Il sera toujours plus facile d'entrer en guerre que d'en sortir
Ne dit-on pas que la guerre se décide seul alors qu’il faut être au moins deux pour négocier la paix?
Alors que la guerre en Ukraine dure depuis deux ans et que le conflit à Gaza n’est pas près de se terminer, force est de constater que la paix reste un concept flou, source de malentendus. Il est, d’ailleurs, révélateur qu’il existe des bibliothèques entières sur les guerres (et même une science de la guerre, la polémologie), mais que l’on a relativement peu écrit sur la paix. Étrange paradoxe! Souvent, on s’est contentés de dire que la paix est un état de non-guerre, voire que la paix ennuie, déçoit. C’est un peu sommaire…
Dès lors, comment passe-t-on de la guerre à la paix?
Comme l'ont montré les deux dernières guerres mondiales, les guerres ont une logique enchevêtrée de rationalité et d'émotion, avec parfois de petits incidents comme l'assassinat de l'archiduc autrichien Franz Ferdinand conduisant à une mobilisation rapide et à la guerre. La Seconde Guerre mondiale a été l'occasion pour l'Allemagne nazie de se venger de sa dernière défaite.
Pour parvenir un accord global de paix, il importe d’amorcer un processus graduel car on sait combien, dans un tel contexte, il importe que chacun sauve la face, au risque sinon d’engendrer un sentiment d’humiliation pouvant conduire à un nouveau conflit.
Il est plus facile d'entrer en guerre que d'en sortir. La paix ne peut venir que lorsque les dirigeants se rendent compte que la guerre ne peut mener qu'à d'autres guerres. À l'ère nucléaire, la guerre conventionnelle conduira inévitablement à la destruction de tous. Les dirigeants devront s'engager sur la voie de la paix par la voie diplomatique, sous peine de voir tout s'effondrer sur les plans économique, politique et existentiel. Il n'y a pas de victoire après une guerre nucléaire. Pas même un retour au statu quo.
C'est pourquoi la paix est la seule véritable option. Pour parvenir un accord global de paix, il importe d’amorcer un processus graduel: établissement d’un cessez-le-feu, identification des acteurs, négociation avec les parties pour qu’elles adoptent des positions réalistes, car on sait combien, dans un tel contexte, il importe que chacun sauve la face, au risque sinon d’engendrer un sentiment d’humiliation pouvant conduire à un nouveau conflit.
Cela n’est toutefois pas suffisant. Il faut que l’accord soit global, incorporant des éléments de sécurité, voire des éléments politiques (élections, constitution), mais aussi économiques et financiers (aide à la reconstruction). Et, enfin, il convient d’assortir l’accord de paix de garanties suffisantes et robustes pour l’exécution des engagements pris.
Quels sont les indispensables ingrédients? Il est important d'établir la confiance entre les parties et d'écouter les griefs.
Un facteur de réussite des pourparlers de paix est le choix du moment. Étant donné que les négociations se déroulent généralement à l’arrière-plan des gains et des pertes militaires, on suppose souvent qu'il n'y a de sens à entamer des négociations que lorsque les deux parties estiment qu'elles ont plus à gagner en négociant qu'en se faisant la guerre. C’est le temps de la négociation.
On pense souvent que l'absence de combats est synonyme de paix et qu'un accord met fin à la violence et à la souffrance presque instantanément. C'est rarement le cas. Un accord n'est qu'une petite étape dans un processus souvent long.
Mais attendre le "moment propice" pour entamer des négociations de haut niveau est problématique. Cela peut prolonger inutilement un conflit et entraîner des souffrances extrêmes. Par conséquent, les acteurs de la paix (les médiateurs) doivent constamment chercher des points d'entrée pour créer des opportunités de construire la paix au lieu d'attendre les conditions parfaites. Ils peuvent convaincre les parties au conflit que les négociations ne sont pas des jeux à somme nulle et qu'elles ne conduisent pas automatiquement à des compromis douloureux.
Enfin, la façon dont la paix est comprise joue un rôle majeur. On pense souvent que l'absence de combats est synonyme de paix et qu'un accord met fin à la violence et à la souffrance presque instantanément. C'est rarement le cas. Un accord n'est qu'une petite étape dans un processus souvent long.
En outre, si un cessez-le-feu est toujours souhaitable parce qu'il signifie moins de violence et moins de souffrances, il n'est pas absolument indispensable pour négocier les questions de fond. De nombreuses négociations, de la guerre du Vietnam à celle de Bosnie, ont eu lieu alors que les combats se poursuivaient, mais un accord de paix substantiel a finalement été conclu.
Si les militaires savent gagner la guerre, les diplomates ont parfois beaucoup de mal à «gagner la paix».
Et il peut être opportun de convenir d'un désaccord: tout ne peut pas ou ne doit pas être résolu dans le cadre d'un même accord. Il peut être difficile de s'attaquer à certaines causes profondes des conflits, comme la marginalisation historique de groupes minoritaires ou l’occupation de certaines régions. Mais il est possible de mettre en place des mesures et des mécanismes permettant d'envisager des améliorations (ce que l'on appelle les "confidence building measures").
Les accords partiels peuvent être une bonne option, même si cette approche prend évidemment du temps. Enfin, ne croyons pas trop vite que la cessation des combats est le prélude à l’établissement de la paix stricto sensu. Il y a des exemples de paix qui tournent à la guerre larvée, voire à la reprise des hostilités (cfr la Libye). Établir la paix passe par une relation de confiance et c’est toujours un défi.
Si les militaires savent gagner la guerre, les diplomates ont parfois beaucoup de mal à «gagner la paix». Comme disait Clemenceau: «Il est plus facile de faire la guerre que la paix». Sa consolidation est un combat de longue haleine et une école de la modestie et de la patience. Ne dit-on pas que la guerre se décide seul alors qu’il faut être au moins deux pour négocier la paix? Tant que les hommes se parlent, ils ne se font pas la guerre, dit la sagesse populaire.
Raoul Delcorde
Ambassadeur (hon.) de Belgique
Membre de l’Académie Royale de Belgique
Auteur du "Manuel de la négociation diplomatique internationale"
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