Facebook "une machine à cash" sans crainte?
Le scandale de Cambridge Analytica a fait perdre à Facebook 60 milliards de dollars en Bourse. Les investisseurs s’inquiètent de l’impact d’une réglementation plus stricte. Mais l’excellente santé financière du groupe rassure les analystes sur sa longévité.
L’affaire de Cambridge Analytica va-t-elle faire tomber Facebook de son piédestal? En tout cas, elle lui a déjà coûté plusieurs dizaines de milliards de dollars en Bourse. Le réseau social a quitté le top 5 des plus grosses capitalisations dans le monde, et se retrouve maintenant derrière Berkshire Hathaway.
Mais de quoi parle-t-on exactement? Un petit retour en arrière s’impose. Le week-end dernier, plusieurs journaux américains publient une enquête sur l’utilisation abusive des données privées d’environ 50 millions d’utilisateurs aux États-Unis. Le cabinet d’analyses britannique Cambridge Analytica aurait utilisé ces informations pour les inonder de publicités très ciblées lors de grands événements électoraux, notamment en faveur de Donald Trump pendant la campagne présidentielle en 2016. La publication de cette enquête fait l’effet d’une bombe auprès des citoyens, des politiques, mais également des investisseurs. À Wall Street, l’action perd près de 10% en deux séances début de semaine.
"Les capitaux propres de Facebook représentent 88% de son bilan. C’est extraordinaire!"
Très rapidement, les députés américains et britanniques prennent l’affaire en main, et plusieurs commissions parlementaires sont créées pour enquêter sur le problème. Une campagne de désabonnements est par ailleurs lancée avec le hastag #deletefacebook. Elle est notamment relayée par un ancien cofondateur de l’application de messagerie WhatsApp, qui a été rachetée en 2014 par Facebook. La Nordea Bank, la plus grosse banque scandinave, a de son côté décidé de suspendre ses investissements dans le groupe américain. Des plaintes sont également déposées auprès de la Justice américaine par des regroupements de petits porteurs.
Pour Roger McNamee, un des investisseurs les plus réputés de la Silicon Valley et un des premiers actionnaires de Facebook, la crise que traverse actuellement l’entreprise a fait une victime importante: la confiance placée dans le réseau social par ses utilisateurs. Or celle-ci serait la clé du succès de la société. "Je ne sais pas exactement ce qu’il se passe, mais j’ai peur qu’il y ait un problème systémique avec les algorithmes et que le modèle économique de Facebook permette à de mauvais acteurs de nuire à des utilisateurs innocents de Facebook", a-t-il déclaré au micro de la radio américaine NPR.
Selon les analystes de Bloomberg Intelligence, Facebook pourrait faire face à des sanctions civiles pour plusieurs milliards de dollars si elle a effectivement violé les règles en matière de protection des données privées. Ils estiment cependant que les faits rapportés à ce jour ne montrent pas de violations légales claires par Facebook.
Pression sur les revenus à court terme
Toutes ces annonces ont bien entendu provoqué des remous auprès des analystes. Plusieurs d’entre eux ont réduit leur objectif de cours, évoquant une possible pression sur l’usage de la plateforme à court terme. Côté annonceurs, seuls quelques groupes comme Commerzbank ou Mozilla (société éditrice du navigateur web Firefox) ont annoncé suspendre leur campagne publicitaire sur Facebook. "Ce qui suggère un impact financier limité", a souligné dans une note Justin Post, de Bank of America-Merrill Lynch. On comprend dès lors pourquoi la très grande majorité des analystes recommandent toujours d’acheter la valeur. L’objectif de cours médian est fixé à 220,95 dollars, soit un potentiel de hausse de 34% par rapport au cours de jeudi soir.
Ce qui inquiète plus grandement les investisseurs et analystes, c’est la réaction des politiques. Nombre d’entre eux s’attendent à une réglementation plus stricte aux États-Unis et en Europe. Le 25 mai prochain, le Règlement général sur la protection des données (RGPD ou GDPR en anglais) sera d’ailleurs d’application au sein de l’Union européenne. Et d’autres pays pourraient suivre dans les prochains mois. "Il y a toujours eu des interrogations sur l’utilisation des données privées et cela reste le principal risque à prendre en compte quand on souhaite investir dans le segment des réseaux sociaux. Car la plupart de leurs revenus proviennent des publicités en ligne", rappelle Johan Van der Biest, gestionnaire de fonds sur la technologie chez Candriam.
C’est donc l’incertitude sur l’avenir des bénéfices des réseaux sociaux qui a provoqué cette hausse de la volatilité sur ces titres et leur chute en Bourse. Plusieurs simulations sur les conséquences d’une réglementation plus stricte ont déjà montré que cela pourrait impacter négativement les revenus de Facebook. "Cela peut plomber les bénéfices cette année. Et les plans de monétisation de WhatsApp et de Messenger pourraient être retardés, exposant ainsi les attentes de croissance pour l’année prochaine à plus de risques", expliquent les analystes de Bloomberg Intelligence.
