"J'espère rester encore longtemps à ce poste"
Cela fait plus de 25 ans que Wim Vandenhoeck travaille aux Etats-Unis. Avec une équipe aux rouages bien huilés, il gère pour Invesco un fonds d’obligations de marchés émergents. "Un job fantastique et stimulant", confie-t-il.
La pandémie de coronavirus n’a pas empêché Wim Vandenhoeck de venir dans son pays natal, la Belgique. Nous l’avons rencontré à Bruxelles début mars. Wim Vandenhoeck – qui vient de fêter ses 50 ans – ne se laisse pas facilement décourager. C’est avec un enthousiasme communicatif que ce jovial Louvaniste nous parle du fonds obligataire de marchés émergents qu’il gère chez Invesco. Il n’a pas oublié sa langue maternelle, le néerlandais, mais après tant d’années passées au pays de l’Oncle Sam, ses phrases sont régulièrement ponctuées de mots anglais. Et lorsqu’il parle de ses activités financières, il bascule presqu’automatiquement vers la langue de Shakespeare.
Cela fait 25 ans que vous travaillez aux Etats-Unis. Comment vous êtes-vous retrouvé là-bas?
J’ai fait des études d’ingénieur commercial à Louvain de 1988 à 1992. J’ai ensuite travaillé chez BNP Paribas. Après un an, je suis parti aux Etats-Unis pour obtenir un MBA. J’ai ensuite travaillé pour BBL (reprise par ING Groupe en 1998, NDLR). Ils venaient de lancer un fonds d’obligations américaines à haut rendement. J’y ai travaillé pendant trois ans en tant qu’analyste de crédits. En 1997, je suis passé au "buy side" et j’ai été envoyé à New York dans l’univers des fonds spéculatifs. J’y ai travaillé pour plusieurs institutions financières.
Comment avez-vous atterri chez Invesco?
BIOGRAPHIE
Wim Vandenhoeck
50 ans, marié, deux enfants
A fait des études d’ingénieur commercial à laKU Leuven et détient un MBA de l’Université de Cornell (États-Unis).
A travaillé entre autres pour BBL, Paribas, GLG Partners, APQ Partners et OppenheimerFunds, repris par Invesco en 2019.
Vit à New York depuis 25 ans dans le quartier résidentiel de Brooklyn Heights.
Loisirs: longues balades à vélo, BBQ entre amis
En 2010, j’ai commencé à travailler à Londres pour GLG Partners, une filiale du groupe MAN. J’étais chargé de mettre au point des stratégies dans le secteur des obligations de marchés émergents. Je passais un tiers de mon temps à Londres, un tiers à New York et le dernier tiers à voyager dans les pays émergents. Après cinq ans, j’en ai eu assez de vivre dans des valises. Grâce à un ancien collègue, j’ai trouvé un poste en 2015 au sein d’OppenheimerFunds, un gestionnaire de patrimoine américain qui comptabilisait 250 milliards de dollars d’actifs sous gestion et qui gérait un large éventail de fonds d’actions et d’obligations. En mai 2019, l’entreprise a été rachetée par le géant Invesco, qui gérait 950 milliards de dollars. Le groupe fusionné comptabilise désormais 1.200 milliards de dollars d’actifs sous gestion.
Quelles sont vos responsabilités chez Invesco?
Je suis "senior portfolio manager" de trois fonds obligataires. Notre équipe à New York se compose de 12 personnes qui sont toutes des "macro people", c’est-à-dire qu’elles étudient les choses d’un point de vue macro-économique. Notre approche est donc top-down. L’analyse fondamentale des pays dans lesquels nous investissons joue un rôle primordial: comment leur croissance se situe-t-elle par rapport à celle des Etats-Unis? Quelle est la situation financière du pays? Etc. De nos trois économistes, deux ont travaillé pour le Fonds Monétaire International (FMI) et l’autre pour la Banque Mondiale, où ils conseillaient les pays émergents.
Lorsqu’on parle d’obligations de marchés émergents, on pense à des rendements élevés, mais aussi à des risques importants.
En plus des risques intrinsèques aux pays émergents, il faut prendre en compte le risque de change. A cause de ce risque, les portefeuilles obligataires sont parfois aussi volatils que les fonds d’actions. Il faut donc gérer cette volatilité. Les pays émergents bénéficient par ailleurs d’avantages très clairs par rapport aux marchés matures: ils connaissent une croissance démographique positive et un développement économique structurel. Pour un investisseur, ce sont des facteurs positifs en termes de rendement. Le problème pour ceux qui investissent dans des obligations de pays formant le noyau de l’Europe ou du Japon, c’est que le rendement est négatif. Cela s’explique par le vieillissement de la population et le taux d’épargne élevé.
Une très petite partie de notre portefeuille est constituée de projets de type partenariats public-privé. Je pense que ce secteur est appelé à se développer de plus en plus.
La situation est très différente sur les marchés émergents. Si le taux des obligations souveraines mexicaines est d’environ 7% et que l’inflation oscille autour de 3 à 3,5%, vous obtenez encore du rendement. La gestion des risques est aussi plus facile car la situation s’est beaucoup améliorée dans de nombreux pays émergents. A la fin des années 90, la dette de bon nombre d’entre eux était émise en dollar américain. Lorsque le taux de change évoluait négativement, ils ne pouvaient plus rembourser leur dette et leur situation financière s’écroulait. Le FMI leur a donné trois conseils: introduire des taux de change flexibles, essayer de contrôler l’inflation et mener une politique budgétaire prudente.
