Pour une politique belge en matière de soins de santé
La réforme des soins de santé doit être centrée sur le patient. Le gouvernement fédéral est le mieux placé pour assumer l’entière responsabilité des soins de santé.
Si la crise du coronavirus nous a appris quelque chose, c’est bien que l’organisation des soins de santé est devenue désespérément morcelée. Nous soutenons le principe d’homogénéisation des paquets de compétences, mais dans les deux directions. En matière de sécurité sociale, une refédéralisation est plus logique qu’une régionalisation, dans la mesure où elle est déjà à 80% fédérale. Pour reprendre l’image de Guy Tegenbos: 80% du dentifrice est encore dans le tube. Exprimé en termes de budget, cela vaut aussi pour les soins de santé.
B-Plus et 19 experts concernés *
Les soins de santé sont fortement liés à l’assurance invalidité. Un médecin qui prescrit un certain médicament ou traitement à son patient délivrera souvent aussi dans le même geste un certificat d’incapacité de travail. Est-il alors logique de confier les soins de santé et l’assurance invalidité à deux niveaux de pouvoir différents?
La solidarité fédérale interpersonnelle ne doit pas être remise en question. L’argument des transferts est discutable. En réalité, cependant, les transferts ne circulent pas de la Flandre vers la Wallonie, mais des familles riches vers les familles pauvres, des personnes en bonne santé vers les malades, des personnes professionnellement actives vers les personnes professionnellement inactives, etc. L’existence de ces transferts est l’essence même de la sécurité sociale. Ils garantissent le respect du principe d’égalité. Ainsi, un Belge en incapacité de travail a droit à une prestation, budgétisée selon des normes uniformes, quelle que soit la langue qu’il parle. La scission des soins de santé implique en revanche l’abandon du principe d’égalité dans cette branche de la sécurité sociale. Le fractionnement des soins de santé implique que le prix des médicaments, les soins prodigués par des médecins conventionnés, etc. ne seront plus les mêmes pour tous les Belges.
Compromis bancal
Le compromis qui consiste à scinder la politique de santé, alors que le financement resterait fédéral est bancal. L’efficacité exige que le niveau du financement soit le même que le niveau des dépenses. Il est très difficile d’établir des critères de répartition vraiment objectifs pour les soins de santé.
Les politiciens flamands les plus radicaux sur le plan communautaire remettent déjà depuis un certain temps en question le financement fédéral de la solidarité, surtout au vu des besoins plus importants dans le sud du pays. Pensons-nous vraiment que la situation s’améliorera dès que la politique de santé sera scindée, scission après laquelle les Flamands n’auront plus aucun impact sur la politique de la Belgique francophone? L’étape suivante ne sera-t-elle pas rapidement de scinder également le financement, au motif que la Flandre ne doit pas payer pour ce qu’on appellera probablement la mauvaise gestion francophone? Une scission de la politique de la santé menace donc, en fin de compte, de porter atteinte à la solidarité entre tous les Belges.
La scission du financement signifierait que le nombre de membres contribuant à supporter les coûts de santé serait presque divisé par deux, alors que la capacité de prise en charge de l’assurance maladie est proportionnelle au nombre de membres de la société qui souhaitent bénéficier de ce système. En matière de sécurité sociale comme en matière d’assurances privées, il est dans l’intérêt de tous de veiller à ce que le nombre de cotisants soit le plus élevé possible, afin de répartir les risques le plus largement possible.
"La crise du coronavirus nous a appris que le morcellement des compétences est un handicap. Il est étrange de plaider maintenant pour encore plus de morcellement."
Il ya bien sûr des différences entre Flamands et Wallons. Mais il y en a aussi au sein de la Flandre. Les différences de besoins entre régions doivent être relativisées. Les maladies ne tiennent pas compte de la différence de langue parlée et de culture. Il est certainement vrai que le contexte social détermine également l’impact d’un trouble chronique sur la vie du patient. L’impact de l’arthrite chronique est différent pour un travailleur plus riche que pour un travailleur plus pauvre. Mais pour deux travailleurs plus pauvres qui parlent chacun une langue nationale différente, cette différence nous semble vraiment trop faible pour justifier une scission de la politique de santé.