"Facebook ne va pas mourir car il a les reins solides"
Toutefois, des observateurs estiment que certains moyens pourraient être mis en place pour contrebalancer. Une de leurs hypothèses est l’augmentation des prix des annonces sur la plateforme. Une réglementation plus stricte rendrait certaines données plus difficiles à obtenir, ce qui augmenterait leur valeur.
Une seconde hypothèse serait la mise en place d’un système payant, à l’image de YouTube Red. Il s’agit, en quelque sorte, d’un abonnement payant en l’absence de publicités sur la plateforme.
Facebook en meilleure santé… que Twitter
D’autres analystes soulignent également la très bonne santé financière de Facebook, "l’une des sociétés les plus efficaces en matière de monétisation des données". "C’est une entreprise qui enregistre un taux de croissance du chiffre d’affaires supérieur à 70% sur les dix dernières années. Et à plus de 50% sur les cinq dernières années. Elle n’a pas de dette. Et les capitaux propres représentent 88% de son bilan. C’est extraordinaire!" s’exclame Arnaud Delaunay, analyste financier chez Leleux Associated Brokers. Pour remettre les pendules à l’heure, il rappelle aussi que la capitalisation boursière de Facebook est plus importante que le PIB (produit intérieur brut) de la Belgique.
"Facebook, c’est une machine à cash. C’est une entreprise qui génère des flux de trésorerie tellement importants que chaque année, les capitaux propres de l’entreprise progressent." Plus le montant des capitaux propres est important, plus les investisseurs sont rassurés sur la longévité de la société. "On peut avoir une très grave crise financière pendant plusieurs années, le groupe ne va pas mourir car il a les reins solides." Ce qui explique pourquoi de nombreux analystes et investisseurs voient dans la récente chute de Facebook une belle opportunité d’achat. Goldman Sachs, actionnaire à hauteur de 0,89%, aurait acheté plus de 4 millions de titres mercredi. Certains observateurs estiment également que l’action Facebook aurait pu rebondir en fin de semaine si les marchés financiers n’avaient pas évolué dans le rouge suite à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine.
Mais on ne peut pas en dire autant pour Twitter. Le groupe a été plus impacté par l’affaire que Facebook lui-même, lâchant plus de 12% entre lundi et jeudi derniers. Les analystes sont bien moins optimistes sur son avenir, et craignent que l’oiseau bleu perde quelques plumes face à une réglementation plus stricte. La majorité d’entre eux recommandent de conserver la valeur. L’objectif de cours est fixé à 27,72 dollars, soit un potentiel de baisse de 11% par rapport au cours de jeudi soir.
Il faut dire que les derniers résultats du réseau social sont peu enthousiasmants. Dans son rapport financier pour 2017, Twitter indique que ses revenus totaux ont atteint 2,4 milliards de dollars, en baisse de 3% en glissement annuel. Sa trésorerie représente 4,4 milliards de dollars mais sa dette s’élève à 1,8 milliard. "Twitter pourrait être plus vulnérable aux risques de valorisation que Facebook", estiment les experts de Bloomberg Intelligence. Ils évoquent un "effet d’accrochage" qui "soulève plus de préoccupations quant à savoir si ses multiples élevés peuvent être soutenus dans le cadre des efforts de redressement".
Le secteur techno US, "un cas spécifique"
Quel pourrait être l’impact de l’affaire Facebook sur les autres valeurs du secteur technologique aux États-Unis? Nul, selon la plupart des analystes. "Je pense que l’enthousiasme général pour les valeurs technologiques peut diminuer mais ce ne sera pas à cause de cette affaire car c’est un cas très spécifique. Cela n’a rien à voir avec les autres tendances du secteur (comme l’intelligence artificielle) qui continueront dans les prochaines années", analyse Johan Van der Biest, gestionnaire de fonds chez Candriam.
On l’a d’ailleurs vu avec Dropbox qui est entré en Bourse ce vendredi. La société de stockage de données en ligne a vu son action bondir de près de 50% pendant la séance. Autre signe de l’enthousiasme toujours présent pour ce genre de valeur, la cotation a débuté plus de deux heures après l’ouverture de la Bourse. D’ordinaire, le baptême de feu boursier d’une entreprise s’effectue une heure et demie maximum après la sonnerie de la cloche.
Certains investisseurs s’inquiètent tout de même de cet engouement, faisant le parallèle avec la bulle internet en 2000. Une comparaison inappropriée selon Johan Van der Biest. "Oui, le secteur technologique est aujourd’hui plus cher que la moyenne. Mais c’est contrebalancé par une croissance bénéficiaire et des marges plus élevées. C’est donc justifiable. En plus, quand on regarde les progrès ces dernières années, nous sommes arrivés à un point où la technologie va impacter tous les secteurs d’activité. Pour moi, la demande finale pour la technologie a explosé. Et c’est une raison pour dire qu’à long terme, je me sens tout à fait confortable en investissant dans l’IT. À court terme, évidemment, je ne peux jamais exclure une correction technique." Pour lui, le principal risque pour ce secteur (cyclique) est la fin du cycle économique. Il craint aussi que les valeurs technos ne soient impactées par la guerre commerciale enclenchée par les États-Unis. Apple, par exemple, réalise 20% de son chiffre d’affaires en Chine.
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