Accord interprofessionnel. A moitié plein? A moitié vide?
Avec la signature de l'accord interprofessionnel 2011-2012, syndicats et employeurs ont effectué, le 19 janvier, une démonstration exemplaire du compromis belgo-belge qui ne résout rien. Que du contraire...
Celui qui pense qu'un compromis "à la belge" n'est plus possible dans ce pays doit revoir son opinion. Syndicats et employeurs ont insufflé une nouvelle vie à cette forme d'art avec leur nouvel accord interprofessionnel qui encadre l'évolution des salaires et des conditions de travail pour 2011-2012 dans le secteur privé belge. L'accord a toutes les caractéristiques d'un compromis belgo-belge: son plus grand mérite est d'exister, sa plus grande qualité est de répondre au besoin le plus pressant et son plus grand défaut est de ne pas résoudre les problèmes de fond, mais au contraire de les ancrer encore plus.
D'abord le mérite du compromis pour le compromis. La fameuse loi sur la norme salariale oblige les partenaires sociaux à fixer la marge maximum pour les augmentations de salaires en Belgique. C'est, à chaque fois, un accouchement extrêmement difficile, avec des syndicats qui jurent par le pouvoir d'achat et des employeurs qui brandissent le handicap des coûts. Dans le passé, le gouvernement a souvent dû jouer le rôle de sage-femme dans la concertation.
L'argent du contribuable a alors servi de lubrifiant pour compenser des augmentations de salaires par des diminutions de charges et faire sortir les négociateurs de leurs tranchées.
Cette fois, c'était impossible: il n'y a pas de vrai gouvernement et il n'y a plus d'argent. Les partenaires sociaux en ont été réduits à eux-mêmes, ils ont maintenu la discrétion pendant les négociations et ont finalement atterri. Assurément un exemple pour les négociations gouvernementales en cours.
Passons au contenu. On y voit l'image typique d'un verre à moitié vide et à moitié plein. Une stricte modération salariale a été convenue, avec une croissance inexistante en 2011 et une augmentation limitée à 0,3% en 2012. Voilà le verre à moitié plein.
Le handicap salarial belge par rapport à nos concurrents les plus importants, dont une Allemagne économe, a augmenté ces dernières années.
Si les prévisions actuelles se réalisent, la combinaison de l'indexation et de l'augmentation salariale en Belgique devra rester, pour les deux prochaines années, sous l'évolution salariale dans nos pays voisins, nous permettant ainsi de rattraper une partie de la compétitivité perdue.
L'indexation automatique elle-même est toutefois maintenue et, avec elle, également le risque de dérapage salarial spontané en cas d'inflation. De ce fait, la Belgique reste structurellement handicapée en matière de compétitivité des coûts salariaux par rapport à nos concurrents où une indexation automatique n'existe pas.
Il manque pour le moins une stratégie pour développer la compétitivité du marché du travail et de l'économie belges dans d'autres domaines que les coûts salariaux. C'est là que se trouve le verre à moitié vide.
Même modèle dans le dossier épineux de l'harmonisation du statut entre ouvriers et employés. Les négociateurs ont atteint un accord de base pour l'harmonisation des droits de licenciement. Que le verre soit effectivement ici à moitié plein mérite l'étiquette "d'historique". Pendant des décennies, on a ou bien polémiqué, ou bien fait des promesses à ce sujet, toujours sans résultat. Hommage à qui l'honneur revient: la barre est égalisée. Nous allons vers trois mois de préavis par tranche de cinq années d'ancienneté pour tous, bien qu'en étapes et avec des modalités qui restent à confirmer. L'église est donc au milieu du village: plus pour les ouvriers et moins pour les employés les mieux rémunérés.
Mais les bonnes nouvelles s'arrêtent là.
Sur le plan budgétaire, les partenaires sociaux veulent découper le licenciement en trois blocs: une partie normale, une partie nette sans contributions sociales et une partie complètement aux frais de la communauté. L'église n'est pas suffisamment au centre: les coûts de licenciement supplémentaires pour les ouvriers sont insuffisamment compensés par la réduction pour les employés. La solution proposée est de faire de combler la différence par la société.
La mauvaise habitude de répercuter les coûts de licenciement sur le contribuable pensez à la prépension est ainsi poursuivie. Il manque avant tout une vision moderne de l'objectif de la protection contre le licenciement. Beaucoup de spécialistes, dont moi-même, plaident depuis longtemps pour un système à deux piliers: des délais de préavis fixes et un budget personnel pour trouver rapidement un nouvel emploi.
Le statut unique était l'occasion historique de partager de la sorte le coût du licenciement et d'adapter le préavis au marché du travail moderne, où la mobilité est essentielle. Cette occasion est magnifiquement manquée. Le préavis reste une histoire de trésorerie et notre marché du travail bancal rate un tournant structurel.
Le dossier de la prépension ne bouge pas non plus.
Les négociateurs optent pour le statu quo. Ensemble, ils devront un jour changer leur fusil d'épaule pour faire de l'inévitable allongement de la carrière une réalité. À nouveau, ce n'est pas pour cette fois, alors que le vieillissement est déjà un fait. Même chose pour la généralisation des pensions complémentaires: c'est écrit dans les astres, mais il n'y en a pas un mot dans les discours.
Les partenaires sociaux ont joué leur rôle de gestionnaire du système. Ils ont échoué dans leur responsabilité de réformateur du système.
C'est aussi la faute à l'impasse politique. Les employeurs et les syndicats ne peuvent pas aller "out of the box", quand le politique ne peut pas ouvrir la boîte.
Au final, des sentiments mitigés dominent: soulagement grâce à un accord qui évite le dérapage, frustration par manque de vision commune et déception à cause des occasions manquées. Ce que les négociateurs soulignent comme étant la "seule solution possible et réalisable" n'est pas mauvais, mais ce n'est pas non plus assez bon.
Marc Devos
Professeur UGent et directeur de l'Itinera Institute.
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