La planification successorale inclut fréquemment des biens immobiliers. Soucieux de préserver l’habitation familiale sans la vendre, certains parents préfèrent la léguer à l’un de leurs enfants et accorder à l’autre une somme d’argent équivalente. Une répartition qui semble équitable à première vue. Cependant, elle pourrait s’avérer injuste si le bien en question venait à être revendu avec une plus-value significative.
"Cela arrive souvent, notamment lorsque des parents possèdent un terrain à bâtir et qu’ils souhaitent en faire don à l’un de leurs enfants pour l’aider à se lancer dans la vie", explique Lars Everaert, expert en matière de successions.
"Les règles juridiques sont importantes, mais elles ne font pas tout. Il est essentiel de parvenir à un accord sur le plan humain."
"Une donation est considérée comme une avance sur l’héritage et doit être ajoutée ('rapportée', dit-on dans le jargon) ultérieurement à la succession. Si l’intention du donateur n’a pas été consignée par écrit, cela peut poser des problèmes au moment du décès", ajoute l’expert.
"Ainsi, il arrive souvent que le bénéficiaire de la donation doive par la suite rembourser une partie de l’argent à ses frères et sœurs parce que leur part légale (la "réserve") a été amputée (voir ci-dessous) ou parce qu’il n’a pas été précisé par écrit qu’il s’agissait d’une donation hors part."
Selon Lars Everaert, il est primordial que les enfants s’accordent sur les modalités de la succession, y compris sur le plan moral. "Si le cadre juridique de la répartition est important, il ne règle pas tout. L’aspect humain est aussi essentiel." Il recommande donc d’en discuter longuement jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord sur le partage.
Les règles à garder à l’esprit
L’héritage
Si une personne ne précise rien par écrit de son vivant, les règles légales s’appliquent. Ainsi, en l’absence de conjoint, le patrimoine est réparti équitablement entre tous ses enfants.
Même si la personne a effectué des donations ou rédigé un testament, il faudra toutefois tenir compte de la réserve légale qui protège ses enfants. Cela signifie que 50% du patrimoine total doit être réparti équitablement entre eux. Les 50% restants — la quotité disponible — pourront être légués librement. Notez que si un enfant reçoit une part inférieure à celle à laquelle il a droit, il pourra toujours la réclamer après le décès du parent.
Supposons que vous ayez deux enfants et que vous n’ayez pas de partenaire, que vous indiquiez dans votre testament que votre maison est destinée à votre fils et que vous léguez 250.000 euros à votre fille. À votre décès, la valeur du bien devra être estimée. Seule cette valeur estimée sera prise en compte dans le partage de la succession. La valeur à laquelle le bien sera vendu par la suite n’aura pas d’importance. Bien sûr, cela pourrait entraîner des inégalités et des discussions mais en théorie, la valeur estimée sera le seul élément retenu.
"Lors de la rédaction d’un testament ou de la réalisation d’une donation, il est impératif de tenir compte de la réserve légale."
"Si la valeur du bien est estimée à 250.000 euros, il n’y aura pas de problème", explique la notaire Anne-Sophie Willems, porte-parole de Notaire.be. Dans ce cas, les deux enfants auront droit à 50% de la moitié du patrimoine total. Ce montant s’élèvera à 125.000 euros. "Mais si votre fils décide de vendre le bien plus tard et qu’il en obtient une somme plus élevée, par exemple 300.000 euros, il ne devra pas offrir de montant compensatoire à sa sœur."
"Supposons à présent que le bien soit évalué à 400.000 euros. La succession totale s’élèvera alors à 650.000 euros (400.000 euros de biens et 250.000 euros d’argent). Chaque enfant aura de toute façon droit à sa part légale, à savoir 162.500 euros (un quart de 650.000 euros). Le testament pourra donc être exécuté tel quel", explique Anne-Sophie Willems. "Ce n’est que si le bien vaut plus de 1.000.000 euros que la fille recevra trop peu d’argent. Dans ce cas, le fils devra verser la différence à sa sœur si celle-ci la réclame."
La donation
Si vous souhaitez donner votre maison à votre fils de votre vivant et attribuer une somme équivalente à votre fille pour garantir l’équité, dans ce cas, des règles spécifiques régissent l’évaluation du bien.Les donations seront également intégrées dans la succession afin d’assurer une répartition équitable.
Ce n’est qu’à votre décès que cette donation pourra poser problème. "Ceux qui reçoivent une donation et l’acceptent ne peuvent rien contester du vivant du donateur", explique Anne-Sophie Willems. "Une donation est acceptée et ce n’est qu’après le décès du donateur que l’on commence à calculer la part de réserve afin de déterminer le montant auquel les enfants ont droit. Pour déterminer la part de réserve, les donations sont également prises en compte."
La valeur intégrée dans l’ensemble de la succession est la valeur intrinsèque au jour de la donation. Cette valeur est indexée à la date du décès, sur la base de l’indice des prix à la consommation du mois du décès. L’indice du mois au cours duquel la donation a été faite est l’indice de base. Ce calcul est effectué tant pour les biens immobiliers que pour les biens mobiliers. Attention toutefois: si vous donnez un bien en nue-propriété, la valeur de celui-ci ne sera déterminée qu’après votre décès lorsque la pleine propriété sera transférée.
