Si vous êtes une lectrice ou un lecteur assidu(e) de L’Echo et que vous vous intéressez au crédit hypothécaire, vous allez sans doute avoir un sentiment de "déjà vu" en lisant cet article. Pas de panique, c’est normal. Le phénomène se répète d’année en année: les banques annoncent que les taux hypothécaires vont se tendre dans l’année qui vient, "modérément et progressivement" — le leader sur le marché hypothécaire en Belgique BNP Paribas Fortis avait parlé d’une hausse de 50 points de base en 2018 — et puis, rien ne se passe. Les taux ne bougent pas, ou "pire", ils descendent encore…
Prenons le taux "fixe à 20 ans", qui nous sert de référence étant donné sa popularité auprès des emprunteurs. Début janvier 2018, la moyenne des taux officiels proposés par les banques était de 2,20%. Actuellement, cette moyenne est de 2,11%. Les taux ont même plutôt tourné autour des 2% une bonne partie de l’année, selon les chiffres fournis par le comparateur en ligne guide-épargne.be.
On ne peut donc pas vraiment parler de baisse, plutôt d’une certaine stabilité. Mais en tout cas, la hausse annoncée a été contenue sur les premières semaines de l’année, avant que la tendance ne reparte dans l’autre sens…
Mais que s’est-il (encore) passé? Comme l’explique Philippe Ledent, économiste chez ING, "les taux longs belges (OLO à 10 ans), qui servent de benchmark pour le marché hypothécaire, sont passés de 0,68% en janvier 2018 à un peu plus de 1% en février, avant de redescendre pour revenir actuellement à 0,72%, soit au même niveau qu’il y a un an. L’année 2018 a été décevante sur le plan économique. Tous les scénarios de remontée des taux ont été décalés". De fait, alors que la Banque centrale européenne (BCE) a toujours maintenu son discours selon lequel elle allait remonter ses taux après l’été, le marché commence à anticiper qu’elle ne fera pas avant mi-2020.
Plancher
Pour l’année prochaine, le consensus table donc sur un statu quo pour le marché obligataire, ce qui devrait se traduire par le même phénomène sur le marché des taux hypothécaires. Les banques ne s’aventurent plus dans des prévisions trop "optimistes". Par exemple, Belfius continue de s’attendre à une hausse "légère et progressive", tandis que KBC indique seulement que la banque "continuera à suivre de très près l’évolution sur le marché". ING s’attend à ce que la remontée des taux fixes à plus de 10 ans ne dépasse sans doute pas 50 points de base dans les 18 prochains mois.
Mais il y a lieu de penser que les taux ne descendront pas plus bas, car ils sont actuellement déjà constitués presque exclusivement par la prime de risque liée à l’emprunteur. On voit d’ailleurs que les taux négociés par les clients sont restés stables cette année, à 1,75% pour le taux fixe à 20 ans selon le guide-épargne.be, tandis que les taux d’affiche ont très légèrement baissé. Cela prouve qu’un plancher semble tout de même avoir été atteint dans les faits, d’autant plus que les règles prudentielles de la Banque nationale de Belgique (BNB) forcent les banques à faire preuve de prudence lorsqu’elles accordent des crédits, surtout à quotité élevée.
D’ailleurs, personne — pas même vous, candidat à l’achat — n’a vraiment intérêt à ce que les taux baissent encore. Ce serait un très mauvais signe pour l’économie. "Si les taux baissent encore, la préoccupation des gens ne sera plus de contracter un emprunt hypothécaire au meilleur taux, mais d’avoir un salaire qui tombe à la fin du mois", estime Philippe Ledent.
Concurrence
Outre le contexte économique, la faiblesse des taux continue à s’expliquer par le caractère très concurrentiel du marché hypothécaire belge. L’arrivée des banques en ligne (Keytrade bank et la filiale de BNPP Fortis, Hello bank!) qui misent sur la transparence de leurs tarifs (de surcroît compétitifs) a sans doute changé un peu la donne. Les taux se négocient toujours énormément.
C’est chez KBC que les emprunteurs ont reçu les meilleurs taux ces dernières semaines, selon guide-épargne.be. La banque a proposé un taux fixe sur 20 ans de 1,45% à un emprunteur qui a fait une demande de 170.000 euros. Une aubaine pour cet emprunteur alors que la banque vient d’annoncer cette semaine que désormais, elle allait offrir immédiatement son meilleur taux à ses clients et qu’il ne serait plus négociable. Si cela se confirme dans les faits et si d’autres banques lui emboîtent le pas, cette nouvelle manière de procéder dans le domaine hypothécaire pourrait avoir un impact sur les taux, au désavantage du client. Reste à voir lesquelles seront prêtes à montrer leur jeu à leurs adversaires et à dégainer leur meilleure offre au premier chaland venu…
Les taux variables ont la cote
Fait marquant, en 2018, les clients qui ont conclu un emprunt hypothécaire auprès de BNP Paribas Fortis ont opté dans 31% des cas pour un taux variable. C’est deux fois plus que l’année précédente, et près de quatre fois plus qu’en 2016. En fin d’année, le rapport taux fixe/taux variable est même monté à 50/50 chez le leader du crédit hypothécaire en Belgique. Cela confirme les chiffres sectoriels publiés par l’Union professionnelle du crédit (UPC), qui a comptabilisé 63% de taux fixes fin 2018, contre 82% fin 2016.
Pourquoi les emprunteurs se réintéressent au taux variable alors que les banques affirment que les taux ne peuvent "que" remonter ? On peut imaginer que globalement, il existe une certaine lassitude du public face aux annonces de remontée des taux qui ne se confirment pas. Et puis, choisir un taux variable présente plusieurs aspects intéressants.
D’abord, les révisions des taux variables sont encadrés par la loi. Le taux peut au maximum doubler. Etant donné que l’on part de niveaux très bas, "il arrive dans certains dossiers que le pire scénario (NDLR : une augmentation de taux à chaque révision) avec un taux variable soit financièrement plus intéressant qu’un taux fixe sur la durée de l’emprunt", explique Sébastien Degand, responsable crédits chez BNP Paribas Fortis.
Ensuite, la formule variable permet de rembourser davantage de capital dans les premières années de l’emprunt. Or, en moyenne, un crédit hypothécaire est clôturé tous les 12 ans (refinancement, revente du bien, etc. ). Cela a donc du sens de rembourser un maximum de capital dans les premières années, surtout si le risque lié à la révision de taux est limité.
Enfin, pour les jeunes ménages qui ont besoin d’un peu plus d’air, un taux variable permet d’alléger les mensualités au début de l’emprunt, quitte à ce qu’elles augmentent plus tard, lorsque leurs revenus seront également plus élevés.