Région wallonne et son bras armé financier Wallonie-Entreprendre montent au capital de Galler, et détiendront ensemble 19,5% des parts.
- Le fonds d’investissement public liégeois Noshaq passe de 13,5 à 10% des parts, et Invest for Jobs, fonds des partenaires sociaux du secteur du métal et de la technologie, de 10 à 13,5%.
- ELH, la structure rassemblant des entrepreneurs wallons et le management de Galler, voit ses parts passer de 5,5% à 3,1%.
- Enfin FICI (pour Fonds d'investissement et de croissance industrielle, véhicule commun à Noshaq et au groupe ArcelorMittal) monte à bord lui aussi, et détiendra 3,5% des parts.
Les investisseurs du coin voulaient-ils obtenir plus, et faire de Galler une chocolaterie belge avant tout? Christophe Picard, CEO d’Invest for Jobs et membre du conseil d’administration de Galler, estime que "tout est une question de rapport de force et de moyens".
"Si l’opportunité avait permis d’y arriver, je pense que tout le monde allait dans ce sens. La question première était celle des besoins de l’entreprise. Nous n’allions pas injecter 15 millions d’euros d’argent frais, là où l’entreprise n’en avait besoin que de cinq. Et Al-Afia (la holding qui représente l’actionnaire qatari, NDLR) n’allait pas brader ses parts, juste pour se faire diluer. Il y a aussi une logique économique qui a joué, et qui n’a tout simplement pas permis d’y arriver".
"Le coût total des inondations de 2021 pour Galler, c’est 17 millions d’euros, à la fois en pertes opérationnelles, et pour réhabiliter l’outil de production."
"Les prix de la fève de cacao sont passés de 2.500 à 10.000 euros la tonne en 2024. L’ampleur de cette crise rend des choses qui étaient insensées hier, désormais pertinentes d’un point de vue financier."
"Après tout ce qu’on a vécu chez Galler, il eut été facile de revenir à des recettes du 20ᵉ siècle, de licencier du monde ou de baisser nos coûts fixes. Nous avions le devoir de trouver d’autres solutions".
"Certains acteurs du chocolat ne survivront pas, et les équilibres de marché vont changer. C’est sûr, il y aura de la casse."
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