Supposons que vous soyez célibataire avec deux enfants. Vous donnez votre maison d’une valeur de 250.000 euros en pleine propriété à votre fils et vous donnez 250.000 euros à votre fille. "La valeur du bien et la valeur de l’argent subissent la même indexation, de sorte que les deux enfants reçoivent la même chose. En principe, il n’y a pas de litige", explique Anne-Sophie Willems. "Si le bien est vendu à un prix plus élevé pendant ou après la vie du donateur, cela ne change rien."
"Dans un pacte successoral global, les enfants conviennent que même s’ils n’ont pas reçu le même montant, le partage est équitable sur le plan financier."
"Mais si la maison est donnée en nue-propriété, vous en aurez l’usufruit toute votre vie. Pour déterminer l’héritage complet, la valeur du bien ne sera estimée qu’au moment du décès ou lorsque votre fils pourra en disposer librement. La fille recevra 250.000 euros, mais elle pourra en disposer immédiatement. L’indexation de la somme d’argent se fera donc à partir de la date de la donation", explique Anne-Sophie Willems.
"Cela pourrait signifier que la somme d’argent, estimée aujourd’hui à 255.000 euros, se retrouve en décalage avec la valeur de la maison, désormais évaluée à 350.000 euros. Dans ce scénario, si l’on ne considère que les donations dans le cadre de la succession, celle-ci s’élèverait à un total de 605.000 euros", souligne la porte-parole de Notaire.be.
"Il faut alors se demander quelle était votre intention en qualité de donateur. Si les donations ont été réalisées dans le but de faire une avance sur héritage, on suppose que vous vouliez traiter vos enfants sur un pied d’égalité", explique Anne-Sophie Willems. "Dans ce cas, votre fils devra payer à votre fille la part qu’il a reçue en trop."
Mais il se peut aussi que vous ne vouliez pas nécessairement traiter vos enfants de manière égale et que vous ayez fait la donation en dehors de la succession. "Dans ce cas, on se borne à vérifier si la part de réserve à laquelle votre fille a droit n’a pas été affectée. En l’occurrence, la part de réserve de chaque enfant est de 151.250 euros (605.000 euros divisés par 4), la succession est donc en règle et votre fils ne doit rien payer à votre fille."
Si cette situation se produit en l’absence de testament, les deux enfants ont même droit à une part égale et votre fils devra rembourser plus rapidement plus d’argent à sa sœur.
Comment être certain de traiter vos enfants sur un pied d’égalité?
Dans le cas d’une donation, plusieurs solutions s’offrent à vous.
La solution la plus courante est le pacte successoral. Il en existe deux types:
"Avec un pacte successoral global, la valeur d’une donation est complètement verrouillée. Elle ne doit pas être intégrée ('rapportée') ultérieurement dans la succession", explique l’avocat Hannes Casier, du cabinet Argo Law. "Un tel pacte doit impliquer tous les enfants. Si l’un des enfants n’est pas d’accord, il n’est pas possible de conclure un pacte successoral global."
Une autre option est un pacte successoral ponctuel. Il n’est pas obligatoire d’y associer tous les enfants.
"Dans un pacte successoral global, les enfants conviennent que même s’ils n’ont pas reçu le même montant, le partage est équitable sur le plan financier", complète Hannes Casier. "Ils admettent donc qu’ils acceptent des différences. Pour ce faire, ils doivent suivre une procédure stricte qui leur donne suffisamment d’informations et de temps de réflexion."
La valeur de la maison est fixée dans le pacte et l’on tire ainsi un trait définitif sur les donations. Au décès, elles ne devront plus être intégrées dans la succession.
Une autre option est un pacte successoral ponctuel. Il n’est pas obligatoire d’y associer tous les enfants. "Chacun s’accorde sur la valeur d’une donation et cette valeur sera ensuite intégrée dans la succession", explique Hannes Casier. "Cela permet donc d’éviter qu’un bien donné en nue-propriété prenne de la valeur et que cette valeur accrue doive être rapportée à la succession. Dans ce cas, si le bien vaut 250.000 euros au moment de la donation et qu’un pacte successoral ponctuel est conclu, c’est ce montant (soumis à l’indexation) qui doit également être rapporté à la succession et non la valeur au moment du décès."
La valeur d’un bien immobilier peut être estimée de différentes manières. Vous pouvez essayer de l’estimer vous-même ou faire appel à un expert agréé. Si vous voulez éviter toute contestation ultérieure, vous pouvez également demander au fisc de réaliser une estimation.
Le fisc contrôle en effet les estimations réalisées par vous-même ou par un expert agréé. Si vous avez sous-estimé le prix du bien, le fisc peut adapter les droits de succession que vous avez payés jusqu’à plusieurs années après l’opération.
Pour créer une égalité entre les deux enfants, vous pouvez également choisir de donner le bien aux deux enfants. "Chaque enfant reçoit alors la moitié du bien et ils peuvent décider eux-mêmes que l’un ou l’autre achètera le bien. C’est ce qu’on appelle sortir de l’indivision. Ils décident alors eux-mêmes du prix. Comme ils sont tous les deux compétents et capables, ils ne peuvent pas revenir sur leur décision plus tard", explique Anne-Sophie Willems.
"Cette construction est plus sûre, mais elle a un coût. Sur l’acte de sortie de l’indivision, un droit de partage de 2,5% de la valeur totale de la maison est dû."
Supplément de L'Echo | Disponible le 14 septembre
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