Le fait que les Wallons opteraient plus tôt pour l’hôpital que pour le médecin généraliste n’est pas non plus un argument. Autant renverser le raisonnement: s’il est scientifiquement prouvé que la conception flamande des soins de santé primaires est la meilleure, pourquoi les patients francophones ne pourraient-ils pas en bénéficier?
La saga de la distribution des numéros INAMI pour les médecins serait un argument supplémentaire en faveur de la scission: les quotas ont été fixés au niveau fédéral, mais l’afflux des diplômés en médecine a été organisé au niveau communautaire. Les objections concernant le laxisme de la Communauté française face à cet afflux étaient justifiées. Mais les partis responsables d’une telle politique n’ont pas eu à craindre de perdre des voix, car ils n’ont pas eu à se présenter devant les électeurs flamands.
"Local" et "proche du citoyen"
S'il existe des raisons scientifiques d’organiser la politique de santé au niveau le plus local possible, il faut le faire. Mais par "local" et "proche du citoyen", on entend: quartiers, villages, villes, provinces. La traduction que certains politiciens donnent aujourd’hui au "local" en le traduisant par "communautés" ou "régions" ne repose pas sur des arguments scientifiques mais est purement politique. L’autorité fédérale est aussi proche ou aussi éloignée du citoyen que la région ou la communauté. Les soins de santé sont prodigués localement mais conçus globalement (c’est ce qu’on appelle la "glocalisation"). C’est précisément pour cette raison que la refédéralisation doit s’accompagner d’un échange permanent et d’une délégation des compétences d’exécution aux niveaux local et provincial.
En tout cas, une réforme des soins de santé devrait se concentrer sur les 11,5 millions de patients belges potentiels. La crise du coronavirus nous a appris que le morcellement des compétences est un handicap. Il est étrange de plaider maintenant pour encore plus de morcellement. Le fait que même les plus grands partisans de la scission aient mis la balle dans le camp du gouvernement fédéral pendant la pandémie montre que ce dernier est le gouvernement le plus approprié pour prendre en mains les soins de santé, même dans des circonstances normales.
* Liste des signataires:
Dr Emmanuel André (microbiologiste, ancien porte-parole interfédéral, Centre de crise national)
Jan-Piet Bauwens (SETCa, secrétaire fédéral du secteur non-marchand)
Dr Jacques Brotchi (neurochirurgien, prof. ém. ULB, anc. président du Sénat)
Dr Yves Coppieters (prof. ULB)
Dr. Ben De Brucker (président Symposium Medische Wereld)
Christian Deneve (directeur général honoraire SPF Emploi, Travail et Concertation sociale)
Dr Harrie Dewitte (médecin, Médecine pour le peuple, coordinateur de l’équipe Covid-19 de la région de Genk)
Henri Eisendrath (prof. ém. VUB)
Dr Walter Foulon (prof. ém. VUB)
Dr Reginald Moreels (ancien ministre, ancien sénateur, médecin humanitaire)
Mark Selleslach (CSC, coordinateur général secteur non-marchand)
Maxime Stroobant (prof. ém. VUB, juriste, ancien sénateur)
Dr Marleen Temmerman (prof. ém. UGent, ancien sénateur, membre du comité de direction, de l’UZ Gand)
Gert Van Hees (CGSLB, responsable secteur non-marchand)
Marc Van Molle (prof. VUB)
Dr Marc Van Ranst (virologue, prof. KULeuven)
Mieke Vogels (ancien ministre flamand de la Santé et de la Protection sociale, ancien sénateur)
Dr Nini Vrijens (prof. ém. géographie médicale, VUB)
Dr Tom Zwaenepoel (rhumatologue, membre comité de direction de B Plus)
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