A partir des années 2000, ces conseils ont permis de développer des marchés obligataires locaux. Aujourd’hui, les "emerging markets bonds" font partie des principaux marchés obligataires, avec près de 3.000 milliards de dollars émis en devises fortes (2.000 milliards d’obligations d’entreprises et 1.000 milliards d’obligations souveraines) et près de 20.000 milliards en devises locales. La majeure partie des obligations d’entreprises émises en monnaies locales sont chinoises et aux mains d’investisseurs locaux, donc inaccessibles.
Quelles sont vos principales catégories d’investissement?
Nous investissons surtout dans des obligations souveraines. Une très petite partie de notre portefeuille est constituée de projets de partenariat public-privé (PPP). Sur les marchés émergents, le segment du private equity s’est beaucoup développé. Les exigences de rendement des investisseurs envers ces pays sont souvent trop élevées. Les PPP peuvent apporter une solution. Prenez la Colombie: c’est un pays avec de nombreuses "vibrant cities", mais il n’existe pas d’infrastructures routières suffisantes pour les relier entre elles. Le pays a également besoin d’un système efficace de distribution d’eau potable et de collecte et de traitement des déchets. Le développement de ces secteurs d’activités pourrait augmenter sensiblement la productivité – et la qualité de vie – des Colombiens.
Lorsque des structures sont mises en place pour ces types de projets – avec par exemple une participation de 25% des pouvoirs publics et le solde aux mains d’investisseurs privés – je peux proposer à mes clients des investissements intéressants, dont le rendement est supérieur de 400 points de base à une obligation souveraine locale. Bien entendu, les risques sont là, mais aussi les opportunités. C’est aussi une forme d’investissement à impact. Je pense qu’on se tournera de plus en plus vers ce type de structure au cours des dix ou vingt prochaines années. On ne peut par ailleurs pas vendre n’importe quel PPP à un investisseur.
Et le Brésil, le plus grand pays d’Amérique du Sud? Vous y investissez?
La baisse des taux permet au Brésil de se développer sur des bases saines.
Sous la présidence de Dilma Rousseff, les capitaux n’ont pas été alloués de manière efficace. Le président actuel, Jair Bolsonaro, est en train de restructurer le pays avec l’aide de capitaux privés. Une de ses principales réalisations, c’est la réforme radicale des pensions mise en place l’an dernier et qui permet au gouvernement d’économiser beaucoup d’argent. Auparavant, les Brésiliens pouvaient partir à la retraite à l’âge de 48 ans. Aujourd’hui, il faut avoir 60 ans. Bolsonaro prépare également une réforme fiscale et une allocation plus flexible des moyens publics. Grâce à sa politique, les taux brésiliens sont passés rapidement de 14,5 à 3,75%. Cette baisse des taux permet au pays de se développer sur des bases saines et d’offrir de meilleures conditions de vie à la population. Il y a trois ans, nous avons beaucoup investi dans des obligations souveraines brésiliennes, à différents moments et donc à différents taux.
Comment composez-vous votre portefeuille tout au long du cycle?
Nous sommes des investisseurs actifs. La plupart des gestionnaires de mon secteur élaborent un portefeuille avec un bêta supérieur au marché (plus volatil, NLDR). Notre philosophie est différente: nous recherchons au contraire un bêta moins élevé. La volatilité de l’indice de référence tourne autour de 10% sur l’ensemble du cycle. Nous nous situons entre 5 et 10%, alors que nous cherchons le même rendement. Cela nous a réussi jusqu’ici. Pour obtenir un rendement supérieur à celui du secteur, nous réduisons notre exposition aux variations de change. Une autre façon d’obtenir de l’alpha, c’est de prendre des positions surpondérées dans des pays qui nous convainquent.
Quel est l’aspect le plus difficile de votre métier?
Mon rêve ultime serait de gérer un fonds 100% avec impact. Ces investissements contribuent grandement à l’amélioration du niveau de vie de nombreuses personnes.
Je préfère parler de défis que de problèmes. Mais le plus difficile, c’est la masse d’informations et le fait qu’elles soient immédiatement disponibles pour tout le monde. On peut certainement parler de sursaturation, ainsi que de désinformation – comme nous le voyons aujourd’hui à propos du coronavirus. A ces moments-là, c’est aussi un défi de rassurer mes jeunes collaborateurs que ce n’est pas la fin du monde et de se concentrer sur les opportunités qui se présentent. Un jour, quelqu’un m’a dit: "in times of chaos and war, fortunes are made". C’est du bon sens et le travail permet beaucoup de choses.
Avez-vous d’autres projets pour la suite de votre carrière?
J’occupe un poste fantastique et stimulant. Que souhaiter de plus quand votre travail vous rend totalement heureux? Notre équipe est internationale et nous travaillons ensemble depuis plus de cinq ans. J’espère conserver ce job encore longtemps. Mon rêve ultime serait de gérer un fonds 100% avec impact. Ces investissements contribuent grandement à l’amélioration du niveau de vie de nombreuses personnes, sans que le gestionnaire ne subisse la pression constante pour fournir des résultats tous les trimestres et ne doive rendre des comptes en permanence sur les flux entrants et sortants.
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