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L'inflation a déjà rapporté des milliards aux entreprises

Le coût des matières premières, s’il augmente, n'explique pas tout. Une part importante de l’inflation actuelle tient à la hausse des profits des entreprises. Il est donc urgent de remettre le partage des richesses (et ce qu’on en fait) sur la table.

La hausse du coût de la vie inquiète les travailleurs aux quatre coins du pays: des factures énergétiques qui ont plus que doublé; une indexation des loyers impossible à payer; des difficultés à faire le plein et à remplir le frigo… Les aides de l’État ont été bienvenues, mais sont insuffisantes. La Fédération des Entreprises belges (FEB) le répète: “Il n’y a pas d’argent pour faire davantage. Les entreprises sont en difficulté”. Pourtant, des marges importantes sont disponibles, et nous proposons de les mobiliser.

Avant tout, donnons une idée de l’ampleur du choc auquel les ménages font face. Une récente étude de la KUL1 montre que l’indexation automatique des salaires et les mesures du gouvernement ne constituent qu’une protection partielle contre l’inflation. Malgré l’index, 90% des ménages qui ont des contrats à prix variable s’appauvrissent. Les 10% les plus pauvres perdent 7% de leurs revenus, quand le ménage médian perd, lui, 2%.

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Explosion des bénéfices

Pour les soutenir, le gouvernement a mis 2,4 milliards sur la table via différentes mesures (tarif social élargi, chèque énergie, diminution de la TVA et des accises principalement). Ces mesures ne permettent toutefois pas de couvrir la hausse des prix, et ce, surtout pour les ménages de la classe moyenne inférieure. Hormis les ménages couverts par le tarif social et les ménages les plus riches, mieux protégés du choc, les mesures du gouvernement sont donc totalement insuffisantes.

En Belgique et dans la plupart des économies de l'OCDE, les salaires sont en recul dans la valeur ajoutée depuis des années.

Certains brandissent leur coût budgétaire. Pourtant, au regard des différentes mesures prises ces dernières années, ce coût est tout relatif. À titre d'illustration, la réforme du gouvernement Michel visant à baisser l’impôt des sociétés (de 33 à 25%) a coûté plus du double, c’est-à-dire, 4,8 milliards d’euros par an, selon la BNB.

Les aides corona destinées exclusivement aux entreprises (baisses et exemptions d’impôt, primes et subsides) ont coûté 5,8 milliards d’euros en 2020 et 2021, selon la Cour des comptes. Ces mesures ont coûté à la collectivité et bénéficié directement aux entreprises. Or l’inflation actuelle est aussi due à l’explosion des bénéfices.

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En effet, un autre élément essentiel dans ce débat est la question des causes de l’inflation. La hausse des prix peut être causée par différentes hausses des coûts de l’entreprise: le coût du capital (les profits), le coût des matières premières ou les salaires. En Belgique et dans la plupart des économies de l'OCDE, les salaires sont en recul dans la valeur ajoutée depuis des années. Quant au coût des matières premières, s’il augmente — pas pour tout -, il n'explique pas tout. En d’autres mots, une part importante de l’inflation actuelle est expliquée par une hausse des profits. Voici les chiffres pour les États-Unis: 54% de l’inflation du secteur privé s’explique par une hausse des profits, vient ensuite la hausse du coût des matières premières qui explique 38% de la hausse des prix. Les salaires, quant à eux, n’expliquent que 8% de l’inflation2.

Marge bénéficiaire

Ces chiffres peuvent être, en partie au moins, transposés à la situation belge. Les taux de marge bénéficiaire des entreprises privées non financières ont littéralement explosé ces 25 dernières années, de 36% en 1996 à 47% en 2021. Elles sont même historiquement élevées en 2021 et plus importantes que dans nos pays voisins, malgré les discours alarmistes des organisations patronales.

Les profits d’Engie pourraient, à eux seuls, financer l’ensemble des mesures gouvernementales pour faire face à l’inflation.

Et pour cause: une étude récente de la BNB3 montre que 60% des entreprises sont capables de se protéger en répercutant les hausses de leurs coûts sur leurs clients. La transposition de ce taux de marge à l’inflation montre que 3,85 points de pourcent des 8,2% d’inflation en 2022 financent, en fait, les marges, et par conséquent les profits des entreprises. Des géants industriels comme InBev, Puratos ou Engie font même des profits records. Par exemple, Engie réalise un bénéfice de près de 2,1 milliards en 2021-2022 sur les seules centrales nucléaires belges de seconde génération, selon la Creg4. Les profits d’Engie pourraient, à eux seuls, financer l’ensemble des mesures gouvernementales pour faire face à l’inflation.

Pour répondre au problème de l’inflation et soutenir les ménages, il est donc urgent de remettre le partage des richesses (et ce qu’on en fait) sur la table. La crise actuelle souligne un problème structurel, taxer temporairement une petite part du coût du capital ne suffira pas. Au-delà de la taxation, d’autres outils existent en Belgique et certains sont même déjà inscrits dans la loi.

C’est le cas de l’article 14 de la fameuse loi du 26 juillet 1996, qui prévoit, outre la limitation des salaires, la possibilité de prendre des mesures de modération pour les dividendes et les loyers. Pourtant, cette loi n’a jusqu’ici été utilisée que pour forcer le blocage des salaires.

Depuis sa révision en 2017, la rendant encore plus stricte envers les salaires, ces derniers sont littéralement bloqués, alors même que le coût de la vie augmente et que les entreprises ont des marges bénéficiaires très importantes. Une autre manière très simple de diminuer les surprofits est tout simplement de faire augmenter les salaires. Il est grand temps d’une part d’appliquer enfin l’article 14 de la loi pour s’attaquer aux surprofits et bloquer les loyers, et d’autre part de revoir ses dispositions concernant les salaires pour permettre à nouveau à ceux-ci d’augmenter.

Bruno Bauraind, Gresea et Université de Mons
Marc Becker, Secrétaire national de la CSC
Thierry Bodson, Président de la FGTB
Olivier Bonfond, économiste au CEPAG
Mario Bucci, Fondation Travail-Université du MOC
Fabio Bruschi, Formateur FEC
Bastien Castiaux, membre de Rethinking Economics
Stefaan De Cock, Secrétaire général de ACV-PULS
Anne Dufresne, sociologue GRESEA
Thomas Englert, service d’études de la CNE-CSC
Geoffrey Goblet, secrétaire général de la Centrale Générale FGTB
Adriano La Gioia, membre de Rethinking Economics
Louise Lambert, économiste et formatrice CIEP
Arnaud Levêque, Secrétaire fédéral à la Centrale Générale FGTB
Olivier Malay, service d’études de la CSC A&S
Nancy Pauwels, économiste à ACV-PULS
Bruno Poncelet, Formateur au CEPAG
Daniel Richard, Secrétaire interprofessionnel de la FGTB-Verviers
Ahmed Ryadi, Secrétaire régional de la FGTB Centre
François Sana, service d’études de la CSC
Jean-François Tamellini, Secrétaire général de la FGTB Wallonne
Pia Stalpaert, Présidente de la CSC A&S
Werner Van Heetvelde, Secrétaire général à la Centrale Générale FGTB
Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la CNE
Clarisse Van Tichelen, service d’études de la CNE-CSC
Michaël Venturi, Secrétaire général adjoint MWB et administrateur délégué de l’asbl Afin

3 Bijnens G., Duprez C., (2022), “Les firmes et la hausse des prix énergétiques”, Banque Nationale de Belgique

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